C comme communications

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Parmi les affiches exposées à la Villa Empain pour l’expo Flamboyant, il y a celle-ci, réalisée en 1930 par Léo Marfurt pour les Chemins de fer belges. (1)

Vous devinez sans doute ce qui a tout de suite fait rêver l’Adrienne: pouvoir aller d’Ostende à Istanbul, confortablement installée dans un train direct. Avec couchettes et wagon-restaurant.

C’est ce même train – en tout cas cette même ligne – qu’emprunte Stefan Zweig le premier août 1914 pour rentrer chez lui, au moment de la déclaration de guerre. Il monte à Ostende, traverse l’Allemagne, descend à Vienne. 

Ostende, la plage et la mer: contre l’alignement blanc des villas vient se blottir l’infiniment bleu, onde et azur. Entre les deux, multicolore, le tourbillon paisible d’une foule délassée, qui va et vient pour se voir, s’éprouver dans l’air clair et transparent, pour jouir de tout, l’azur et la mer, le luxe et la beauté, l’opulence et le repos. Mais depuis des jours il n’est plus possible de s’y mêler. La journée tout entière est soudain devenue fiévreuse, que l’on passe à attendre, attendre, jusqu’à ce qu’à midi les journaux arrivent, les nouvelles de Paris, du monde. […] On empoigne le journal, on le feuillette, résistant au vent, pour saisir les nouvelles. Les nouvelles seulement! Car dans ces journaux français, il est impossible de lire le reste, cela fait trop mal, ne suscite qu’énervement ou aigreur. Impossible de lire que l’Autriche veut violenter le monde slave, que l’Allemagne, cette brute, a soif de guerre: on ne peut plus lire cela. Cent fois elles nous ont fait sourire, les rodomontades de Paris ou du reste du monde, mais aujourd’hui, en cette heure cruciale, elles deviennent brûlantes, vous embrasent les lèvres, incapables de répondre à la parole imprimée. Tout d’un coup, le français, la langue que l’on a servie au fil des ans par amour et par goût, semble soudain prendre une résonance hostile. On se sent cerné, épié, pris dans un écheveau de contrevérités et de hargne, et l’on sent qu’il n’est qu’une chose qui, désormais, puisse nous délivrer, la fuite, le retour en Autriche.

La fin d’une époque, bien décrite dans ce premier chapitre Retour en Autriche, 1er août 1914 in Stefan Zweig, Seuls les vivants créent le monde, éd. Laffont 2018, traduction de David Sanson. L’extrait cité se trouve p.27-28.

(1) Pour un aperçu de ses affiches voir https://www.ecosia.org/images?q=l%C3%A9o+marfurt

16 commentaires sur « C comme communications »

  1. j’ai adoré regarder les affiches de Marfurt: elles sont finalement bien typées et reconnaissables. Merci pour cette plongée nostalgique dans une Belgique d’autrefois!

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  2. 1. La krapoverie du jour :
    « C’est incroyable comme le mot Stambouliote réchauffe… les beaux draps dans lesquels nous sommes ! »

    2. Ca me plaIrait bien que l’oncle belge qui nous prend comme têtes de Turcs chaque samedi nous propose ce mot lorsqu’il sera rendu à S un de ces quatre ! 😉

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  3. Longtemps j’ai pris le train que des avions sans âme ont aujourd’hui supplanté. Ce n’était ni pour Istambul, ni en première classe, mais le compartiment à six couchettes, partagé avec des inconnus pour une nuit de ballottements rythmés et d’arrêts dans des gares endormies; le lavabo commun pris d’assaut le matin, les valises casées tant bien que mal, l’arrivée aux aurores. Et il était direct de Bruxelles à Milan, ou Avignon, ou Toulon.
    Était-ce le bon temps ? Probablement pas plus qu’aujourd’hui, mais nous étions jeunes …

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    1. oui, jeunes et fauchés nous avons pris le train Bruxelles-Milan, nous avons passé la nuit assis sur des banquettes de bois 😉
      je me souviens aussi d’un Bruxelles Narbonne avec cabine 6 couchettes 🙂

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