D comme diapason

Participer à une manifestation en faveur des retraités alors qu’on n’a que vingt-deux ans peut sembler irrationnel – et ça l’est, de fait, mais on aura largement besoin de quarante années pour perdre ses illusions concernant le galimatias des politiciens et le baratin des syndicats – à vingt-deux ans, donc, l’Adrienne est montée dans un bus avec d’autres hurluberlus, direction Bruxelles, the place to be pour tous les évènements de cette sorte.

Des bus et des trains pleins de profs, vous voyez le genre de manif, début des années quatre-vingts : pas de jets d’œufs ni de tomates, pas de poids lourds pour bloquer le trafic, pas de farandoles de casseurs, pas de zoulous pour mettre le feu aux bagnoles, pas de baston, rien que des gens sérieux en costume cravate, comme s’ils allaient à un colloque sur les « schémas d’aménagements pédagogiques pour des troubles de dyslexie », le genre de choses que font ces gens-là de leur plein gré le samedi, journée que d’autres consacrent aux courses et aux galipettes.

– Y a pas de raison que tu ne viennes pas ! avait dit Norbert – lui non plus n’avait pas l’élixir de longue vie, il est colocataire des anges dans le ciel depuis l’an dernier – toi aussi un jour tu seras retraitée, ça nous concerne tous, jeunes ou vieux…

Puis l’argument définitif, un beau décasyllabe : « Et c’est une question de solidarité ! »

L’Adrienne ne pouvait que se mettre au diapason de tant de noblesse d’âme et c’est sur ce quiproquo qu’elle a défilé dans les rues en se demandant à chaque pas que diable etc. dans cette galère.

Et tard le soir – Youpi ! – on rentre avec la satisfaction du devoir accompli et un torticolis.

***

Écrit avec 20 des mots proposés par Joe Krapov, merci à lui:

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En illustration, d’autres galipettes, parce qu’on ne se lasse pas de Sempé et du petit Nicolas 🙂

38 commentaires sur « D comme diapason »

  1. Marrant, moi aussi j’ai participé deux fois à une manifestation, la première fois emmené par mon père, la seconde par mon patron. Je ne me souviens pas du tout des buts de la première et relativement peu de ceux de la deuxième, celle que j’ai suivie en grignotant des carottes, faut bien tuer le temps! 😉

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      1. Je crois que c’était un peu avant. La loi unique et les grèves y associées, je m’en souviens bien : comme nous habitions dans l’enceinte d’une centrale électrique, il y avait des militaires qui patrouillaient jusque dans notre jardin. À l’époque Françoise s’était retrouvée coincée plusieurs jours chez sa cousine à Chièvres et je suis allé l’y voir en vélo (ce n’était qu’à une trentaine de kilomètres).

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      2. Non, la question royale, c’était encore avant, j’habitais encore Montignies-sur-Sambre et je me rappelle qu’à l’école, nous collectionnions les petits macarons « OUI » et « NON » que nous collions (indépendamment de leur tendance) sur les poteaux de l’éclairage public… 😉

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  2. Bravo pour ce nouveau texte.
    Au siècle passé, on a tout de même vu des profs être dispersés par des autopompes ou chargés par des gendarmes à cheval.
    Pour contrer les chevaux, un manifestant aguerri m’avait un jour raconté qu’on pouvait leur faire faire des galipettes en jetant des billes sur le sol.

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  3. Des billes sur le sol ne feront pas faire des galipettes aux chevaux, elles les feront chuter et s’ils se cassent une jambe, on devra les abattre. Enfin, il me semble… mais je ne suis pas spécialiste des chevaux.

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  4. Ton texte est extra et au passage je vais retenir ton expression « colocataire des anges » car ceux et celles qui nous gouvernent risquent de se trouver dans le couloir voisins « colocataire des mauvais côté enfer serrés comme des sardines de bas de gamme  »
    Bon dimanche Adrienne

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  5. Je ne manifeste plus depuis longtemps.
    Aujourd’hui, je dois constater que le CRS trentenaire, bien nourri et entraîné court bien plus vite que moi.
    Je regarde donc les infos avec le doute habituel : « 2 millions de personnes selon les syndicats, 145 personnes selon la police. »
    Les images montrent évidemment que les deux ont tort mais font preuve d’optimisme…

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  6. Je n’ai pas choisi de prendre ma retraite à 65 ans moins un jour… cela m’a été imposé ! S’il n’avait tenu qu’à moi, je serais restée encore à faire l’enquêtrice pour l’IFOP ! J’adorais ce métier qui m’a fait rencontrer toutes les couches de la société, depuis des ministres, des savants, mais aussi les gens du »quart-monde » qui m’ont tant appris…

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      1. Scottie, une amie du Texas, avait pour compagnon une homme qui avait 76 ans lorsque je l’ai connu : il devait continuer à travailler pour payer l’hôpital dans lequel était morte son épouse plusieurs années auparavant, et il a continué longtemps encore

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  7. En tout cas, ton goût du récit savoureux est tout sauf en jachère !

    P.S. Puis-je me permettre de suggérer, pour l’édition dans la Pléiade, l’usage du mot « dodécasyllabe » cher à notre oncle Walrus qui a fourni la liste des mots à insérer ?

    Bon dimanche à toutes et çà tous !

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  8. Mais non, pas irrationnel, il faut penser à ses parents, on ne veut pas qu’ils meurent avant 65 ans ! Amusant cet intitulé de colloque, ouais, un truc de profs ! Quant aux manifs, j’en ai fait de multiples et toujours – comme la dernière sur les retraites – j’aime ce sentiment que nous sommes ensemble, pour le meilleur, pour lutter contre le pire 😉

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  9. C’est bien la solidarité. 🙂
    J’ai manifesté pour la première fois en 1973, j’avais 14 ans 1/2, c’était contre la loi Debré, je me souviens des CRS alors que nous n’étions pas violents.
    C’était pour défendre le sursis pour les étudiants, solidarité féminine 😉

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    1. 14 ans et demi et la permission de papa-maman? inimaginable pour moi 😉
      la première manif que j’ai vue de près, sans y participer, c’était quand j’étais à l’université et j’ai été fort impressionnée par tout l’attirail militaro-policier dans les rues adjacentes!

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    1. Vampire ! Quand je travaillais au labo des rayons X, nous étions astreints à des prises de sang régulières et quand je quittais mes labos pour aller à l’infirmerie, j’avertissais mes collègues en déclarant « Je vais chez le vampire ! » 😉

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  10. Alors que j’avais juste 14 ans mes géniteurs m’avaient clairement fait comprendre que la question de la retraite était un (l’) élément essentiel dans le choix de mon orientation scolaire. A 22 ans j’étais mariée et je faisais déjà le plus vieux métier du monde, la question de la retraite continuait à être au centre des interrogations-injonctions familiales.

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