Chère Albertine, mon cher amour, j’ai peur de manquer d’argent, d’abord parce que comme tu le sais mon art ne paie pas, mon travail sur Ruskin m’a coûté plus qu’il ne m’a rapporté, je suis le bouc émissaire de cet incompétent de Gaston Gallimard qui ne me fait signer que des contrats masochistes et prétend ne pas s’y retrouver dans mes paperoles – et je ne parle même pas de mes articulets d’une page dans le Figaro ou pour la Nouvelle Revue Française, qui ne me valent que la compassion hautaine du Faubourg Saint-Germain – et d’autre part mon asthme me coûte fort cher, presque autant que mes sorties en automobile avec Agostinelli et mes bains de mer à Combourg ou Balbec, ce qui est d’autant plus absurde que je préfère de loin rester dans ma chambre et me faire soigner par Céleste Albaret et son fameux bœuf mode, avec de temps en temps une petite sortie sur les Champs-Élysées où je ne manque jamais de rencontrer Charlus en route vers une maison de passe, ou quelqu’un du clan Verdurin pour m’entretenir de musique, de peintres italiens à la mode, de politique, de Dreyfus ou de philosophie, avec plus de snobisme que les domestiques de la famille de Guermantes – ce qui n’est pas peu dire, comme tu le sais – ou voir Georges Clemenceau s’essayer à la bicyclette, alors qu’il a trente ans de plus que moi, et je ne peux que regretter la cruauté du sort qui me donne un corps aussi peu fait pour les hardiesses sportives, les sensations fortes ou les prouesses que demandent la galanterie, les plaisirs et l’ivresse du libertinage, ce corps me donne au contraire des éternels sentiments de culpabilité, des ennuis avec les demoiselles du téléphone quand j’ai besoin de l’aide de la médecine, sans compter les drames du coucher, que je vis chaque nuit depuis l’enfance, depuis mon petit lit de Combray chez ma tante Léonie, dont les seules réminiscences positives sont celles de l’heure du goûter et de la petite madeleine, ce qui – ô ironie ! – va tout de même m’offrir la matière, le travail de mémoire, les noms de lieux et de personnages d’une œuvre à laquelle je réfléchis actuellement, dans le train qui m’emmène à Venise, pour me remettre de cet affreux duel sur le pré derrière l’église, et des mensonges colportés à mon égard – m’accuser d’exhibitionnisme, moi qui n’ôte même pas mes vêtements pour dormir ou pour prendre un bain ! – c’est en de pareilles occasions que je me dis qu’il vaut mieux pour ma mère de n’être plus de ce monde, quel mal lui feraient ces phrases inspirées par la jalousie et ses tristes lois humaines, à Paris peut-être plus encore qu’ailleurs, selon mon impression… mais voilà que je te parle un langage qu’on n’utilise d’ordinaire pas avec les jeunes filles et je me promets de ne plus t’entretenir que de fleurs, de rendez-vous au Ritz et de ce petit voyage pour aller admirer le Vermeer de Delft – vision de rêve qu’il faut observer en vrai et pas en photographie…
Remets mon bonjour à notre ami Charles Swann et dis-lui que ma prochaine publication est en route, dans laquelle j’espère faire mieux que mon Jean Santeuil ou Contre Sainte-Beuve, mieux que mes maîtres Flaubert et Dostoïevski, mille baisers de ton Marcel, futur prix Goncourt.
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Les 100 mots de Proust, consigne de Joe Krapov, mille mercis à lui 🙂
Voici une liste de cent mots qui se rapportent à Marcel Proust. Il vous est demandé d’en inclure un certain nombre dans un texte dont les verbes seront à l’imparfait ou au présent et où les phrases auront une longueur certaine

Albertine – Amour – Argent – Art – Asthme – Automobile – Bains de mer – Baiser – Beauté féminine – Bicyclette – Bouc émissaire – Bœuf mode – Cabourg-Balbec – Céleste Albaret – Chambre – Champs-Élysées – Charlus – Clan – Clemenceau (Georges) – Combray – Compassion – Contrat masochiste – Corps – Cruauté – Culpabilité – Demoiselles du téléphone – Domestiques – Dostoïevski (Fiodor) – Drame du coucher – Dreyfus (affaire) – Duel – Église – Enfance – Exhibitionnisme – Faire catleya – Faubourg Saint-Germain – Féminité – Fétichisme – Figaro (Le) – Flaubert – Fleurs – Francité – Galanterie – Goûter – Guermantes (les) – Guerre de 1914-1918 – Hardiesse – Homme-femme – Homosexualité – Impression – Impressionnisme – Incorporation – Instruments d’optique – Ivresse – Ironie – Jalousie – Je – Jean Santeuil – Jeunes filles – Langage – Léonie (tante) – Libertinage – Lieux – Lois humaines – Madeleine (Petite) – Maison de passe – Mal – Médecine – Mémoire – Mensonge – Mère – Métaphore – Moyen Âge – Musique – Noms – Nourritures – Nouvelle revue française – Nuit – Odorat – Paperoles – Paris – Pastiches – Peintres italiens – Personnages – Philosophie – Photographie – Phrase – Plaisir – Plaisirs et les Jours (Les) – Politique – Prix Goncourt – Publication – Réminiscence – Rêve – Ritz (hôtel) – Rivière (Jacques) – Ruskin (John) – Sainte-Beuve – Saphisme – Sensation – Sexualité – Signes obscurs – Snobisme – « Suave mari magno » – Swann (Charles) – Temps – Train – Venise – Verdurin (les) – Vermeer de Delft – Vision – Voyeurisme
J’en ai employé environ quatre-vingts, spéciale dédicace à Maître Walrus, qui adore se moquer du petit Marcel 🙂
En juin 2013 j’avais publié déjà deux petits extraits de cet ouvrage, N comme nourritures et I comme ivresse.
Bravo à vous, qui aimez tant les textes concis.
😉
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Merci, je me suis quand même bien amusée 🙂
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Marcel, sors de ce corps !
Au début de ma lecture, j’ai cru que tu citais une lettre de cet individu ! Bon, après, il y avait une accumulation de références à son « œuvre » un peu suspecte.
N’empêche, c’est tellement lui que j’y ai cru !
Tu es vraiment très douée (mais je le sais depuis longtemps) !
Je t’embrasse
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Merci, bises et bonne journée à vous deux !
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Tu es allée voir à quoi ressemblait le côté de Guermantes, ce week-end ? 😉
Je n’ai pas pu car j’ai gardé mes habitudes somnolentes.
Oui, longtemps je me suis couché de bonne heure…
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je n’ai pas trouvé le temps 😉
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Waouh !
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LOL j’aurais bien aimé faire la totale 😉
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Tu ne pouvais pas, on n’a pas retrouvé Albertine. 😉
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Bravo, Marcelle !!!
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tu me rappelles qu’autrefois je suivais le blog de Marcelle Pâques (poétesse belge) mais que j’ai perdu sa trace depuis que les skynetblogs ont disparu…
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Moi, ce sont des rudiments d’arabe qu’une Marcelle m’a inculqués …
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Trouvé que ceci :
http://jonquilles.simplesite.com/
Mais ce n’est pas vraiment un blog
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Une Belle performance !
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c’est simple à faire, si tu me donnes des mots, je fais du texte LOL 🙂
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Prout ma chère, qu’en (in)term(inabl)es élégants, ces choses là sont dites ! Bravissimo !
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demain je reviens à la concision 😉
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Il n’est pas allé très longtemps chez sa tante Léonie, son asthme n’aimait pas les foins. Tu es vraiment douée pour faire revivre Marcel.
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on sait tant de choses sur sa vie que ce n’est pas très compliqué de l’évoquer 🙂
merci pour les mots gentils
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Ce qui est fort estimable ici, c’est la façon dont on prend un soin permanent de notre oncle Walrus !
Là tu l’as gâté ! Bon dimanche à toutes et à tous !
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j’espère qu’il a ri 🙂
merci, bonne fin de journée!
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Tu me connais, je sais pas rire avec Marcel !
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Dommage 🙂
Qu’il prenne son bain sans se mettre tout nu, ça m’a fait rire 🙂
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Moi aussi, mais je ne peux pas le dire, j’ai des principes !
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🙂
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Chapeau bas! J’ai vraiment cru au début que c’était un vrai texte de l’auteur!
Quel talent!
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tous les mots étaient donnés 🙂
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J’ai relu ton texte (je suis un relecteur compulsif) avec beaucoup d’attention et, finalement, ce que j’ai le plus apprécié, ce sont ces trois petits points de suspension au bout de ta phrase kilométricoproustienne. Tu as du génie (contrairement à ce maudit Marcel).
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oui aux points de suspension on se dit ‘ouf! c’est fini’ 😉
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Une longueur certaine, la phrase! 🙂
Consigne parfaitement respectée, comme d’habitude. Bravo!
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Merci, Loulou 🙂
Oui j’ai dû me forcer à faire long!
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Mille et un bravos : moi aussi j »ai cru à un texte original de Prout… oh pardon : PROUST.
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Merci, c’est gentil 🙂
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