7 portes

– Le concept est tout neuf et très prometteur, affirmait le directeur – qui ne voulait pas être appelé directeur – d’ailleurs la liste d’attente est fort longue pour entrer ici!

– Malgré le prix, émit-elle, qui s’entêtait à l’appeler Monsieur le Directeur.

– Malgré le prix, en effet.

On voyait que cette remarque lui déplaisait.

– A ce propos, voyez l’énorme éventail d’opportunités que notre nouveau concept offre. Vous a-t-on déjà fait visiter le couloir aux sept portes ?

– Non, et j’ai hâte de le découvrir avec vous !

Une petite flatterie ne ferait pas de tort, elle le voyait bien.

– Alors nous voici devant la porte Mutabor : pour ceux qui aimeraient se transformer en animal, ou en plante.

– Intéressant ! fit-elle.

Mais sa petite moue était dubitative.

– Ensuite nous avons une porte réservée aux messieurs – pardonnez-moi, ici de nombreuses personnes raisonnent encore en termes binaires – c’est ici : Oh, puissé-je avoir mille langues !
Oui, je comprends votre étonnement, mais tout ou presque est dans l’idée, n’est-ce pas ?
Nous proposons aussi la sagesse de l’Orient pour ceux qui veulent atteindre la spiritualité – je sais ce que vous allez me dire, c’est banal, chacun le fait, je vous l’accorde – mais nous sommes assez fiers de la suivante : Le summum de l’art, la transformation du temps en espace dans la musique.
Ah ! Non ! Je ne vous en dirai pas plus, c’est notre petit secret ! La concurrence est rude, vous comprenez.
Passons rapidement à la suivante, Jeux destinés aux ermites, des substituts parfaits à toute sociabilité.
Une chose vraiment indispensable dans un endroit tel que celui-ci, cela va sans dire !
L’autre indispensable, c’est le cabinet d’humour, on y entend toujours pleurer de rire ! 
Et finalement, juste à côté, en toute logique, la dernière porte, celle du suicide agréable qui vous fait mourir d’un éclat de rire.

De retour à sa voiture elle se dit que la seule porte qu’elle franchirait, ce serait celle pour aller à la piscine.

N’était-ce pas incroyable qu’en ce merveilleux jour de juillet, elle n’intéressait aucun des résidents?

– Il y a décidément du mystère là-dessous, conclut-elle en mettant le moteur en marche.

***

Merci à Joe Krapov pour sa consigne! Sur les 12 portes proposées il y en a donc sept dans ce texte 🙂

Photo prise à Bruxelles, Villa Empain, à l’occasion de la visite d’une expo.

7 jours

– Et demain, qu’est-ce qu’on va manger? soupirait grand-mère Adrienne alors qu’on finissait tout juste le repas de midi.

La notion de « charge mentale » n’avait pas encore été inventée mais jamais elle ne se serait plainte d’avoir à l’assumer, car vous connaissez l’adage: « Mariage sans tapage, mariage sans nuage »!

Le choix du menu était toujours dicté par les légumes de saison – encore une idée qu’on veut nous servir comme neuve! – et en second lieu par les jours de la semaine.

Même si Vatican II était passé par là, grand-mère Adrienne continuait de « faire maigre » le vendredi, voilà déjà un jour de moins pour lequel il fallait se poser la question « Et demain, qu’est-ce qu’on va manger?« : ce serait des épinards avec des œufs ou du hareng avec une salade.

Le dimanche non plus il ne fallait pas se casser la tête, c’était le jour des frites.

Restaient les cinq autres, où il fallait d’abord voir de quels légumes on disposait – l’arrière-grand-père avait un grand potager et grand-mère faisait des conserves – puis y associer la viande, selon ses critères strictement personnels, la carotte ou le poireau avec la côtelette de porc, le chou rouge, vert ou blanc avec la saucisse, le haricot ‘princesse‘ ou le salsifis avec le steak.

Le moment le plus difficile de l’année était la période qui vient en ce moment: à la mi-mars, l’hiver se termine, les conserves aussi, et le jardin n’est que tout juste ensemencé.

C’est le moment où mini-Adrienne est le dindon: dans le bouillon flotte la peau des derniers haricots blancs du grenier, dans le fond de l’assiette devenue froide on trouve des trucs grumeleux qui grattent la gorge et refusent de descendre dans l’estomac.

On l’envoie donc avec son assiette dans le kot, où elle se promet solennellement que quand elle sera grande, plus jamais elle ne mangera de soupe!

***

Écrit pour l’Agenda ironique de février selon les consignes de Carnets Paresseux – merci à lui – qui demandait des légumes, des jours de la semaine, quatre mots imposés (nuage, tapage, dindon, bouillon) et une image à colorier d’Elena Pavlona Guertick – source de l’image Gallica.

7 services

Quand le grand-père emmenait sa petite famille au restaurant, en mai et en octobre, grand-mère Adrienne était toujours la première à refermer le menu.

– Tu as déjà tout lu ? demandait grand-père.

– Tu sais déjà ce que tu veux prendre ? demandait sa fille.

– Je prendrai comme vous, répondait-elle.

Elle savait bien que les autres finiraient par tomber d’accord sur le « menu gastronomique » en sept services – si pas neuf, l’époque n’était pas encore diététique – et que c’était de toute façon le même menu pour toute la table.

Par contre, ce qu’elle ne manquait pas d’avoir repéré, malgré sa lecture rapide, c’est « qu’il n’y avait de nouveau pas de patates ».

Puis en douce, à Mini-Adrienne assise à côté d’elle, elle soufflait :

– Tu as vu ? Il est marqué « Farandole de desserts »! C’est ça qui va être bon !

Et ses yeux brillaient.

***

écrit pour le Défi du samedi 749 où Walrus – merci à lui – proposait le mot farandole.

Si l’Adrienne est si souvent tentée de photographier des devantures de pâtisseries, c’est toujours en pensant avec émotion à sa grand-mère, « een zoet mondje« , comme elle disait, « une petite bouche sucrée ».

Celle-ci est une pâtisserie bruxelloise, près de la grand-place, où on propose des « merveilleux » 😉

7 phrases

Les visites d’Eulalie étaient la grande distraction de ma tante Léonie qui ne recevait plus guère personne d’autre, en dehors de M. le Curé. (1) Ma tante avait peu à peu évincé tous les autres visiteurs parce qu’ils avaient le tort à ses yeux de rentrer tous dans l’une ou l’autre des deux catégories de gens qu’elle détestait. (2) Les uns, les pires et dont elle s’était débarrassée les premiers, étaient ceux qui lui conseillaient de ne pas « s’écouter » et professaient, fût-ce négativement et en ne la manifestant que par certains silences de désapprobation ou par certains sourires de doute, la doctrine subversive qu’une petite promenade au soleil et un bon bifteck saignant (quand elle gardait quatorze heures sur l’estomac deux méchantes gorgées d’eau de Vichy !) lui feraient plus de bien que son lit et ses médecines. (3) L’autre catégorie se composait des personnes qui avaient l’air de croire qu’elle était plus gravement malade qu’elle ne pensait, qu’elle était aussi gravement malade qu’elle le disait. (4) Aussi, ceux qu’elle avait laissé monter après quelques hésitations et sur les officieuses instances de Françoise et qui, au cours de leur visite, avaient montré combien ils étaient indignes de la faveur qu’on leur faisait en risquant timidement un : « Ne croyez-vous pas que si vous vous secouiez un peu par un beau temps », ou qui, au contraire, quand elle leur avait dit : « Je suis bien bas, bien bas, c’est la fin, mes pauvres amis », lui avaient répondu : « Ah ! quand on n’a pas la santé ! Mais vous pouvez durer encore comme ça », ceux-là, les uns comme les autres, étaient sûrs de ne plus jamais être reçus. (5) Et si Françoise s’amusait de l’air épouvanté de ma tante quand de son lit elle avait aperçu dans la rue du Saint-Esprit une de ces personnes qui avait l’air de venir chez elle ou quand elle avait entendu un coup de sonnette, elle riait encore bien plus, et comme d’un bon tour, des ruses toujours victorieuses de ma tante pour arriver à les faire congédier et de leur mine déconfite en s’en retournant sans l’avoir vue, et, au fond, admirait sa maîtresse qu’elle jugeait supérieure à tous ces gens puisqu’elle ne voulait pas les recevoir. (6) En somme, ma tante exigeait à la fois qu’on l’approuvât dans son régime, qu’on la plaignît pour ses souffrances et qu’on la rassurât sur son avenir. (7)

***

La visite du curé, c’est bien, mais celles d’Eulalie, c’est mieux!
Je déteste toutes les autres.
Je ne veux surtout pas qu’on vienne me dire ce que je dois faire pour aller mieux!
Ni qu’on m’enterre avant l’heure!
Je n’ai de conseils à recevoir de personne.
Je réussis toujours à faire fermer ma porte aux indésirables et ça fait bien rigoler Françoise qui me trouve une femme supérieure.
La bonne visite est celle qui réussit le juste dosage entre rassurer et plaindre, sans se mêler de donner des conseils.

***

Merci à Joe Krapov pour sa consigne proustienne: « réécrire « à sa sauce », dans son propre style, en raccourcissant les phrases et en adoptant le plus possible le langage « relâché », celui qu’on utilise dans la vie de tous les jours. »

7 petites phrases

– Tu n’as qu’à téléphoner le matin, pour dire que tu ne viens pas travailler parce que ta belle-fille va accoucher!

(deux dames sur le quai avant le départ du train)

– Pour une fois que je paie mon train!

(un jeune homme à son copain, dans le train)

– Et tu habites toujours chez toi?

(une dame au serveur à la terrasse d’un café bruxellois)

– Si! j’ai une salle de bains! mais je n’ai pas de lumière dans ma salle de bains!
– Ah! tu n’as pas de luminaire!

(deux hommes en discussion dans la rue)

Hier gaat dat niet gebeuren! (ça n’arrivera pas ici)

(l’employé du musée, à Bozar, à l’Adrienne qui lui dit qu’elle n’a pas de boite de soupe ni de colle forte dans son sac)

Dat is toch niet praktisch! (ce n’est quand même pas pratique!)

(l’amie à l’expo à la KBR en voyant les riches reliures de certains manuscrits exposés)

***

Quand on se balade sans oreillettes et sans smartphone, on voit et on entend du choquant, du comique, du surréaliste…

Vous devinerez sans doute laquelle de ces petites phrases a le plus fait rire l’Adrienne 🙂

7 rôles

Au 19e siècle comme aujourd’hui, le jeune artiste n’a pas trente-six possibilités pour se faire un nom: le moyen par excellence pour se faire connaître, c’était déjà les concours.

C’est ainsi que le tout jeune Georges Bizet – il n’a que dix-huit ans – participe au concours d’opérettes organisé par Jacques Offenbach et remporte le premier prix pour une composition en un seul acte, qui n’a besoin que de quatre chanteurs et d’un pianiste, mais qu’il appelle tout de même « opéra comique »: c’est le Docteur miracle, une bouffonnerie dont le livret use de tous les stratagèmes du genre, amours contrariées, scènes d’a parte, déguisements, caricature.

Quatre jeunes chanteurs belges l’ont dépoussiéré, ce Docteur miracle, et viennent le présenter dans de petites salles de province, avec une grande économie de moyens et de personnes: outre les quatre chanteurs et le pianiste, il y a le metteur en scène et le type qui règle le son et la lumière.

7 phrases

C’était pendant la première année du nouveau millénaire que j’ai eu en mains un livre qui m’a fait comprendre que pendant vingt ans j’avais habité dans la maison d’un ancien SS. Non que je n’aie reçu quelques signes: même le notaire, le jour où nous avions visité la maison ensemble, avait évoqué en passant les habitants précédents; je n’y avais prêté que peu d’attention. Peut-être que je le refoulais, imprégné comme je l’étais depuis des années par les poèmes douloureux de Paul Celan, les témoignages de Primo Levi, les innombrables livres et documentaires qui vous laissent sans voix, par l’impossibilité de toute une génération de décrire l’impensable. Là je voyais mes souvenirs intimes envahis par une réalité que je pouvais à peine m’imaginer, mais que je ne pouvais plus repousser. C’était comme si des spectres surgissaient dans les pièces que j’avais si bien connues; je voulais leur poser des questions mais ils passaient au travers de moi. Rien ne me déplaisait plus qu’écrire sur cette sorte de gens qui se mettaient à hanter ma propre vie.

Stefan Hertmans, De Opgang, De Bezige Bij, 2020, p.7 (incipit) Traduction de l’Adrienne.

Het was in het eerste jaar van het nieuwe millennium dat ik een boek in handen kreeg waaruit ik begreep dat ik twintig jaar in het huis van een voormalige ss-man had gewoond. Niet dat ik geen signalen had gekregen: zelfs de notaris had me, op de dag dat ik het huis met hem bezocht, terloops op de vorige bewoners gewezen; ik had er toen weinig aandacht voor. Misschien verdrong ik het ook, doordrenkt als ik jarenlang was geweest van de pijnlijke gedichten van Paul Celan, de getuigenissen van Primo Levi, de talloze boeken en documentaires die je sprakeloos achterlieten, de onmogelijkheid van een hele generatie om het ondenkbare te beschrijven. Nu zag ik mijn intieme herinneringen doordrongen raken van een werkelijkheid die ik me amper kon voorstellen, maar die ik ook niet meer kon wegduwen. Het was alsof er schimmen opdoemden in de kamers die ik zo goed had gekend; ik wilde ze vragen stellen, maar ze liepen dwars door me heen. Niets stond me zozeer tegen dan schrijven over het soort mens dat nu als een spook door mijn eigen leven begon te banjeren.

Stefan Hertmans, De Opgang, De Bezige Bij, 2020, p.7 (incipit)

Lire les premières pages en néerlandais ici – a paru chez Gallimard sous le titre Une Ascension dans une traduction d’Isabelle Rosselin, info ici et lecture des premières pages en français d’Isabelle ici 🙂

7 phrases

Tout pilote de combat américain comprenant la quintessence de la guerre doit avoir pris du plaisir à bombarder Sofia le 30 mars 1944: une ville splendide, accro au jazz et au foot, vivante comme jamais, habitée par des gens dont le talent pour la joie avait déjà souvent été mis à l’épreuve mais qui persistaient à rire malgré tout. Se plaindre de la vie était plutôt une occupation de nantis, par sentiment de culpabilité. Mais que ce soit la guerre ou la paix, quand le joyeux virtuose Sasho Sladoura prenait son violon, c’était le swing et le « schwung » dans les cafés où il jouait, le paradis à moitié prix. […] en moins de cinquante ans, la modeste bourgade de onze mille habitants s’était métamorphosée en un début de métropole comptant trois cent mille âmes. Voilà qui augmentait considérablement les chances des soldats américains de faire mouche. Même pour un tireur souffrant de strabisme il y avait des lauriers à glaner. Même une balle perdue pourrait encore abattre quelque chose de beau, un enfant, qui sait.

Elke Amerikaanse gevechtspiloot die de kwintessens van oorlog vatte, moet het een plezier hebben gevonden om de dertigste maart 1944 Sofia te bombarderen: een prachtige stad, verslaafd aan jazz en voetbal, levendig als nooit voorheen, bevolkt door mensen wier talent voor vrolijkheid al vaker op de proef was gesteld maar die ondanks alles volhardden in de lach. […] de stad was op een kleine vijftig jaar tijd van een bescheiden gemeente met elfduizend inwoners in een driehonderdduizend zielen tellende beginnende metropool gemetamorfoseerd. Zoiets verhoogde de kansen van de Amerikaanse soldaten op een voltreffer aanzienlijk. Zelfs voor een schele schutter viel er eer te rapen. Ook met een hopeloos verdwaalde kogel viel iets prachtigs nog, een kind misschien, kapot te schieten.

Dimitri Verhulst, Het leven gezien van beneden (La vie vue d’en bas), Atlas Contact, 2016, pages 15-16 (traduction de l’Adrienne)

Le livre n’a pas encore été traduit en français, on peut lire ici les premières pages en néerlandais.

Le jeu des 7 erreurs

Quinze jours avant la fête, Monsieur Neveu était passé à l’appartement maternel pour lui sélectionner la tenue adéquate.

L’élégance était de mise, jugeait-il, et lui-même porterait – bien évidemment – le costume, la cravate, les chaussures fermées.

Dans un dernier sursaut de volonté, le jour J la mère a tout de même préféré le confort de ses sandales à l’élégance des petits souliers dorés exigés par son petit-fils.

– Tu verras, lui avait assuré l’Adrienne, il sera bien le seul avec son costume et sa cravate!

Et en effet: on a pu admirer cent vingt personnes (moins une ou deux, donc ;-)) portant les tenues les plus estivales, tongs, bermudas, baskets, T-shirts à inscription humoristique ou publicitaire, shorts e tutti quanti.

Mais bien sûr l’Adrienne n’a fait aucune remarque 😉

7e ciel et au-delà

Au club de lecture, les retrouvailles ont été spéciales – le mot est faible – étant donné qu’avec ce-que-vous-savez-et-que-personne-ne-voulait-nommer (mais qu’on a fini par nommer quand même 🙂 ) ça faisait bien deux ans qu’on ne s’était plus vus.

En échangeant sur nos lectures pendant cette longue période, nous avons constaté que nous avions vécu un peu les mêmes choses, et en particulier des moments, surtout les premiers mois, où se concentrer sur un livre était devenu tout à coup chose difficile.

Bref, on a écouté les conseils de lecture des uns et des autres, pris des notes 😉 et une généreuse participante, en entendant que l’Adrienne voulait lire Griet Op de Beeck, « Vele hemels boven de zevende« , qui date déjà de 2013, lui a gentiment prêté son livre.

Il est traduit en français par Isabelle Rosselin sous le titre Bien des ciels au-dessus du septième.

Et comme vous pouvez le voir ci-dessus, on en a aussi fait un film.