Z comme zone de nuit

La chambre occupée de deux à huit ans a une fenêtre à main gauche, avec vue sur les toits. L’hiver, elle laisse passer de l’air froid. A main droite, le lit cage du petit frère. Il réussit tout de même à en sortir.

La chambre occupée de huit à vingt et un ans a une fenêtre à droite, avec vue sur la campagne. Des rideaux gris clair dessinent d’étranges ombres sur l’armoire en face du lit.

La chambre chez les grands-parents, où le lit en bois sculpté est si haut qu’on a du mal à grimper dedans. C’est celui de l’arrière-grand-père. Il a un matelas dans lequel on s’enfonce profondément. De l’armoire s’échappent des odeurs de ouate thermogène, supposée éloigner les mites.

La chambre chez une cousine du père où on est envoyée un été pour apprendre le néerlandais « standard ». On se souvient juste du coin près de la porte où est posée la valise, que la cousine a fouillée: elle a constaté que la mère n’avait pas prévu assez de petites culottes pour la quinzaine de jours.

La chambre de l’appartement de l’oncle, à la mer, avec ses odeurs si particulières et le sable qui s’incruste jusque dans le lit, malgré toutes les précautions.

La chambre d’hôtel d’un été à Saint-Jean-le-Thomas, deux fenêtres, deux grands lits, un lavabo et un bidet dans lequel le petit frère reçoit son bain.

La chambre dans la chapellerie, avec ses hauts plafonds et ses deux fenêtres sur la rue. Une nuit dans ce lit a quelque chose d’impressionnant et de solennel. On sait que c’est celui où la petite Ivonne est morte à 30 ans. On sait que la dernière à l’avoir vue vivante, c’est la voisine d’en face. Par cette fenêtre-là, précisément.

La belle chambre avec vue sur le magnolia soulangeana pendant la première année à l’université.

La chambre sous les toits, chez les futurs beaux-parents, où le vent et la pluie sur le velux empêchent de dormir.

***

inspiré par l’atelier d’été de François Bon, consigne numéro 1, à la manière de Georges Perec, Les lieux où j’ai dormi.

Photo du soulangeana dans le jardin d’avant, comme celui de la Maria-Theresiastraat.

38 commentaires sur « Z comme zone de nuit »

  1. Bravo pour votre texte. Je ne sais pas si j’ai connu autant de chambres que vous., mais en tout cas, cette nuit, la pluie sur les velux a dû en empêcher beaucoup de dormir.
    🙂

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  2. Il suffit d’une photo de magnolia pour que les souvenirs d’un passé qui ressemble au vôtre se fassent présents, un peu trop présents. Ici et maintenant ce sont lauriers roses et oliviers.

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  3. Se souvenir des chambres où l’on a dormi … j’ai encore en mémoire quelques ambiances et quelques odeurs !
    St Jean le Thomas, dans la Manche ? je connais bien, j’y ai passé des vacances alors que j’étais toute petite.

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    1. oui, c’est ça, dans la baie du Mont-Saint-Michel 🙂
      j’ai déjà fait un billet où je parle de la colère de monsieur Redon, quand on évoquait devant lui l’omelette de la mère Poulard, « je vais vous en faire, moi, de l’omelette à la mère Poulard, c’est du vent, rien que du vent! »
      j’en ai des souvenirs très forts, et aussi de leur chienne Gita qui un jour m’a suivie à la plage 🙂

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  4. La réponse de Proust à ce questionnaire :

    « Aucune ! Et pourtant je me suis longtemps couché de bonne heure ! »

    Le sommeil c’est comme France-Suisse : quand ça ne vient pas, ça ne vient pas !

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  5. Pour moi comme pour tous, des flots de souvenirs!
    Celui-ci par exemple:
    Placée chez une cousine à la naissance de ma plus jeune sœur, je couche dans une chambre sous les toits avec mon frère ainé. Les lumières des phares des voitures dansent au plafond.
    « On dirait que la maison brûle » dit-il!
    Je n’ai pas peur, je sais que ce n’est pas du feu. Mais je le raconte le lendemain à Tante Anna.
    Pauvre frérot, il s’est fait méchamment gronder pour m’avoir effrayée! Et on ne m’a plus laissée dormir avec lui!

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    1. ce n’est pas toujours évident pour l’adulte s’il doit intervenir ou pas dans ces petites choses qui se passent entre enfants… je pencherais pour l’intervention 😉
      (je pense au petit Léon et à ses peurs enfantines que son grand frère entretient ou alimente)

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  6. Ah, le nom de cette rue de Louvain réveille des souvenirs.
    Chouette, ton texte à la Perec. En le lisant, je me suis souvenue de bien des chambres où j’ai dormi avant mes vingt ans.

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