
Le 10 mai 1940, comme bon nombre de Belges, les quatre futurs grands-parents de l’Adrienne étaient prêts à se jeter sur les routes en direction de la France.
Côté paternel, à la chapellerie, chacun était paré : les deux gamins portaient fièrement leur petit sac à dos de scout et le plus jeune se trouvait investi de la mission de confiance, le transport du pique-nique. Du pain, du saucisson.
Prêts à partir à pied pour l’aventure.
Mais au dernier moment, alors qu’ils étaient déjà tout harnachés au seuil de la porte, le père a changé d’avis : tous ces pauvres gens qui remontaient sa rue en direction du sud avaient l’air d’être déjà en bout de course, exténués et hagards. Ce n’étaient plus les belles voitures du début, ni les attelages, mais des charrettes à bras et de tristes baluchons. Comme le leur.
Alors il est rentré et a déclaré qu’ils resteraient là, finalement.
C’est le gamin au saucisson qui en a été le plus déçu.
Il avait 12 ans.
De l’autre côté de la ville, chez grand-mère Adrienne, on ne cessait de peser le pour et le contre : en fait, grand-père était pour, grand-mère était contre. Elle s’imaginait la soldatesque allemande dans sa maison et cette idée lui était intolérable :
– Il n’est pas question, déclara-t-elle finalement, il n’est pas question que je leur laisse ma machine à coudre toute neuve !
Une Singer qui venait précisément des usines berlinoises.
C’est ainsi que des deux côtés de la famille de l’Adrienne on a continué à faire ce qu’on faisait très bien depuis des siècles : ne pas quitter la ville où on était né.
***
écrit pour le Défi du samedi n°697, où Walrus proposait le mot ‘nomade‘. Merci à lui!
La Singer, la suite de son histoire et sa photo sont dans ce billet de 2015.
Pourtant bouger parfois ça fait du bien d’aller voir ailleurs … c’est aussi enrichissant et de revenir chez soi la tête bien remplie et relativiser …
Bon lundi Adrienne
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Des vacances, oui, c’est différent 😉
Bonne journée !
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La peur est une émotion bizarre. En 1940, elle en a fait fuir certains tandis qu’elle en a fait rester d’autres.
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Exactement 🙂
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A quoi tient le destin !
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c’est sûr… où et quand on est né, quel nom on porte…
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Une machine à coudre, c’est moins évident et tellement plus romanesque ! Il y a un peu d’Irène Nemirovsky dans cet exode manqué. 🙂
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Suite française est éminemment romanesque, avec le manuscrit trouvé dans la valise, cinquante ans après 🙂
un très beau livre, d’ailleurs, et tout à fait poignant.
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Des choix compliqués, ainsi la famille de mon oncle a décidé d’envoyer, en vélo, les deux fils de 15 et 17 ans au sud de la France tandis que les parents restaient chez eux.Tous ont survécu, la machine à coudre inclue:-)
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15 et 17 ans! à vélo jusqu’au sud de la France! au moment où les Allemands envahissent le pays!
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Oui et mon oncle était intarissable sur cette épopée, tu penses!
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il aurait dû en faire un livre, je l’aurais lu avec intérêt!
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En juin 1940, c’était la période du bac. Avec l’avancée des Allemands, le ministère de l’éducation nationale français avait décidé que tout élève muni d’une pièce d’identité pouvait se présenter dans n’importe quel centre d’examen. C’est ainsi qu’on a vu arriver (à Orléans par exemple où mon grand-père était prof) des jeunes de 16-17 ans à vélo et avec leur Gaffiot sur le porte-bagage !
Mon oncle, lui est parti à vélo à Bordeaux pour passer l’oral de Polytechnique.
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c’est fou!
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Une décision difficile à faire : partir ou rester. Ma mère était enceinte, le choix a été vite fait !
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oui toutes sortes de circonstances jouent dans ces décisions!
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Combien d’enfants, combien de parents vivent aujourd’hui les mêmes interrogations tragiques ?
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c’est de tous les temps, oui
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Et l’histoire ne cesse de se répéter. Aujourd’hui, c’est dans les vallées inondées que la question se pose: partir ou rester, revenir ou pas ? Les premiers réfugiés climatiques de ma région vivent aujourd’hui dans des centres d’accueil …
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c’est une chose inimaginable
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Oui, il faut le voir pour le croire.
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Comme il devait être difficile de prendre des décisions au milieu de toute cette tourmente !
Mon grand père paternel a été prisonnier de début à la fin de la guerre, je n’en sais pas plus sur la vie de tous mes grands parents à cette époque.
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ah oui, selon la génération à laquelle on appartient, on est appelé sous les armes et fait prisonnier, comme mon beau-père, ou on est le gamin au saucisson, comme mon père…
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Ah dis donc quand même ! Ils ont raté l’occasion ou jamais de rencontrer Georges Simenon à La Rochelle ! 😉
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je n’ai jamais eu l’idée de demander où ils comptaient se rendre (mais sans doute pas à la Rochelle, personne dans la famille n’avait le pied marin ;-))
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Ma mère était jeune, elle était réfugiée en Alsace, et mon père qu’elle ne connaissait pas encore allait finir dans un camp en Pologne, on ne peut pas dire qu’ils étaient en vacances.
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loin de moi l’idée de comparer 40-45 à des vacances!
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Mes grands-parents n’ont pas bougé de leur ville minière du Pas-de-Calais en 1940.
Il faut dire qu’ils avaient déjà fait un grand voyage depuis la Pologne pour venir en France dans les années 20… Alors, ras-le-bol?
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oui j’ai lu ce genre de témoignages chez d’autres, et aussi en littérature, certains écrivaient qu’ils se sentaient « arrivés », ne voulaient plus continuer et se sentaient (parfois faussement) en sécurité.
Des Russes « blancs » aussi, arrivés chez nous dans les années 20
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Ma belle-mère était intarissable sur l’exode de sa famille et sur ses aventures en chemin quand elle a continué seule, à vélo, pour retrouver sa soeur à Lourdes. Bravo d’avoir gardé cette machine historique !
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je ne sais pas, chaque fois que je la regarde, l’époussette etc je me dis « mais quelle idée j’ai eue de la garder » et en même temps je ne voudrais pas ne pas l’avoir fait 😉
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au point que je me dis que l’histoire va se répéter et qu’à cause de cette machine, je n’irai jamais habiter dans un appartement 😉
(déjà maintenant elle encombre, en fait ;-))
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tu nous feras un billet là-dessus, PLEASE?
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Rester, pas simple non plus. La machine à coudre a plusieurs utilités, en période de guerre. Enfin, j’imagine déjà….
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oui, surtout une machine qui n’a besoin d’aucune autre source d’énergie que celle de l’humain(e) qui actionne la pédale 🙂
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La photo est particulièrement craquante.
J’adore la frimousse de celui du milieu 🙂
•.¸¸.•*`*•.¸¸☆
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c’est mon père 🙂
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Ce soir, l’invité de L’Heure Bleue sur France Inter est un belge néerlandophone, il parle notamment de son grand-père au moment de la guerre de 14, c’est un écrivain. Je pense à vous et imagine que cela pourrait vous intéresser. Je viens d’entendre son nom, je l’écris comme j’ai compris : Stephan Hertmans.
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ah oui, il a écrit un livre basé sur les carnets tenus par son grand-père, ancien combattant de 14-18, Oorlog en terpentijn, je crois qu’il a été traduit en français par Guerre et térébenthine (il était peintre)
Merci!
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C’est très fort toutes ces histoires familiales, la tienne, celles des commentateurs. Toutes ces vies affectées par la guerre.
Les récits n’étaient pas semblables dans ma famille, la Suisse n’a pas connu d’occupation, ni d’exode en 40.
Mes parents évoquaient les privations, le black-out et les alertes lorsque les avions s’approchaient, le bruit des bombes dans le lointain, les pères et les frères partis surveiller les frontières…
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Heureux Suisses 😉
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