L comme lecture imposée

Astrolabe-Persian-18C

Le mot chiffonne l’Adrienne depuis la première fois qu’elle l’a rencontré. Elle avait dix-sept ans et c’était dans une lecture imposée, La Reine morte, de Montherlant.

Son prof de français préféré – enfin quelqu’un qui était à la hauteur, après cinq années à s’ennuyer ferme et à ânonner du FLE avec une ignoble méthode audio-visuelle – son prof préféré, donc, à l’époque ne disposait pas des moyens actuels permettant de montrer tout de suite avec les copains g**gl* et wikisaitout n’importe quel objet, fleur, animal, pays ou personnage qui serait inconnu de ses élèves. A l’époque l’Adrienne a dû se contenter d’une définition genre « instrument pour la navigation » qui ne l’a pas du tout aidée ni à se représenter la chose ni à en comprendre le fonctionnement.

Aux pages 29-30 de son édition Folio de l’époque, l’Adrienne relit ce souvenir que raconte le roi, Ferrante, à son fils Pedro:

Pedro, je vais vous rappeler un petit épisode de votre enfance. Vous aviez onze ou douze ans. Je vous avais fait cadeau, pour la nouvelle année, d’un merveilleux petit astrolabe. Il n’y avait que quelques heures que ce jouet était entre vos mains, quand vous apparaissez, le visage défait, comme prêt aux larmes. « Qu’y a-t-il? » D’abord, vous ne voulez rien dire; je vous presse; enfin vous avouez: vous avez cassé l’astrolabe. Je vous dis tout ce que mérite une telle sottise, car l’objet était un vrai chef-d’oeuvre. Durant un long moment, vous me laissez faire tempête. Et soudain votre visage s’éclaire, vous me regardez avec des yeux pleins de malice, et vous me dites: « Ce n’est pas vrai. L’astrolabe est en parfait état. » Je ne comprends pas: « Mais alors pourquoi? » Et vous, avec un innocent sourire: « Sire, j’aime bien quand vous êtes en colère… »

Et c’est une lecture qui continue de la mettre mal à l’aise…

***

texte écrit pour le Défi du samedi, d’où vient l’illustration ci-dessus.

 

26 commentaires sur « L comme lecture imposée »

      1. c’est ce qui m’arrive quand je cherche désespérément le nom d’un ancien élève… ça me vient tout à coup, out of the blue, au moment où je ne cherche plus 🙂

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      2. je ne sais pas… souvent je ne le situe plus (nombre d’années écoulées, classe, condisciples etc) et je ne sais plus si je lui ai donné cours ou s’il était juste « sous ma garde » comme coordinatrice 😉 et avec une centaine de nouveaux élèves par an, ça fait vraiment foule, en fin de carrière 😉

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  1. Nos lectures imposées ne s’aventuraient pas jusqu’à Montherlant ! Chercher à provoquer la colère de son père me semble si étrange que je me suis précipitée sur le catalogue de la médiathèque, ce ne sera pas pour aujourd’hui !

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  2. Qu’est-ce qui provoque ce malaise ?
    Suis-je trop simple en pensant qu’il s’agit d’une taquinerie qui montre dans quelle confiance se trouvent les relations père/fils.
    L’Astrolabe, c’est aussi le nom d’une librairie parisienne, dans le 2è (c’est comme cela que j’ai recherché l’explication de cette dénomination). J’aime bien la définition de l’instrument : mesurer le ciel et la terre.

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    1. c’est vrai que ce n’est pas cet extrait-là qui me met mal à l’aise, c’est la pièce entière, avec le personnage de Ferrante, son cynisme, ses manipulations, son mépris, son manque d’amour pour son fils…

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  3. Ah je comprends mieux. Mais n’ayant lu de « La reine morte » que l’extrait proposé, je cherchais le pourquoi.
    Il faut dire que Montherlant, ma foi….

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  4. La Reine Morte, comme lecture imposée en FLE, faut oser ! Déjà pour les petits francophones que nous étions, c’était d’un indigeste fini … Il est vrai qu’en néerlandais on nous faisait lire Guido Gezelle et Multatuli , mais c’était avant 1970 😉

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    1. Guido Gezelle, même les petits Flamands ont besoin d’un dico spécial pour le comprendre, c’est très teinté de dialecte ou de mots complètement désuets… vers mes 14 ans j’ai dû apprendre par coeur le poème « Mijn moederken », la prof a dû nous traduire « hiernederwaard » et « lichtdrukmaal » en « standaard Nederlands », alors quel est le sens de faire apprendre ces poèmes-là à de non néerlandophones?
      (Multatuli, tout le Max Havelaar? ou juste le chapitre avec Saidjah en Adinda?)

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  5. Je viens de voir que c’est la pièce entière qui vous met encore mal à l’aise. Je comprends mieux. Car pour ma part, la dernière réplique de l’enfant (sortie du contexte pathétique ) me fait plutôt sourire.
    Vous vous en sortez bien avec cet « astrolabe » – un peu le « presbytère » de Colette, mon « hémistiche »…

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    1. le mot astrolabe ne peut que me faire penser à cette lecture, oui 🙂
      à l’examen oral, le prof m’a demandé de citer la phrase qui définit le mieux Ferrante… pardon? vous croyez que je l’ai appris par coeur, le bouquin?
      ah! les souvenirs 😉

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  6. Il faudrait que je lise « La reine morte » un de ces jours. Mais franchement, ce n’est pas gagné avec toutes les lectures que j’ai devant moi. Le peu que j’ai lu il y a si longtemps de Montherlant (que personne ne m’a imposé), je l’ai oublié à part une impression de profond ennui.

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