7 jours

– Et demain, qu’est-ce qu’on va manger? soupirait grand-mère Adrienne alors qu’on finissait tout juste le repas de midi.

La notion de « charge mentale » n’avait pas encore été inventée mais jamais elle ne se serait plainte d’avoir à l’assumer, car vous connaissez l’adage: « Mariage sans tapage, mariage sans nuage »!

Le choix du menu était toujours dicté par les légumes de saison – encore une idée qu’on veut nous servir comme neuve! – et en second lieu par les jours de la semaine.

Même si Vatican II était passé par là, grand-mère Adrienne continuait de « faire maigre » le vendredi, voilà déjà un jour de moins pour lequel il fallait se poser la question « Et demain, qu’est-ce qu’on va manger?« : ce serait des épinards avec des œufs ou du hareng avec une salade.

Le dimanche non plus il ne fallait pas se casser la tête, c’était le jour des frites.

Restaient les cinq autres, où il fallait d’abord voir de quels légumes on disposait – l’arrière-grand-père avait un grand potager et grand-mère faisait des conserves – puis y associer la viande, selon ses critères strictement personnels, la carotte ou le poireau avec la côtelette de porc, le chou rouge, vert ou blanc avec la saucisse, le haricot ‘princesse‘ ou le salsifis avec le steak.

Le moment le plus difficile de l’année était la période qui vient en ce moment: à la mi-mars, l’hiver se termine, les conserves aussi, et le jardin n’est que tout juste ensemencé.

C’est le moment où mini-Adrienne est le dindon: dans le bouillon flotte la peau des derniers haricots blancs du grenier, dans le fond de l’assiette devenue froide on trouve des trucs grumeleux qui grattent la gorge et refusent de descendre dans l’estomac.

On l’envoie donc avec son assiette dans le kot, où elle se promet solennellement que quand elle sera grande, plus jamais elle ne mangera de soupe!

***

Écrit pour l’Agenda ironique de février selon les consignes de Carnets Paresseux – merci à lui – qui demandait des légumes, des jours de la semaine, quatre mots imposés (nuage, tapage, dindon, bouillon) et une image à colorier d’Elena Pavlona Guertick – source de l’image Gallica.

56 commentaires sur « 7 jours »

  1. J’aime beaucoup ce nouveau texte.
    Votre grand-mère ne devait pas être seule, j’ai hérité d’un livre de cuisine intitulé « La cuisine au jour le jour, 365 menus saisonniers ».
    Par contre, si J’ai été maintenue à table devant une assiette, je n’ai jamais été enfermée dans un kot avec elle.

    J’aime

  2. Oui, du temps de ma jeunesse, c’était moins exotique les menus ! Heureusement que les Italiens ont débarqué pour nous sortir un peu des « macaroni jambon fromage » !
    Et tu as raison : le jardin influençait beaucoup le choix des menus.

    J’aime

  3. J’avais aussi un livre comme cela. Même maintenant la question se pose que mange t’on demain et jamais de réponse sinon « je m’en fous, je mange de tout » heureusement les variétés de choux aident…

    J’aime

    1. j’ai vu une chouette vidéo là-dessus, où la fille prépare/cuisine à son mec des feuilles de papier sur lesquelles sont écrites les réponses de l’homme à ses questions sur ce qu’on va manger

      J’aime

  4. Ces menus de saison, basés sur les légumes, me réjouissent tant maintenant que nous avons un grand potager. C’est parfois un casse-tête en hiver, quand il n’y a que des choux, choux-fleurs, bettes: varier les menus est …une charge mentale, oui!

    Moi aussi j’ai beaucoup aimé lire ton texte, à part ta punition-soupe, horreur.

    J’aime

  5. C’était aussi la préoccupation de feu ma mère, les repas, mère qui aurait eu 96 ans aujourd’hui….Nous, on ne parlait pas de kot, mais du fournier, où mangeaient les enfants quand il y avait « du monde »…J’ai un frère qui, une fois marié, n’a jamais voulu remanger de soupe qui était notre repas principal, hiver comme été. Moi, j’aime bien faire l’hiver des soupes variées, au moins, on a pas à se creuser la tête….Une bonne soupe, avec un morceau de St Nectaire et une salade, terminée par un dessert quelconque et le tour est joué..

    J’aime

  6. Très bien écrit
    C’est le reflet de la réalité chaque jour
    Comme je fais mes courses chez locavor je ne mange en principe que de saison
    Cela dit je m’accorde aussi qq extra »s de gourmandises fruitières il ne faut pas non plus se frustrer
    Bonne journée Adrienne j’ai bien aimé ta page illustrée

    J’aime

  7. J’aime beaucoup ce texte chère Adrienne … je souris de plaisir en vous lisant et cliquant sur les nombreux liens ; toujours aussi bien détaillé… poussant notre réflexion un peu plus loin … nous visualisons mêmes les dessins à colorier sur Gallica. Un autre jour partagé joyeusement avec vos lecteurs, lectrices ! BRAVO !
    PS : aujourd’hui, haricots « princesse » bien que ce ne soit pas de saison !
    Chaleureux sourires et bisous, au bonheur de vous relire bientôt !

    J’aime

  8. Quel riche billet ! Il y a des drames de l’enfance qui ne peuvent s’oublier : chez mes parents il y avait de la soupe tous les jours de l’année et je n’aimais pas les soupes de ma mère, liquides, avec de la Floraline… On me disait que cela faisait grandir et que si je ne m’exécutais pas, je ne grandirais jamais. Alors je « mangeais » cette soupe et adulte – oh, injustice – je ne mesure qu’1,52 m. Comme quoi la soupe marque les esprits et les corps. Doux après-midi dame Adrienne, à bientôt. brigitte

    J’aime

  9. Ma mère disait toujours : ‘Quand on sait quoi préparer à manger, c’est déjà à moitié fait!’
    Ça nous faisait rire à l’époque, maintenant je sais qu’elle avait raison!
    😉
    Les repas étaient pourtant très répétitifs, avec comme chez ta grand-mère le jour des frites, du poisson, etc.
    La soupe, c’était pour le soir. Avec du pain et du fromage.

    J’aime

    1. c’est vrai, le plus gros travail c’est se décider pour les menus et faire les achats 😉
      c’est sûrement pour ça que tu vois tant de gens téléphoner alors qu’ils sont dans les rayons du supermarché 😉

      J’aime

    1. si, l’hiver elle achetait des chicons (ce que vous appelez des endives) parce que mon arrière-grand-père ne faisait pas cette culture-là et aussi des petits pois en conserves pour les jours où il n’y aurait plus rien de frais à la maison 😉

      J’aime

    1. pas de tragédie visible ni audible chez moi, pas de cris, pas de pleurs, pas de supplications…
      mon assiette n’était pas vidée au moment où le plat arrivait? hop! dans le kot, et ma mère mettait même le verrou.
      et c’est cette sensation-là qui est indescriptible et terrible mais sans doute difficile à s’imaginer si on ne l’a pas vécue

      J’aime

      1. A loa maison c’était bien trop petit pour qu’oin put enfermer qui que ce soit…
        (25m² pour une famille de 6 personnes, 2 parents et 4 enfants, parfois une tante un oncle ou des grands parents venaient pour quelques jours remplir le peu d’espace qui restait… Bref, on était chauffés à la chaleur humaine.)

        J’aime

  10. Pas de kot, chez moi, mais rien d’autre à manger tant que l’assiette n’était pas finie, quitte à l’avoir de nouveau au repas suivant.
    Ton histoire de soupe me fait penser à Zhom qui enfant avait de la soupe été comme hiver; et lorsque sa mère a été hospitalisée durant plusieurs semaines, elle nous a fait sourire, lorsqu’elle nous a dit qu’elle en avait marre de manger de la soupe !

    J’aime

    1. parler de bouffe a toujours été excellent pour délier les langues et raconter des souvenirs, en classe aussi c’était un sujet où tout à coup personne n’était en manque d’inspiration 🙂

      J’aime

  11. Il y aurait tant à dire sur cette note, y compris ses liens, en particulier sur celui de la charge mentale tellement bien décrite…
    En tout cas, heureusement qu’on a fait des progrès du côté de l’éducation au goût, et à la nourriture. J’espère que ça n’existe plus ce que tu as subi.
    Et ça peut être tellement délicieux, une soupe…

    J’aime

  12. Je ne connaissais pas le kot…voilà qui est fait. Je me souviens aussi de ces semaines où chaque jour un légumes était le roi, sans oublier le 1 er du mois avec les sacro-saintes lentilles!

    J’aime

  13. Pas de kot du côté de Marseille non plus, et pas de jardin. Ca faisait les affaires de la marchande de légumes au coin de la rue ! mais papa voulait son steak/salade le midi et sa soupe le soir…….. quant à ma grand-mère, avant-gardiste, elle n’était pas au fourneaux, elle bossait ! mais le dimanche les haricots accompagnaient bien le gigot. Pour la soupe, ma préférée mais plus rare reste la soupe au pistou, bien épaisse, que maman faisait par grosses marmites et que nous mangions réchauffée plusieurs jours d’affilée. Etre élevée aux légumes du jardin était un privilège sanitaire 😀

    J’aime

    1. les femmes ont toujours travaillé, ce n’est que dans les « riches » années soixante qu’elles ont pu se permettre de rester chez elles 🙂
      ma grand-mère était couturière et côté paternel elle avait un magasin, les aïeules étaient fileuses, servantes…

      J’aime

      1. mémé avait été danseuse dans sa jeunesse, mais pendant la guerre de 14/18 elle a appris le métier d’infirmière et, après validation de ses états de services et l’obtention de sa licence officielle, a travaillé jusqu’à 75 ans environ…….

        Aimé par 1 personne

  14. Texte intéressant à lire avec des petites pointes ça et là, qui semblent raviver des souvenirs pas toujours agréables à digérer. Chouette idée ces apartés à cliquer. Belle soirée, Sabrina.

    J’aime

  15. Toute une époque que j’ai connue aussi chez mes grands-parents et la période salade tous les jours parce qu’il y en a beaucoup au jardin, ou bettes à toutes les sauces parce que c’est la saison…
    Texte très vivant et bien sûr moi je connais les kots: ma mère en mettait deux en location dans notre maison 😉

    J’aime

  16. Bon jour,
    Je lis : »… quand elle sera grande, plus jamais elle ne mangera de soupe! » Alors ? Elle a tenue parole ? En tout cas moi qui suis spécialiste de ma soupe faite maison, je me demande à la lecture de votre texte si l’expression : « en avoir soupé de » la soupe … ne vient de là… 🙂
    Max-Louis

    Aimé par 1 personne

Répondre à Adrienne Annuler la réponse.