Stupeur et tremblements de 1989

roumanie

Quand Valentin est né, en 1968, dit Violeta en déposant l’aspic de légumes sur la table, il y avait toutes les confiseries qu’on voulait, dans les magasins. Lui, comme bébé, a été élevé au sucre, pour ainsi dire. Mais à la naissance de Gabriela, en 1976, c’était fini: il n’y avait plus rien! Rien du tout! Des cartons vides, des queues interminables, des rivalités pour un coupon de mauvais tissu…

L’aspic est trop volumineux pour la lame du couteau qu’elle y enfonce en essayant de faire le moins de dégâts possible. C’est sa pièce maîtresse, son frisson gastronomique en jaune, rouge et vert.

– Dommage, dit-elle, qu’il n’y ait pas de légumes bleus, ça aurait fait notre drapeau national.

Autour de la table, tout le monde sourit aimablement à cette manifestation de fierté nationale.

– Surtout qu’il y a déjà le trou au milieu, dit Marie.

Ce trou au milieu, c’est leur fierté. D’abord celle de Valentin, qui armé d’un brassard tricolore a défié, ainsi qu’un millier d’autres habitants de leur ville, les quelques tirs comminatoires sur la place de l’hôtel de ville et quelques brandons de violence orchestrée ici et là. Gloire fugace, il est vrai. Depuis les événements, les politiciens du régime honni se sont refait une virginité, et on dirait bien qu’on va faire du neuf avec du vieux.

– Notre pays a beaucoup de richesses, dit Violeta. Les années d’abondance vont revenir.

***

texte écrit pour 13 à la douzaine avec les mots imposés suivants: 1 carton 2 fugace 3 manifestation 4 vert 5 comminatoire 6 aspic 7 frisson 8 orchidée 9 bébé 10 brandon 11 lame 12 rivalité et le 13e pour le thème: confiserie – le lecteur perspicace aura remarqué l’absence d’orchidées 🙂

25 commentaires sur « Stupeur et tremblements de 1989 »

  1. Ah, l’économie collectiviste et les bureaux du plan ! Ça me rappelle toujours la grande question : où trouve-t-on le plus de pain en URSS ? Et sa réponse : dans la viande hachée !

    J’aime

  2. J’apprécie le texte en « aveugle » si je puis dire, ne connaissant pas grand’chose de la Roumanie.
    Si bien qu’on peut aimer des mots et apprendre en même temps, même si j’étais « orientée » vers les pays de l’Est.

    J’aime

    1. comme je le raconte dans un de mes premiers billets ‘Roumanie’, je m’y suis fait des amis après la chute de Ceaușescu, par un concours de circonstances qui a débuté par une lettre 🙂

      J’aime

    1. ne me dites pas que vous aussi vous penchiez pour le poncho 😉
      (comme il a été abondamment question de ces événements de l’hiver 1989, après la chute du mur de Berlin, je pensais que ça avait marqué les mémoires, mais bien sûr la mémoire est une chose bizarre faite pour oublier ;-))

      J’aime

  3. Quand je lis « Violeta » (avec deux « t » le plus souvent) je pense à Verdi plus qu’à Ceaucescu.
    Contrairement à d’autre Roumains, Ceaucescu ne faisait pas la manche à la sortie du Wepler…

    J’aime

Laisser un commentaire