7 phrases

Tout pilote de combat américain comprenant la quintessence de la guerre doit avoir pris du plaisir à bombarder Sofia le 30 mars 1944: une ville splendide, accro au jazz et au foot, vivante comme jamais, habitée par des gens dont le talent pour la joie avait déjà souvent été mis à l’épreuve mais qui persistaient à rire malgré tout. Se plaindre de la vie était plutôt une occupation de nantis, par sentiment de culpabilité. Mais que ce soit la guerre ou la paix, quand le joyeux virtuose Sasho Sladoura prenait son violon, c’était le swing et le « schwung » dans les cafés où il jouait, le paradis à moitié prix. […] en moins de cinquante ans, la modeste bourgade de onze mille habitants s’était métamorphosée en un début de métropole comptant trois cent mille âmes. Voilà qui augmentait considérablement les chances des soldats américains de faire mouche. Même pour un tireur souffrant de strabisme il y avait des lauriers à glaner. Même une balle perdue pourrait encore abattre quelque chose de beau, un enfant, qui sait.

Elke Amerikaanse gevechtspiloot die de kwintessens van oorlog vatte, moet het een plezier hebben gevonden om de dertigste maart 1944 Sofia te bombarderen: een prachtige stad, verslaafd aan jazz en voetbal, levendig als nooit voorheen, bevolkt door mensen wier talent voor vrolijkheid al vaker op de proef was gesteld maar die ondanks alles volhardden in de lach. […] de stad was op een kleine vijftig jaar tijd van een bescheiden gemeente met elfduizend inwoners in een driehonderdduizend zielen tellende beginnende metropool gemetamorfoseerd. Zoiets verhoogde de kansen van de Amerikaanse soldaten op een voltreffer aanzienlijk. Zelfs voor een schele schutter viel er eer te rapen. Ook met een hopeloos verdwaalde kogel viel iets prachtigs nog, een kind misschien, kapot te schieten.

Dimitri Verhulst, Het leven gezien van beneden (La vie vue d’en bas), Atlas Contact, 2016, pages 15-16 (traduction de l’Adrienne)

Le livre n’a pas encore été traduit en français, on peut lire ici les premières pages en néerlandais.

27 commentaires sur « 7 phrases »

  1. Tout est si joliment exprimé. « Même pour un tireur souffrant de strabisme il y avait des lauriers à glaner. »
    Merci pour votre traduction et bon dimanche.

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  2. Les Américains ne risquaient pas de rater grand-chose avec leur technique du « carpet bombing », à Saint-Ghislain, pour détruire la gare de formation, ils ont rasé tout le patelin (ou presque).

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  3. Oh oui je voudrais bien que tu continues la traduction
    Parfois je me demande si le monde a encore « le talent pour la joie » et le savoir faire de la partager cette joie de vivre …
    Bonne journée Adrienne

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    1. alors je continue 🙂
      « Dans les Balkans, on avait toujours porté le cœur dans la région du ventre, à hauteur de l’estomac, et on continuerait à le faire. Mange était une occupation des plus élevées, en concurrence avec le jeu d’échecs. L’inventivité était la réponse logique de chaque cordon-bleu à la pénurie sur le marché alimentaire, en ces dernières et épuisantes journées de guerre. C’est en temps de sobriété que le Chef se distingue du gâte-sauce. L’air qui se remplissait de l’escadre de Mustang et de Lightning mortels devait donc encore être imprégné des fumets de milliers de plats cuits au four: le dernier et heureusement délicieux repas de 139 innocents qui devaient payer de leur vie parce que leurs gouvernants avaient léché le cul d’un fou autrichien. Aucune cible militaire n’avait été atteinte par les Américains ce 30 mars 1944, ils ne l’avaient même pas essayé. Ils étaient partis en guerre contre le fascisme et faisaient tomber leurs bombes au hasard, comme les corneilles leurs cacas, au-dessus du centre de l’oblast où orthodoxes, catholiques, musulmans et juifs vivaient ensemble, dans le respect mutuel, partageant leur amour du fromage de chèvre et de l’art du dribble de Vasil Spasov. Pas un seul juif n’avait été livré aux nazis par les citoyens bulgares. La Bulgarie comptait même plus de juifs à la fin de la guerre qu’avant. Le gouvernement avait vendu son âme au Führer mais la population n’avait pas accepté qu’un seul wagon ne parte en direction des camps et s’était attachée aux rails, au péril de sa vie, pour empêcher la circulation des trains vers les « parcs d’abattage ». Avec succès. » (pages 16-17)

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    2. fin de ce chapitre:
      « Hélas, rien que des emmerdements en remerciement, c’est la tradition, la bonté véritable n’attend rien en retour et le petit peuple de Sofia se remettait pour la quatrième fois ce mois-là de ses habitations bombardées. Les écoles, les bains publics, la bibliothèque nationale, la faculté de théologie, le musée des sciences naturelles, le tribunal, la banque agricole, longue est la liste de tout ce qui avait été réduit en poussières que la population pouvait inhaler et expectorer. Pour le plus grand plaisir du régime communiste qui s’apprêtait à prendre la relève et pour lequel il serait d’autant plus facile d’accomplir sa tâche idéologique en remplissant bientôt la ville d’affreux et déprimants blocs de béton. » (pages 17-18)

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  4. Alors imagine la joie d’un servant de batterie profitant d’un séjour en Ukraine offert par son gouvernement lorsqu’un missile a fait mouche directement sur un supermarché et un autre sur une école !
    Ah… La guerre… Des joies simples.,
    A la portée de n’importe quel type à qui on donne des armes en lui expliquant qu’il lutte pour « Le Triomphe du Bien »… 😉

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  5. Vu sous un autre angle, je me demande en passant dans certains coins si un bombardement n’améliorerait pas réellement le paysage.
    Je ne veux pas de mal aux habitants de La Courneuve ou de la cité des Francs Moisins à Saint Denis, mais si, après une évacuation forcée, un bombardement abattait ces monstrueuses barres de béton, ce serait probablement un bienfait.
    Je me demande chaque fois comment on a osé faire vivre des gens dans des clapiers comme ça !
    Je me demande si on ne prend pas plus de soin à l’habitat des poules en batterie qu’à celui des humains dans nombre de « cités ».
    Le seul moment où on les dit « cités sensibles » c’est quand la maréchaussées est obligée d’intervenir…
    Bref.

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  6. Lire cet extrait après avoir vu le documentaire  » Hiroshima,la véritable histoire » sur la chaîne franco allemande ARTE, ça fait froid dans le dos, à nouveau. Je vais éviter de voir les infos ce soir 😉

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