Pourquoi y a-t-il tant d’expressions animalières en français? demande le titre de l’article dont vient l’illustration ci-dessus et dans laquelle vous aurez sûrement reconnu ce qu’on dit pour quelqu’un qui n’est pas venu à un rendez-vous.
En français? rétorque l’Adrienne – qui aime se parler à elle-même – pourquoi « en français »? C’est dans toutes les langues!
C’était un jeu amusant, en classe, de faire des comparaisons. Ainsi par exemple en néerlandais on « envoie son chat » 🙂
Hij heeft zijn kat gestuurd, il a envoyé son chat (il n’est pas venu au rendez-vous)
Je logeais dans la maison du principal, et j’avais obtenu, dès mon arrivée, la faveur d’une chambre particulière.
Je dis faveur parce que ça me permettait de m’allonger tout habillé sur le lit et d’y rêvasser à longueur de soirée en fumant des cigarettes.
Il me fallait bien ça pour essayer de comprendre l’étrange aventure qui m’était arrivée le jour où j’avais emprunté la voiture des parents de madame Seurel et que j’étais arrivé dieu sait comment au Domaine perdu.
J’avais évidemment essayé dans les semaines qui ont suivi de retrouver le chemin vers ce domaine, hélas en pure perte. Je n’avais que peu de pistes et l’étrangeté des divers épisodes de cette aventure faisait qu’il m’était difficile de me renseigner: on m’aurait ri au nez et traité de fou. Ce que j’étais, d’ailleurs. Fou d’Yvonne. Fou de Frantz.
C’est donc à Paris que j’avais décidé de poursuivre mes recherches et ma mère a tout de suite été d’accord, puisque j’avais trouvé le bon prétexte: mes études!
Retrouver l’hôtel particulier de la famille de Galais n’avait pas été trop difficile mais il était fermé: la famille semble avoir eu des revers de fortune et quitté la capitale.
Il me fallait donc trouver une nouvelle piste et je n’arrivais pas à trancher entre Paris et la province: où Yvonne se cachait-elle?
Et Frantz? qu’était-il devenu?
Néanmoins un moment de réflexion me décida à attendre la fin de l’aventure parisienne.
Cette toile de Vettriano me fait irrésistiblement penser à Baudelaire. Je verrais bien un devoir qui commence par : «Je logeais dans la maison du principal, et j’avais obtenu, dès mon arrivée, la faveur d’une chambre particulière » Et qui finirait par : « Néanmoins un moment de réflexion me décida à attendre la fin de l’aventure. » Ça, ce serait chouette…
Vous aurez compris que l’Adrienne n’a pas pensé à B*** mais au Grand Meaulnes, avec ses 48 occurrences du mot « aventure » et 52 « étrange » 🙂
La mythologie dont il était question dans le billet d’hier est aussi très utile quand on n’a aucune trace écrite de son histoire et par conséquent aucune réponse à certaines questions comme celle-ci:
– Mais comment ont-ils fait, demande Jef, pour transporter jusqu’ici des pierres d’un tel tonnage et les poser les unes au-dessus des autres pour construire des murs si énormes? – Et bien, rigole le guide, Persée a fait bâtir cette forteresse avec l’aide de ses amis les Cyclopes. C’est d’ailleurs pour ça qu’on les appelle des murs cyclopéens.
Mais Jef, ça ne le fait pas rigoler et il grogne en néerlandais:
– Ouais, comme ça, c’est facile.
Jef c’est le mec qui veut toujours savoir exactement combien, quand, quelle longueur, quel poids, quelle hauteur, quelle distance.
Le guide poursuit la visite, parle du puits et de la source permettant de soutenir un siège sans manquer d’eau potable, puis montre l’ouverture de la photo ci-dessus:
– Et là vous avez une possibilité de sortie, en cas de siège, parce qu’elle est invisible pour l’assiégeant.
Ce n’est pas le genre de nouvelles qui intéressent l’Adrienne mais le chiffre vu dans le titre lui a fait croire un instant qu’il y avait une erreur quelque part: une montre à 350 000 €? ça existe? et à quoi ça sert, à part lire l’heure? qu’est-ce qui justifie un tel prix? un tel achat? ça veut dire qu’on a de l’argent à ne plus savoir quoi en faire? a-t-on encore le sens des réalités, avec de tels achats? est-ce que le reste est à l’avenant: le prix du slip, des chaussettes, du costume, de la chemise, des chaussures?
Bref, les questions se bousculaient dans sa tête et vérification faite, il s’agit bien d’une montre de 350 000 €.
L’Adrienne l’avoue sans honte: elle n’a absolument pas pitié du type qui la portait (notez l’imparfait) au poignet, comme on peut le voir sur toutes les photos de lui, ce qui n’a apparemment pas échappé à l’œil avisé de ceux qui l’en ont prestement délesté sur un trottoir d’Ostende.
Des experts, en somme.
***
photo prise à Ostende et qui à part ça n’a rien à voir dans l’histoire 🙂
Vendredi après-midi, l’Adrienne était dans son jardinet – première tonte de l’année! – quand elle a vu passer et repasser un petit type à mallette, genre contrôleur du gaz et de l’électricité, ou employé d’agence immobilière.
Mais elle se trompait: à peine avait-elle rangé son matériel – tout sortir, les rallonges, la machine, les bottes… et tout ranger prend plus de temps que la tonte elle-même – à peine était-elle rentrée prendre un verre d’eau, qu’on sonne à sa porte.
C’était le petit type à mallette. Pour une enquête.
– Vous voulez bien? dit-il humblement. Vous avez cinq minutes?
Il y a sûrement plein de gens qui réussissent à claquer la porte au nez mais vous connaissez l’Adrienne: elle a soupiré intérieurement sur sa faiblesse et a dit oui.
– Vous écoutez la radio? a-t-il demandé, brochure bleue et stylo à la main. – Euh… non.
Elle n’a pas osé ajouter qu’elle n’a plus de radio depuis quinze ans.
– Et dans la voiture?
Ah oui, sauvée! dans la voiture, il y a la radio.
Bref, au bout de quelques autres questions indiscrètes le petit type lui a refilé un « dagboek« , un « journal » à compléter tous les jours pendant une semaine: il faut y noter exactement où et quand on écoute la radio, quelle chaîne et par quel moyen. Ainsi qu’une enveloppe pour l’envoyer au CIM (www.cimradio.be)
Il devait être tellement content d’avoir enfin trouvé une porte qu’on ne lui fermait pas tout de suite au nez qu’il s’en fichait pas mal que le carnet reste vierge, avec juste une case cochée en bas de chaque page: « ik heb vandaag niet naar de radio geluisterd« , aujourd’hui je n’ai pas écouté la radio.
C’est au Cabaret Vert, Après les tourbillons de la nuit Qu’il est entré ce matin. Les semelles déchirées. Il a trébuché sur les pavés Et en entendant l’alouette A repensé aux chimères de la veille.
C’est avec un clin d’œil Que la serveuse lui apporte son absinthe Et dans le miroir devant lui Il peut aussi l’admirer de dos Même s’il préfère le devant.
Passent les jours, passent les semaines, Il garde le secret espoir De réussir à passer de la fée verte au thé Vert
cabaret
pavé
Clin d’oeil
espoir
tourbillon
alouette
miroir
secret
matin
chimère
semaine
thé
Même consigne que celle-ci, donc toujours chez Joe Krapov, que je ne saurais assez remercier de les partager!
Dans sa maison on peut visiter trois pièces. Leur accès est limité par des rubans de velours rouge. Sur un chevalet, une reproduction de son dernier tableau, un bouquet de tournesols et de roses trémières.
Elle ne peignait pas que des fleurs.
Une porte peinte en gris, fermée à clef, menait à un étage où j’imaginais des fantômes. Et quand on sortait de la maison, on les voyait, Paula et Otto, les Modersohn-Becker. Pas des fantômes mais des monstres, en habit d’époque, très kitsch à la fenêtre de leur maison de morts, par-dessus la rue, par-dessus nos têtes de vivants. Un couple de mannequins de cire, d’une laideur bicéphale à la fenêtre de cette jolie maison de bois jaune.
*
L’horreur est là avec la splendeur, n’éludons pas, l’horreur de cette histoire, si une vie est une histoire : mourir à trente et un ans avec une œuvre devant soi et un bébé de dix-huit jours.
Marie Darrieussecq, Être ici est une splendeur, vie de Paula M. Becker, éd. P.O.L, 2016 (incipit)
Depuis plus de mille ans, ou plus de cent, quelle importance? Personne ne se souvient d’elle.
– Comment s’appelait cette petite qui est morte, demande Monsieur Neveu le soir du 2 décembre.
Après dix-huit mois de silence, ça compte comme entrée en matières 😉
Apparemment, « là-bas » ils étaient en train de discuter de l’arbre généalogique et n’arrivaient pas à le reconstituer.
– Je pensais qu’elle s’appelait Emma, répond-il.
Petite fille emportée par la maladie dans sa dixième année, un matin d’avril.
Aucun rapport, vous l’aurez compris, avec ce tableau où on voit un type barbu donner des leçons très particulières à une jeune fille lovée sur ses genoux – oh le bel alibi des livres et des papiers sur le bureau! oh le fragile écran formé par le paravent! – sous le regard sévère des photos de famille posées sur la cheminée 🙂
***
Merci à Monsieur le Goût pour sa consigne:
J’aime cette toile de Valloton dite « Intimité ». Elle m’inspire des tas de choses. J’espère qu’à vous aussi. Ce qui serait vraiment bien c’est que votre histoire, car j’espère que ce sera une histoire, c’est qu’elle commençât par « Flotte très lentement couchée en ses longs voiles » et qu’elle finît par « C’est qu’un matin d’avril ». Je sais, c’est tiré de quelque chose de connu mais que j’espère, vous aimez autant que moi. À lundi…
Mme de B*** n’aime pas l’automne, les cimetières, les chrysanthèmes, toute cette poésie de feuilles mortes ne lui donne que des frissons, et pas seulement à cause de la baisse des températures.
Si elle avait la foi, elle prierait pour être encore là au printemps prochain, comme s’il était impossible de mourir par beau temps. Chacun ses phobies, chacun ses démons.
Ceux de Cindy sont d’un autre ordre.
– Vous ne voulez jamais me croire, déclare-t-elle à Mme de B***, qui a la faiblesse d’ouvrir sa porte « à n’importe qui », vous ne voulez jamais me croire parce que vous êtes quelqu’un de gentil et vous ne pensez même pas que vous courez un danger! Mais moi je vous le dis: faut faire gaffe! Les gens ne sont pas bons!
Selon Cindy, quelle que soit son apparence, derrière tout homme – les mâles en particulier, alors qu’elle en élève deux à la maison – se cache un être malfaisant qu’elle a le don de détecter rapidement.
Elle en a pourtant épousé un, se dit malicieusement Mme de B***, mais elle préfère changer de sujet:
– Dites-moi, ma petite Cindy, vous m’y faites penser tout à coup: vous avez encore fabriqué des déguisements insolites pour Halloween, cette année? – Ah! vous faites bien d’en parler!
Et c’est la mine toute réjouie qu’elle met sous le nez de Mme de B*** son portable avec des photos de groupes d’adultes et d’enfants maquillés, déguisés, dont un en particulier, qui tient le milieu entre le pingouin – par ses couleurs – et le cachalot – par sa taille.
Il en faut peu parfois pour rendre l’autre heureux, se dit Mme de B***
***
écrit pour les Plumes d’Émilie – merci Émilie! – avec les mots imposés suivants: GENTIL, APPARENCE, POÉSIE, CACHALOT, INSOLITE, FRISSON, PRIER, COURIR, SE CACHER, PINGOUIN (en option), YOUPI, DÉMON, DANGER, DÉTECTER et pour la question 24 de L’atelier en questions : « Vous en avez vraiment envie? »
– Quand je serai grand, je vais ouvrir une friterie, fait petit Léon.
Aux axiomes d’Euclide, il préfère la conversation. De loin.
– Ah? tu as changé d’avis? tu ne veux plus faire informaticien à la police? – Non. Mon papa a dit que pour ouvrir une friterie, on n’a pas besoin d’un diplôme. Alors c’est ça que je vais faire. – Tu es sûr? Pour donner à manger aux gens, en Belgique, tu dois avoir un diplôme d’une école hôtelière… – Bah! on verra bien! conclut-il, plus philosophe que Madame. Et surtout plus résigné.
Maintenant c’est elle qui voudrait qu’on ait un peu plus d’ambition pour lui, alors qu’auparavant elle trouvait qu’on en avait trop 😉