Y comme Yannick Haenel

yannick haenel

A cette époque, j’étais fou. J’avais dans mes valises un scénario de sept cents pages sur la vie de Melville: Herman Melville, l’auteur de Moby Dick, le plus grand écrivain américain, celui qui, en lançant le capitaine Achab sur les traces de la baleine blanche, avait allumé une mutinerie aux dimensions du monde, et offert à travers ses livres des tourbillons de prophéties auxquels je m’accrochais depuis des années; Melville dont la vie avait été une continuelle catastrophe, qui n’avait fait à chaque instant que se battre contre l’idée de son propre suicide et, après avoir vécu des aventures fabuleuses dans les mers du Sud et connu le succès en les racontant, s’était soudain converti à la littérature, c’est-à-dire à une conception de la parole comme vérité, et avait écrit Mardi, que personne n’avait lu, puis Pierre ou les Ambiguïtésque personne n’avait lu, puis Le Grand Escrocque personne n’avait lu, avant de se cloîtrer pour les dix-neuf dernières années de sa vie dans un bureau des douanes de New York, et de déclarer à son ami Nathaniel Hawthorne: « Quand bien même j’écrirais les Evangiles en ce siècle, je finirais dans le ruisseau. »

Yannick Haenel, Tiens ferme ta couronne, Gallimard 2017, p.11 (incipit)

info et illustration sur le site de l’éditeur ; premières pages à lire ici.

Entretiens avec l’auteur ici; et ici un article suisse après l’obtention du prix Médicis.

« A cette époque j’étais fou« , dit le narrateur, et vraiment, c’est un livre « fou » 🙂

10 commentaires sur « Y comme Yannick Haenel »

  1. Un livre « fou » qui semble courir comme un fou si on se fie à cet extrait.
    Passez une bonne journée, de nouveau annoncée sans pluie.

    J’aime

    1. faut pas! sinon l’auteur va devoir réécrire son incipit!
      (« et avait écrit Mardi, que personne n’avait lu, puis Pierre ou les Ambiguïtés, que personne n’avait lu, puis Le Grand Escroc, que personne n’avait lu »)

      J’aime

Laisser un commentaire