M comme matricule 5479

Il s’appelle Charles comme son père et fait partie des conscrits de 1808, arrivé « au corps« , à Strasbourg, comme le précise le registre dûment tenu et consultable ici, le 28 octobre 1807.

Né en octobre 1788, il a donc 19 ans.

De sa ville natale – celle de l’Adrienne – jusqu’à Strasbourg, il y a plus de 500 km. On imagine le triste cortège.

Il est journalier, cette sorte de pauvre hère qui ne peut envoyer un autre se faire tuer à sa place.
D’ailleurs, son frère aîné, François, né en 1782, a été appelé à servir « le premier consul » déjà en 1803. Lui, c’est le 21 frimaire de l’an 12, dit le registre toujours très précis, qu’il est arrivé « au corps« .

Quand Charles arrive à Strasbourg quatre ans après son aîné, le « premier consul » est déjà « empereur des Français », « roi d’Italie » et autres titres qui sont tellement plus beaux quand on se les sert à soi-même.

Et après? vous demandez-vous. Sont-ils rentrés chez eux, pleins d’usage et raison, vivre entre leurs parents le reste de leur âge?

Charles est mort à Pampelune à l’âge de vingt ans et dix jours, le 29 octobre 1808. (1)

Quant à François, le registre reste vague: « mort ou fait prisonnier ». Qu’importe, n’est-ce pas.

Bref, à part ces deux-là qui portent son nom de famille, l’Adrienne a déjà recensé deux cents jeunes gars nés dans sa petite ville (2) tous envoyés se faire tuer pour la gloire d’un type qu’on fête cette année.

***

(1) Mais ce n’est qu’un an plus tard, le 13 juillet 1809, qu’un « extrait mortuaire » a été adressé « au maire de sa commune ».
Il fallait beaucoup plus de temps à un bout de papier qu’à un homme pour aller de Pampelune à sa petite ville de Flandre.
Ou l’inverse.

(2) 200 gars envoyés au casse-pipe, sur une population qui vers 1800 ne comptait qu’environ 9400 habitants

29 commentaires sur « M comme matricule 5479 »

      1. L’oeil sur la Flandre de Joyce Azar est une courte séquence qui ne dure que quelques minutes. Hier, c’était juste drôle parce que la journaliste parlait d’un sujet que vous aviez évoqué mais vous ne devez pas vous sentir obligée d’écouter.

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  1. Prions pour que l’Europe « nous fiche encore la paix » longtemps. Mais c’est loin d’être gagné !

    De « va de la gueule » à « va-t-en guerre », il n’y a pas loin dans le dictionnaire ! 😉

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  2. Ah oui, l’empereur des Français… Il a mis l’Europe à feu et à sang. De combien de morts est-il responsable?
    Et combien ont coûté ses compagnes militaires? Il ne pouvait pas se contenter de s’occuper du code civil et autres travaux pacifiques… Je ne suis pas particulièrement fière de lui. Ceci étant, mes quatre grands parents étant venus de Pologne dans les années 1920, je n’ai peut-être pas à déplorer de morts d’ancêtres par sa faute… Quoique… beaucoup de Polonais s’étaient engagés dans l’armée napoléonienne.

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  3. Les photos sont plus expressives qu’un numéro de matricule. Merci pour cette histoire. Que de familles privées à jamais de leurs jeunes hommes !
    C’est formidable de mettre des registres en ligne, comme le fait l’armée française. Cela me rappelle la visite faite à la Défense (belge) pour consulter le dossier militaire de mon père, ce qui fut très émouvant.

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    1. j’ai choisi ces photos pour symboliser ce que ces jeunes gars ne connaîtront jamais, vu leur mort précoce.
      (oh oui j’imagine que ce doit être très émouvant, j’aimerais voir ça moi aussi, de certains membres de ma famille!)

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  4. Il y a aux Archives de l’Etat à Liège une collection de lettres de conscrits, que j’ai un peu parcourues jadis pour un travail d’histoire, dont je dois encore avoir une copie quelque part. Ce sont des témoignages émouvants où l’on touche du doigt les dures réalités du temps.

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  5. Sûrement ! Et dans le cas des 200 dont je donne ici deux exemples, combien peu savaient écrire ! Pas de nouvelles à la famille, pas de trace écrite de leur main.

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