I comme illusion

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Pour mon malheur, avant de rencontrer ma gentille petite Simone, j’ai connu sa sœur aînée, Maria. Maria est piqûrière, chez nous à l’usine, c’est comme ça que je l’ai connue. Une bonne ouvrière, ça oui, mais un fichu caractère! Et elle aimait déjà le vin, ce qui n’arrangeait pas son humeur… Quelle différence avec la petite Simone, douce comme un agneau… C’est elle que j’aurais dû rencontrer la première. Je n’en serais pas là aujourd’hui, avec une femme pendue à mon cou et une autre qui me fait du pied sous la table. 

Oh! mon beau, mon fort, mon grand! Qu’est-ce que je l’aime! Quelle chance j’ai! Quel bonheur! Mon beau Gaspard! Et intelligent avec ça! C’est le patron lui-même qui l’a dit, mon plus jeune et mon meilleur contremaître, il a dit. Il ira loin, mon Gaspard, je le sais, je le sens! Vivement l’été prochain qu’on se marie! 

Quelle gourde, cette Simone! Non mais regardez-moi ça! Encore une qui croit qu’elle a touché le gros lot! Et son grand dadais qui rougit quand je lui chatouille le tibia… qui attrape la chair de poule quand mes doigts frôlent son bras… Hahaha! il ne sait plus où se mettre! Je le connais moi, le Gaspard. 

***

Témoignages croisés. Sur ce tableau à trois personnages, donnez la version de chacun sur la scène.

Tableau et consignes chez Lakévio, que je remercie!

Pour comprendre la hiérarchie de l’usine textile d’autrefois, voir par exemple Maxence Van der Meersch, dans La fille pauvre: la canneteuse, puis la bobineuse et la doubleuse, tout à fait en bas. Au-dessus d’elles, « il y avait, pour n’en citer que quelques-unes, la soigneuse de continu, puis l’ourdisseuse, puis la tisserande, puis au sommet, respectée et jalousée, l’aristocrate, la piqûrière, qui nous dominait et ne nous disait pas bonjour. » 

31 commentaires sur « I comme illusion »

  1. Je n’aima pas du tout
    … le style des peintures que choisit souvent Lakévio pour ses jeux, je leur trouve un côté, comment dire,… américain !
    Rien à voir, bien sûr, avec les textes toujours réussis que tu en tires.

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  2. c’est que je préfère parler de ce que je connais 🙂 et dans ce cas-ci, c’est ma « couleur locale »
    (que de fois j’ai entendu mon grand-père parler avec respect des bonnes piqûrières! ah l’importance d’avoir de bonnes piqûrières!)

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  3. La « couleur locale » de ton texte lui donne tout son charme. je suis contente d’avoir appris de nouveaux mots !
    Et comme dit Heure Bleue : l’intérêt c’est le style !
    Merci, Adrienne.

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  4. bien vu, il est vrai que les personnages du tableau sont si expressifs qu’on ne peut guere se tromper sur les pensées. Et la table elle même, elle en a vu des drames se jouer, par dessus, par dessous, et le vin, depuis qu’il emplit les verres (non Jeff, t’es pas tout seul), il en a noyé des chagrins !

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  5. ce qui m’étonne chez Van der Meersch, c’est la tisserande, je n’ai jamais vu ou entendu ce métier-là que masculin (vu le côté technique et la force physique nécessaire par exemple pour enlever ou mettre les ensouples)
    le reste oui, bien sûr, les femmes ont l’intérêt d’être payées bien moins cher…

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  6. Compliqué de sortir avec deux sœurs, et qui plus est de se marier par la suite avec l’une d’entre elles…
    J’ai un beau frère qui l’a fait… Mais la sœur délaissée n’a pas sombré dans l’alcoolisme, je pense même qu’elle s’est félicitée de n’être pas restée avec lui…
    Et autre point commun, la grand mère de mes belles sœurs travaillait dans une usine textile à Lodève.

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  7. Court et percutant comme à l’habitude !
    Tout à ma folie du ukulélé et à ma relecture nocturne du « Coup de lune » de Simenon, j’ai oublié d’écrire des bêtises sur ce tableau ! Qu’est-ce que je fais ? Je le donne à l’atelier demain soir et je raconte mon samedi à l’Ubuntu ? 😉
    En même temps, la taille du verre et la couleur des peaux me désarçonne. On est chez Zola ? C’est Nana, l’Assommoir, la Bête humaine ? Sans doute pas Au bonheur des dames, si ?

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  8. Votre texte est le premier que je lis de cette version du tableau du lundi. Vous racontez bien ces moments tristes que l’on voit encore de nos jour aux tables des cafés. L’alcool accentue le côté tragique.
    Je vous souhaite une bonne semaine.
    Jean-Jacques’60
    Berne, le 11 décembre 2017

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  9. on n’est visiblement pas au bonheur des dames (pluriel) 🙂
    (je viens d’apprendre hier soir que mon désir d’apprendre à pincer des cordes est incompatible avec le piano: pour l’un il faut des ongles et pour l’autre il faut se les couper à ras…)

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  10. il était difficile de passer à côté de cette bouteille, de ce verre et de ce nez, ils sont au centre du tableau (et encore accentués puisque le cadre est rétréci par ce pan noir à droite ;-))
    bonne semaine à vous aussi!

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