D comme dégoûté

– Dégoûté! répète-t-il, je suis dégoûté!

C’est vrai qu’il n’a pas eu de chance, le pauvre homme, il achète et remet complètement à neuf une maison pour la louer et sur qui il tombe?

Sur les voisins de l’Adrienne!

Qui pendant deux ans et trois mois n’ont rien fait d’autre que forer, taper, visser, coller et oublier de payer le loyer.

– Mais comment m’en débarrasser? se plaint-il, on ne peut pas mettre des locataires à la porte, sauf si on vient habiter soi-même ou si on vend… donc voilà: je vends.

Ils sont évidemment partis à la cloche de bois, il y a quinze jours, et il a trouvé un tas de courrier, uniquement des factures en retard et des avis de paiement…

Pendant deux jours entiers, hier et avant-hier, il a vidé la maison de tout le « brol » qu’ils y ont laissé, vieilles planches, nombreuses palettes, quelques meubles, une montagne de choses diverses dont on se demande pourquoi ils les ont collectionnées et laissées là… pour recommencer ailleurs.

– Et maintenant que c’est vidé, je vais encore devoir tout repeindre, soupire-t-il. Je pense qu’ils n’ont jamais nettoyé. Et ils fumaient comme des pompiers!

L’Adrienne sourit: ça devient vraiment marrant, cette histoire 🙂

D comme diapason

Participer à une manifestation en faveur des retraités alors qu’on n’a que vingt-deux ans peut sembler irrationnel – et ça l’est, de fait, mais on aura largement besoin de quarante années pour perdre ses illusions concernant le galimatias des politiciens et le baratin des syndicats – à vingt-deux ans, donc, l’Adrienne est montée dans un bus avec d’autres hurluberlus, direction Bruxelles, the place to be pour tous les évènements de cette sorte.

Des bus et des trains pleins de profs, vous voyez le genre de manif, début des années quatre-vingts : pas de jets d’œufs ni de tomates, pas de poids lourds pour bloquer le trafic, pas de farandoles de casseurs, pas de zoulous pour mettre le feu aux bagnoles, pas de baston, rien que des gens sérieux en costume cravate, comme s’ils allaient à un colloque sur les « schémas d’aménagements pédagogiques pour des troubles de dyslexie », le genre de choses que font ces gens-là de leur plein gré le samedi, journée que d’autres consacrent aux courses et aux galipettes.

– Y a pas de raison que tu ne viennes pas ! avait dit Norbert – lui non plus n’avait pas l’élixir de longue vie, il est colocataire des anges dans le ciel depuis l’an dernier – toi aussi un jour tu seras retraitée, ça nous concerne tous, jeunes ou vieux…

Puis l’argument définitif, un beau décasyllabe : « Et c’est une question de solidarité ! »

L’Adrienne ne pouvait que se mettre au diapason de tant de noblesse d’âme et c’est sur ce quiproquo qu’elle a défilé dans les rues en se demandant à chaque pas que diable etc. dans cette galère.

Et tard le soir – Youpi ! – on rentre avec la satisfaction du devoir accompli et un torticolis.

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Écrit avec 20 des mots proposés par Joe Krapov, merci à lui:

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En illustration, d’autres galipettes, parce qu’on ne se lasse pas de Sempé et du petit Nicolas 🙂

D comme dessin

En photographiant cet arbre sur fond de ciel le matin du premier janvier, l’Adrienne s’est tout à coup souvenue que c’était exactement ce genre de branchage qu’elle dessinait autrefois à l’encre de Chine.

Elle avait « oublié » qu’elle s’était adonnée à la passion de l’encre de Chine 😉

Impossible d’ailleurs de se rappeler où sont passés tous ces dessins, toutes ces aquarelles, tous ces fusains…

C’est tout de même bizarre, les trous dans la mémoire de quelqu’un qui a la réputation d’être hypermnésique 😉

D comme dédicace

Il devait se dépêcher de dire ce qu’il avait à dire, Irène ne resterait pas longtemps dehors à contempler la mer en fumant une cigarette.

Marion, il le sentait bien, se doutait de quelque chose et l’observait tout en buvant son café à petites gorgées.
Le sien refroidissait dans sa tasse.
Appuyé sur ses deux coudes, il fixait la feuille étalée devant lui sur la table.

C’était le moment ou jamais.

– Cette chanson, finit-il par dire, c’est pour toi que je l’ai écrite.

Et pendant cette interminable seconde où il guettait sa réponse, il vit passer mentalement toute la gamme des réactions possibles, doutant de plus en plus qu’elle soit positive.

Avec Marion, depuis toujours, il arrivait trop tôt ou trop tard.

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Écrit pour le devoir 145 de Monsieur le Goût – merci à lui!

D comme Daudet

Facteur, c’est moi qui vous le dis, c’est un beau métier! Et je peux le savoir, je l’exerce depuis plus de quinze ans.

Bien sûr, je sais ce que vous allez me répondre, que parfois on apporte de mauvaises nouvelles! Mais est-ce que ça compte en regard de tout le reste?

Non, je vous le dis et le redis: il n’y a qu’à voir avec quel bonheur et quelle impatience on est reçu, partout où on va.

Les concierges nous aiment. Les retraités nous aiment. Et là ce joli paquet que je tiens à la main, c’est pour monsieur Maurice.

Il y a au moins une fois par mois une belle enveloppe à l’encre violette qui vient tout droit d’Eyguières et qui sent bon la Provence.

M’est avis que la Mamette de monsieur Maurice, elle y met quelques brins de lavande!

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Texte écrit pour le Jeu 81 de Filigrane – merci à elle! – sur le thème des Lettres de mon moulin, d’Alphonse Daudet.

D comme décorum

– Je passerai te chercher demain vers quatorze heures, dit-il au téléphone.

Contente? contente! bien sûr qu’elle est contente!

Mais le sentiment qui domine est toujours le même: que va-t-elle mettre?
C’est qu’il est difficile, son petit-fils!
Très pointilleux sur ce qui se porte, ce qui est classe, ce qui est ringard, ce qui est plouc, vieux ou de mauvais goût.

Elle étale quelques tenues sur le grand lit.
Assortit les couleurs. Le sac. Les chaussures.
Revérifie la météo: pantalon ou robe? pull ou foulard? sandales ou mocassins?

N’arrive pas à se décider.

La nuit, ça la tient éveillée.
Enfin, c’est ce qu’elle dit.

– Si tu n’as que ça comme souci, lui dit sa fille, ça va. Il n’y a pas de quoi perdre le sommeil. Et puis, tu n’as qu’à lui demander son avis, il sera heureux de décider à ta place!

Alors c’est ce qu’elle fait:

– Viens un peu plus tôt, dit-elle au petit-fils, tu me diras quoi mettre. Je ne voudrais pas que tu aies honte de ta vieille grand-mère.

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Merci à Monsieur le Goût pour son 135e devoir de Lakévio du Goût avec le tableau ci-dessus et la consigne suivante:

Cette toile de Nicole Bellocq me rappelle quelque chose. Mais à vous ? Inspire-t-elle une histoire quelconque ? Si oui, j’aimerais qu’elle fût close par « Alors, tu as honte de ta vieille mère ? »

D comme doute

Photo de Pixabay sur Pexels.com

– Tu ne peux pas savoir, dit-elle, comme je suis soulagée! Incroyablement soulagée! Et je peux enfin en parler!

Parler de quoi, se demande l’Adrienne mais elle se tait et écoute.

– Tu sais que j’ai cru que je n’étais pas la fille de mes parents?
– Ah bon? Et pourquoi donc?

Alors voilà l’histoire: c’est une affaire de groupe sanguin.
Ses parents ont un groupe sanguin différent du sien.
Elle s’est imaginé que ça n’était pas normal.

Comme elle est fille unique, elle ne pouvait pas comparer et vérifier pour un frère, une sœur, si ça se confirmait ou s’infirmait, et chaque fois qu’un médecin lui posait la question de ses « antécédents familiaux » elle se demandait si ça valait la peine de s’inquiéter de l’hérédité.

– Tu comprends, dit-elle, j’ai gardé ça pour moi pendant des années, je ne savais pas à qui le demander, n’importe quel médecin aurait tout de suite deviné qu’il s’agissait de moi, de mes parents, je ne pouvais pas leur faire ça, ici tout le monde se connaît… et personne n’aurait cru à l’histoire du bébé échangé à la clinique, ça, c’est bon pour un film, mais dans la vraie vie?

Bref, elle a enfin une réponse qui lui a permis de lever le doute sur la fidélité de sa mère ou sur toute autre hypothèse: elle est bien la fille de ses deux parents 🙂

D comme dur, dur!

Tu réussis tout juste à dire papa mais on veut te faire dire maman.
Alors que ton mot préféré est caca 🙂

On te demande dix fois par jour: Tu es grand comment?
Pour que tu fasses un geste du bras au-dessus de la tête.

Pour chaque adulte de ton entourage – et il y en a plein! – on te dit: Fais des bisous!
Et on n’arrête qu’au moment où tu l’as fait trois fois de suite.

Oh oui! Dur, dur d’être bébé!

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Les jambes de Monsieur Filleul et sous le chapeau, son fils né le 12 mars de l’an dernier, photo prise le 2 juillet 🙂

D comme Dames

– On fait une partie de dames? demande Philippe du haut de ses neuf ans.

Mini-Adrienne ne connaît pas ce jeu – elle a deux ans de moins – mais pas grave, il va lui expliquer les règles et elle comprendra en jouant.

Sur les cases colorées il étale les pions, montre qu’on les déplace en diagonale et que le but du jeu est d’arriver à la dernière ligne d’en face pour obtenir une dame et rafler tous les pions de l’adversaire.

– Tu peux commencer, offre-t-il d’un geste cavalier.

Alors mini-Adrienne pousse un premier pion vers le centre du damier.
C’est l’engrenage fatal: il attaque, contre-attaque, la petite perd, évidemment, se sent un peu nulle mais veut bien une revanche.

Quand finalement la partie tourne à l’avantage de la petite, il utilise un nouveau coup: il avait omis de lui dire qu’on pouvait déplacer les pions dans les deux sens.
Ou qu’une fois le pion touché, si on le lâchait, ça équivalait à avoir joué.

Au moment où elle croit maîtriser toutes les règles, en voilà une autre:

– Quoi? on peut faire ça aussi?

Bien sûr qu’on peut, mais uniquement quand c’est lui qui joue, comme elle le constatera quand ce sera son tour.

Bref, la petite a fini par comprendre que jamais elle n’arriverait à égalité, que c’était temps perdu, et qu’il fallait vraiment être folle pour vouloir se mesurer à un garçon.

Il lui en est resté une profonde aversion pour tous les damiers et échiquiers du monde 🙂

***

Merci à Joe Krapov pour sa consigne: Jeu d’échecs

Piochez dans le vocabulaire ci-dessous ainsi que dans la revue Europe-échecs (ou dans les articles de son site web) pour :
– écrire un conte, un rêve ou une fiction à partir des pièces ou termes de ce jeu ;
– ou raconter votre rapport à cet univers (amour-haine-indifférence) ;
ou intégrer six de ces mots dans un texte qui ne parle pas du jeu d’échecs. (il y en a 16)

abandon – aile – aller à dame – attaquer – blitz – case – case de fuite – centre – chaîne de pions – clouage – contre-attaque – contrôler une case – coup – couvrir un échec – diagonale – échange – échec – échec à la découverte – échec perpétuel – échiquier – égalité – enfilade – fianchetto – finale – fourchette – gambit – adouber – ligne – mat – mat étouffé – milieu de partie – miniature – nulle – ouverture – partie à avantage – partie simultanée – pat – pendule – pion bloqué – pion doublé – pion isolé – pion passé – prise en passant – promotion – roque (petit et grand) – sacrifice – temps – tournoi – tours doublées – Roi – dametourfoucavalierpion