7 phrases

C’était pendant la première année du nouveau millénaire que j’ai eu en mains un livre qui m’a fait comprendre que pendant vingt ans j’avais habité dans la maison d’un ancien SS. Non que je n’aie reçu quelques signes: même le notaire, le jour où nous avions visité la maison ensemble, avait évoqué en passant les habitants précédents; je n’y avais prêté que peu d’attention. Peut-être que je le refoulais, imprégné comme je l’étais depuis des années par les poèmes douloureux de Paul Celan, les témoignages de Primo Levi, les innombrables livres et documentaires qui vous laissent sans voix, par l’impossibilité de toute une génération de décrire l’impensable. Là je voyais mes souvenirs intimes envahis par une réalité que je pouvais à peine m’imaginer, mais que je ne pouvais plus repousser. C’était comme si des spectres surgissaient dans les pièces que j’avais si bien connues; je voulais leur poser des questions mais ils passaient au travers de moi. Rien ne me déplaisait plus qu’écrire sur cette sorte de gens qui se mettaient à hanter ma propre vie.

Stefan Hertmans, De Opgang, De Bezige Bij, 2020, p.7 (incipit) Traduction de l’Adrienne.

Het was in het eerste jaar van het nieuwe millennium dat ik een boek in handen kreeg waaruit ik begreep dat ik twintig jaar in het huis van een voormalige ss-man had gewoond. Niet dat ik geen signalen had gekregen: zelfs de notaris had me, op de dag dat ik het huis met hem bezocht, terloops op de vorige bewoners gewezen; ik had er toen weinig aandacht voor. Misschien verdrong ik het ook, doordrenkt als ik jarenlang was geweest van de pijnlijke gedichten van Paul Celan, de getuigenissen van Primo Levi, de talloze boeken en documentaires die je sprakeloos achterlieten, de onmogelijkheid van een hele generatie om het ondenkbare te beschrijven. Nu zag ik mijn intieme herinneringen doordrongen raken van een werkelijkheid die ik me amper kon voorstellen, maar die ik ook niet meer kon wegduwen. Het was alsof er schimmen opdoemden in de kamers die ik zo goed had gekend; ik wilde ze vragen stellen, maar ze liepen dwars door me heen. Niets stond me zozeer tegen dan schrijven over het soort mens dat nu als een spook door mijn eigen leven begon te banjeren.

Stefan Hertmans, De Opgang, De Bezige Bij, 2020, p.7 (incipit)

Lire les premières pages en néerlandais ici – a paru chez Gallimard sous le titre Une Ascension dans une traduction d’Isabelle Rosselin, info ici et lecture des premières pages en français d’Isabelle ici 🙂

22 commentaires sur « 7 phrases »

  1. ça doit faire un drôle d’effet dans la réalité
    Un jour j’ai failli acheter un pied à terre dans le Cézallier au milieu de nulle part où je faisais des rêves de vie
    Bien m’en avait pris de réfléchir surtout quand j’ai su par une ancienne du pays que la famille avait mis cette maison en vente car le fils de la maison s’était pendu dans la grange attenante
    J’en ai encore des frissons dans le dos
    Bonne journée Adrienne 🙂

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  2. Tu me rappelles que mon beau-père resemblait énormément à Primo Levi.
    Et lui, ce qui l’effrayait, c’était les Russes.
    Ils l’avaient « délivré » de telle façon qu’il en avait gardé un souvenir tel que, disait-il à ses filles « Si les Russes arrivent, je vous tue de mes propres mains ! »

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  3. Je suis clairement rationaliste, laïque et tout et tout, mais je ne pourrais pas habiter dans l’immeuble de l’avenue Louise à Bruxelles où siégeait la Gestapo, ni dans une maison où des gens ont été assassinés.

    Je sais évidemment que les murs, les briques, les plafonds, et tout le reste n’ont rien gardé de matériel ou de « magique » des drames qui se sont produits dans ces lieux, mais c’est l’idée, le fait d’y penser…

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  4. Nous avions un pied à terre à Montréal pour le travail avec 3 autres personnes. Quand nous avons loué l’appartement il était vacant depuis des mois. Un jour en allant au dépanneur d’en face on nous a dit que le gars qui demeurait là avait tué et décapité son amie dans le bain. Impossible de rester là tout nous semblait lugubre. Peut-être l’imagination mais impossible quand même.

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