A night at the Opera!
Quand elle avait pénétré dans cette salle de concert avec ses compagnes de classe, elles avaient tout de même été un peu impressionnées. C’était grand, immensément grand, et très moderne. Ici et là, des gens étaient déjà installés, tout endimanchés, les dames permanentées et couvertes de bijoux.
Les gamines en voulaient un peu au prof qui organisait ce voyage scolaire : pourquoi ne les avait-il pas prévenues ? Avec leur T-shirt extra large et leur jean râpé, leur gros pull et leur sac de toile, elles se faisaient remarquer autant que par leurs chuchotis et leurs rires. Des regards de plus en plus courroucés se tournaient vers elles, les intimant à plus de retenue.
Le groupe avait été dispersé aux quatre coins de l’immense salle. Alors elles se levaient et se faisaient de grands saluts en poussant de petits cris joyeux chaque fois qu’elles repéraient des copines. Elles avaient rapidement dû y renoncer : le lieu et le public ne semblaient pas se prêter à la rigolade et aux effusions.
En bas, dans une sorte de trou, des musiciens en tenue de soirée étaient venus prendre place et de plus en plus de sons discordants envahissaient l’espace. Puis les violons se sont mis à jouer une petite phrase un peu plus musicale et tout s’est tu. Un monsieur à cheveux blancs et queue-de-pie a pris place devant eux et la foule a applaudi à ses saluts. Il a levé une baguette et dès qu’il l’a agitée, la lumière s’est éteinte et la musique a empli l’espace pour quelques minutes… à l’issue desquelles, à leur grand étonnement, elles étaient les seules à applaudir.
Enfin, le rideau s’est levé. Sur la scène, un homme chantait alors qu’il était poursuivi par une sorte de dragon de carnaval : « Zu Hilfe ! Zu Hilfe ! ». Elle a essayé de suivre l’histoire.
Le chanteur a fini par s’écrouler par terre, alors que le monstre de carton pâte ne l’avait même pas touché. Puis sont arrivées trois fortes dames armées de lances dont elles faisaient semblant de frapper le dragon : il s’est immobilisé, la gueule ouverte et la langue pendante. Les dames semblaient se disputer âprement – au lieu de porter secours au malheureux que leurs cris ne réveillaient pas – puis ont disparu aussi vite qu’elles étaient venues. Est arrivé alors un autre personnage carnavalesque déguisé en gros oiseau…
Mais à partir de là, elle n’a plus rien compris à l’histoire : cette dame scintillante qui vocalisait si merveilleusement, était-elle bonne ou méchante ? Et cette sorte de druide sans faucille, de quel côté était-il ? Pourquoi y avait-il tout à coup trois portes sur la scène ? Qui donc criait « Zurück ! » ? Que faisait là cette malheureuse jeune fille ? Pourquoi son père la laissait-il aux mains de cette brute qui voulait la violer ?
Quand elles se sont retrouvées dehors après le spectacle, elles étaient toutes d’accord : le Jesus Christ Superstar qu’elles avaient vu l’année d’avant à Londres, c’était tout de même largement supérieur à ÇA !
Ça, dont elles ne savaient même pas comment ça s’appelait ni qui en avait composé la musique.
***
Et pourtant… qui eut cru qu’à peine cinq ans plus tard elle en connaîtrait par cœur plusieurs arias et chanterait avec jubilation :
Ein Mädchen oder Weibchen
wünscht Papageno sich !
O so ein sanftes Täubchen
wär’ Seligkeit für mich!
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on peut voir et écouter cet air de Papageno ici: http://www.youtube.com/watch?v=ElZcW4olcyA
ceux qui désirent faire l’expérience totale peuvent aller voir et écouter ici, c’est sous la direction de Riccardo Muti à Salzboug:http://www.youtube.com/watch?v=JHMFAjSSIPQ&feature=related (le monstre de carton pâte apparaît à 07’30 » et les trois dames ) Salzbourg oblige! – sont déguisées en Tyroliennes
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texte non retenu écrit pour Lu si… n°3