L comme lettre 4

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Très chère sœur P. 

Quand j’ai appris que vous étiez en dépression et que vous disiez ne plus rien attendre que la mort, j’ai absolument voulu vous rendre visite. Je ne sais pas si j’ai bien fait. Je ne sais pas si ça vous a remonté le moral. Mais il fallait absolument que je vous dise tout le bien que je pensais de vous depuis de si nombreuses années. 

Vous étiez une institutrice hors pair. Une pédagogue née. Vous aviez l’enthousiasme, la conviction, l’amour. Vous incarniez vos valeurs, alors nous voulions les faire nôtres. Moi, en tout cas, j’y aspirais. 

Cette année-là, nous avons accueilli en classe les premiers enfants « immigrés ». Vous nous avez annoncé la venue d’une petite Italienne. Pour vous y préparer, vous aviez acquis un dictionnaire traducteur. Qui était toujours posé bien en évidence sur le coin de votre bureau mais que vous n’avez jamais ouvert. Simplement, il était là. 

Dès l’arrivée de la petite, vous avez fait en sorte que nous comprenions bien toutes, que ne pas connaître notre langue n’était pas synonyme de bêtise: vous l’avez invitée au tableau pour qu’elle nous y démontre ses prouesses en calcul. Vous nous avez appris à chanter Fra Martino, le Frère Jacques italien, que vous nous faisiez chanter à peu près tous les jours, peut-être à chaque fois que vous voyiez passer une ombre sur la petite figure d’Antonia, qui sait? 

Vous avez réussi à la faire passer dans la classe supérieure avec nous toutes, bel exploit que la collègue qui avait la sœur d’Antonia sous son aile n’a pas pu réaliser. 

Je vous aime et je vous admire. 

*** 

écrit pour le Marathon d’écriture 2018 

Fra Martino, campanaro,
Dormi tu? Dormi tu?
Suona le campane!
Suona le campane!
Din don dan, din don dan. 

18 commentaires sur « L comme lettre 4 »

    1. merci de tant de gentillesse, Mme Chapeau!
      c’est en « remontant » mettre des tags à mes anciens billets, après déménagement, que je me rends compte depuis combien d’années plusieurs d’entre vous sont de fidèles lecteurs, merci à vous!

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  1. Je veux croire que vos mots ont rejoint sœur P. et confirme que chaque phrase qui dit la gratitude rend meilleurs tous ceux qui la lisent.

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    1. oui c’était pour le lui dire que je suis allée lui rendre visite, j’étais contente de pouvoir le lui dire de vive voix (mais comme je l’écris dans cette lettre, je ne sais pas si le message est bien passé, vu qu’elle faisait une dépression depuis la mort de sa sœur aînée)

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  2. Je connaissais Fra Martino : les chefs scouts qui géraient la colonie de vacances pour les enfants du personnel de la société pour laquelle travaillait mon père nous la faisaient chanter (et aussi « La Bella Polenta »). Faut dire qu’à Charleroi à l’époque, ce ne sont pas les Italiens qui manquaient, à l’école, mon meilleur ami s’appelait Roberto Botti !

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    1. j’ai dans mes classes les enfants de ceux qui sont arrivés ici enfants pour rejoindre leur père, dans les années 60, cette année entre autres un Gianluca à qui je n’ai pas encore raconté la chose 😉

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  3. Que de gravité ces jours-ci sur le blog de Madame ! J’espère que les vacances approchantes lui apporteront un peu plus de joyeusetés ! 😉

    Ca fait longtemps qu’on a pas eu de « perles d’élèves », par exemple ! 😉

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    1. ce n’est pas un sujet grave, dire merci à son institutrice préférée 😉
      demain je fais un billet de lecture sur Modiano, voilà qui est grââââve!
      (même si j’ai réussi à y trouver un bout de phrase qui m’a fait rire, et bien sûr je partage cette pépite humoristique avec mes lecteurs :-))

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    1. tu m’y fais penser, dans un des textes que mes élèves m’ont concoctés pour l’examen écrit, j’ai lu une phrase qui m’a beaucoup fait rire 🙂 mais je vais en parler mercredi avec son auteur avant d’en parler ici 🙂

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  4. C’est beau d’avoir pu lui dire ton admiration et ton amour.
    Cette belle reconnaissance lui a sûrement fait du bien dans les moments difficiles qu’elle traverse.
    On devrait toujours dire au gens l’importance qu’ils ont pour nous, dit celle qui souvent n’ose pas le faire…

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    1. quand je lui ai rappelé ces souvenirs, comme je le raconte ci-dessus, elle m’a demandé: c’est comme ça que tu te souviens de moi? puis elle a dit: tu te souviens de tout ça?
      j’ai trouvé ça terriblement touchant

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