I comme imitation

Vous voyez cette citation sur l’art qui doit imiter la nature?

Non, Boileau n’est pas mort.

Même si le romantisme, le cubisme, le surréalisme et tous les autres -ismes sont passés depuis lors 😉

L’art doit imiter et plaire.
L’art doit imiter pour plaire.

***

La photo représente une partie d’un serpent et a été prise le 27 juin dernier, au parc près de chez ma mère.

R comme rouge

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« L’art se doit de perturber et de séduire », c’est Jan Fabre qui l’annonce à l’entrée de l’expo Het Vlot/The Raft. On n’est pas loin du « plaire et émouvoir » de ce cher Horace et de son élève Boileau. 

expo,ostende,art

De la laine rouge – beaucoup beaucoup de laine rouge – deux canots et trois vieilles clés, il n’en fallait pas plus à Chiharu Shiota pour plaire à l’Adrienne – et aussi un peu l’émouvoir, à cause des trois vieilles clés qui ressemblent étonnamment à celle « de la porte de derrière » que grand-mère Adrienne tenait bien serrée dans le creux de la main, en entrant ou en sortant de chez elle. 

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Symbolique du parcours de vie, des lieux de vie, de la mémoire… et en plus ça ressemble à une toile d’araignée?

Bien sûr que ça parle à l’Adrienne cool 

 photos prises à Ostende le 3 novembre dernier 

la vidéo montre le même genre d’installation à la Biennale de Venise en 2015

Adrienne aime Charles Van Lerberghe

Né à Gand en 1861 et mort à Bruxelles à l’âge de 46 ans – on ne vivait pas vieux, apparemment, dans la famille, lui-même était orphelin à un très jeune âge – il est sans doute moins connu que Verhaeren et Maeterlinck, deux autres célèbres élèves du collège Sint-Barbara à Gand, mais moins connu ne veut pas dire moins bon.

(d’accord, l’Adrienne n’est pas une grande fan de Maeterlinck mais elle ne va pas pour autant lui chipoter son Nobel Innocent)

Charles Van Lerberghe n’est pas seulement l’auteur de poésie (symboliste) mais aussi de quelques histoires courtes, dont celle-ci, qui m’a bien fait sourire:

Si j’étais Dieu
ou comment je devins écrivain

Le narrateur y évoque son instituteur de l’école primaire, 

« un vieux prêtre, fort savant et pratique. Il aimait les lettres, avait lu Jansénius, Descartes, et savait réciter Boileau par cœur. Par contre il était d’une ignorance crasse, énorme, fabuleuse en mathématiques, et c’était un saint homme. Il prisait, avait de grandes lunettes et un air doux et rêveur à la Spinoza. »

Celui-ci a l’habitude de donner à ses jeunes élèves des sujets de composition originaux. Un jour de juin, il leur propose 

« Que feriez-vous si vous étiez Dieu ? »

Ce sujet me surprend un peu, aujourd’hui, quand j’y songe, mais en ce temps il ne me surprenait guère, ni moi, ni personne.
     
Dieu, dans notre éducation religieuse, était une personne aussi familière – quoique plus mystérieuse, – que le bourgmestre, le curé, le meunier ou le barbier du village, et la question n’avait pas plus d’importance que si on nous avait demandé ce que nous ferions si nous étions ces personnes-là. Peut-être aurions-nous même été plus embarrassés ?
     
C’était d’ailleurs la manie de notre vénérable maître de nous proposer ce genre de questions si à la portée d’imaginations enfantines. C’est ainsi que nous avions déjà eu, cette même année, à répondre à la question : que feriez-vous si vous étiez un tigre ? Que feriez-vous si vous étiez le vent ? »

L’enfant se met donc à réfléchir pour traiter le sujet de manière originale, car il a l’ambition de décrocher le premier prix de composition. Il sait que son instituteur aime « les imaginatifs », il aime qu’on le surprenne et qu’on lui raconte des choses auxquelles lui-même n’avait pas pensé.

« Il faut faire, me dis-je, quelque chose de rare, de surhumain, d’absolument divin. Etant Dieu je dois agir en conséquence… et je me creusai la tête comme on creuse un grand trou avant d’y jeter l’humble gland qui doit devenir un chêne. »

Il mordille donc longuement son porte-plume à la recherche de la bonne idée: que ferait Dieu? Du bien? ce ne serait pas original. Du mal? alors il n’est plus Dieu et peut-être que l’enfant serait puni pour blasphème.  Se changerait-il en quelque chose? en humain? Rien de neuf, là non plus.

Et c’est en réfléchissant à ce que lui-même en cet instant aimerait faire qu’il trouve l’idée qui étonnera son vieux maître:

« Je prendrais le monde dans une main et un long fil dans l’autre, puis frrrt!… tourne! Elle [la toupie] serait lancée dans l’espace et bourdonnerait ! Je courrais derrière avec un fouet et taperais dessus. Tourne, vieille toupie, tourne ! Puis, je la lèverais entre deux doigts et la ferais tourner dans ma main ; puis je la laisserais tomber de nouveau dans l’espace et fouette !… Tout à coup, je m’arrêtai d’écrire, bouleversé. Une idée me traversait la tête : Est-ce bien nouveau ? Que diable ! Dieu sait si ce n’est pas ça qu’il fait de toute éternité ? »

Charles Van Lerberghe, Si j’étais Dieu ou comment je devins écrivain (1910) in Contes hors du temps, Espace nord, 1992 http://www.espacenord.com/contes-hors-du-temps–9782804007782.htm.

 

Question existentielle

Comment s’exprimer si on n’a pas les mots?
Si on n’est pas capable de mettre en paroles ce qu’on pense ou ressent?

« Quel est ton sentiment après cet entretien avec ton professeur principal? » demande Madame à un jeune en dernière année professionnelle d’électricité. Mais en le regardant elle se demande s’il comprend la question. En tout cas, il cherche longuement ses mots pour y répondre.

Souvent Madame est confrontée à ce problème. « Je sais quoi dire, mais je ne sais pas comment le dire », lui répond-on parfois. Et non, elle ne s’amène pas avec Boileau, ça ne les aiderait pas. Au contraire.

Alors elle reformule ses questions.
Parfois même elle propose des pistes de réponses.

Oui parfois Madame suggère: est-ce parce que… ou est-ce plutôt parce que… est-ce que c’est plus comme ceci… ou plus comme cela… Mais c’est dangereux de proposer des réponses ou des explications, de faire des suggestions. Car comment savoir si l’élève en manque de mots ne dit pas « oui, c’est ça! » pour se débarrasser de la question et de la réponse qu’il n’arrive pas à formuler lui-même?

***

Et Madame, qu’aurait-elle fait, ces sept dernières années, si elle n’avait pas eu les mots pour s’exprimer?

Elle aurait fait comme cet autre élève en manque de mots. Dernière année de professionnelle Bureau: « Moi, je ne me laisse pas faire. Si on me cherche, on me trouve », dit-il.

Sûr, elle aurait fait comme lui et utilisé la violence.

Mais contre elle-même.

***

Alors merci, amis blogueurs, les anciens, les nouveaux, les fidèles, les coups de vent, les comiques, les sérieux, les spirituels, les érudits, les doux, les discrets, les gentils… Merci à tous de lire et de commenter mes mots.

22 classiques

Voici 22 petites phrases qui ont fait leur chemin jusqu’à nous. Des collègues profs de lettres en font collection à l’usage des lycéens…

Choisissez celle sur laquelle vous vous endormirez ce soir Langue tirée

Je vous les livre dans un ordre plus ou moins chronologique:

1.Socrate: Connais-toi toi-même 

2.Juvénal: Un esprit sain dans un corps sain 

3.Térence, Heautontimoroumenos: Je suis un homme. Et rien de ce qui est humain ne m’est étranger 

4.Plaute, Erasme, Montaigne, Francis Bacon, Hobbes…: L’homme est un loup pour l’homme

5.Rabelais, Gargantua: Le rire est le propre de l’homme 

6.Rabelais: Science sans conscience n’est que ruine de l’âme

7.Montaigne: Une tête bien faite plutôt qu’une tête bien pleine

8.Montaigne: parce que c’était lui, parce que c’était moi

9.Pascal: Le cœur a ses raisons que la raison ne connaît point 

10.Pascal: L’homme n’est ni ange ni bête, et le malheur veut que celui qui veut faire l’ange fait la bête 

11.Pascal (et ma mère): Le moi est haïssable 

12.Pascal: L’homme est un roseau pensant. (et il ajoute: le plus faible de la nature. Mais… il y a un mais Langue tirée)

13.Boileau (et ma mère): Ce que l’on conçoit bien s’énonce clairement 

14.La Fontaine, Les animaux malades de la peste: Selon que vous serez puissant ou misérable, les jugements de cour vous rendront blanc ou noir.

15.Shakespeare, Hamlet: Etre ou ne pas être, telle est la question

16.Voltaire, Candide: Tout est au mieux [dans le meilleur des mondes possibles]

17.Voltaire, Candide: Il faut cultiver notre jardin 

18.Montesquieu: Comment peut-on être Persan ? 

19.Beaumarchais: Vous vous êtes donné la peine de naître, et rien de plus

20.Saint-Exupéry, Le petit Prince : L’important est invisible pour les yeux

21.Saint-Exupéry, Terre des hommes: C’est un peu, dans chacun de ces hommes, Mozart assassiné

22.Claude Lévi-Strauss: Le barbare, c’est d’abord celui qui croit à la barbarie

K comme Kleypas

En vérité je vous le dis, c’est une première: mon tout premier roman de la rubrique « romance historique », mon tout premier « aventures et passions » Langue tirée

Sur la foi d’une dame qui semblait s’y connaître et y avait consacré un long article sur un blog d’un auteur très sérieux (si, si), j’ai découvert qu’il existait des romans roses contemporains de qualité. (si, si… bis)

Je vous le dis tout de suite, rien à voir avec les Delly de votre grand-mère Cool que les religieuses du pensionnat très sévère pour jeunes filles de bonne famille mettaient entre les mains des virginales demoiselles… même si chez madame Kleypas, la morale est sauve, puisque les protagonistes, aux yeux du monde, sont « époux ».

Ne comptez pas sur moi pour vous dévoiler le machin, il est d’ailleurs assez transparent dès le début et l’auteur ne parvient pas vraiment à nous surprendre… Mais là n’est visiblement pas son propos!

Première étreinte et premiers frissons d’extase à la page 27 et ultime frisson à l’ultime page, la trois-cent-dix-septième, n’y cherchez pas autre chose et vous en aurez pour votre argent, surtout si comme moi vous l’empruntez gratuitement à la bibliothèque municipale Langue tirée

– J’arriverai bien à te faire parler un jour, assura-t-elle en lui embrassant le cou, ce qui le fit frissonner de plaisir. Tu n’as pas la plus petite chance de pouvoir me résister.

– Pas la plus petite chance, admit Cameron, avant de s’emparer à nouveau de ses lèvres.

Lisa Kleypas, L’imposteur, J’ai Lu n°5524, point final page 317.

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Vraisemblance zéro, c’est Boileau qui aurait été content Langue tirée

K comme Khroumir

Pour le défi 100 j’avais fait un billet sur les jurons du capitaine Haddock. Par la même occasion, je m’étais une fois de plus émerveillée en voyant la variété des origines de tous ces mots utilisés par Hergé pour permettre au brave capitaine de se défouler et d’engueuler tout en restant finalement dans « la règle des bienséances » (non Boileau n’est jamais loin)

Ce qui donnait le petit classement ci-dessous:

Le bon capitaine connaît sa géographie: Mille milliards de mille sabords de tonnerre de Brest! papou des Carpathes! Wisigoths!

Il est fin gastronome: topinambour! moule à gaufres! gros-plein-de-soupe! anthropophage!

Grand défenseur des biens culturels immatériels: flibustier de carnaval! saltimbanque! polichinelle!

Féru de sciences: bougre d’ectoplasme! aérolithe! cyclotron!

Ami des animaux:  babouins! cloporte! perroquet déplumé! sapajou! scolopendre! gibier de potence!

Eminent historien: bachi-bouzouk! bougre d’olibrius! Mamelouk! Zapotèques!(note : parfois les bachi-bouzouks sont des Carpathes, parfois du tonnerre de Brest)

Et bien sûr, grand navigateur à la graisse de cabestan! moussaillon! marin d’eau douce! forban! Capitaine de bateau-lavoir!

J’avais opéré une sélection sévère, vu que le défi voulait qu’on se limite à 100 mots, titre et signature compris. J’aurais pourtant bien aimé ajouter quelques-uns des plus beaux exemplaires, mais aussi moins connus. Comme par exemple ce Khroumir qui apparaît dans Le Trésor de Rackham le Rouge et qui aurait tout naturellement sa place dans la rubrique « géographie ».

Les Khroumirs sont les habitants de la Khroumirie, qui est une région montagneuse du Maghreb (Tunisie et Algérie). On peut aussi écrire Kroumir et Kroumirie. Pour ceux qui désirent en savoir plus, faites comme moi et allez sur Wikipedia 😉

20 fois

Hâtez-vous lentement, et, sans perdre courage,
Vingt fois sur le métier remettez votre ouvrage :
Polissez-le sans cesse et le repolissez ;
Ajoutez quelquefois, et souvent effacez.

 

Pour mon plus grand malheur (je sais, tout est relatif) j’ai une mère qui a reçu une éducation de premier choix dans un pensionnat catholique pour jeunes filles « de bonne famille » dans les années 1945-1952.

La révérende-mère supérieure était apparemment une grande admiratrice du siècle de Louis XIV. Les jeunes filles y jouaient du Racine de la pure tradition Maintenon-saint-cyrienne. Et ma mère tenait – évidemment 😉 cela va sans dire – le rôle d’Athalie et celui d’Esther.

On y avait aussi le culte de Nicolas Boileau. C’est à l’adolescence que je l’ai appris, à mes dépens. Chaque fois que j’avais une discussion avec ma mère et que « je ne trouvais pas mes mots », elle m’assénait:

Ce que l’on conçoit bien s’énonce clairement,
Et les mots pour le dire arrivent aisément.

Cette malheureuse petite phrase, utilisée à tort et à travers, n’a pas fini de me poursuivre.

Jusque dans ce blog. Voilà bientôt deux ans que je l’ai commencé et j’ai la très nette impression, en y réfléchissant, que Nicolas Boileau s’est penché avec moi sur son berceau.

Car non seulement je me suis imposé des contraintes – comme cet abécédaire au fil des jours – mais je ne manque pas non plus de polir et de repolir, d’ajouter et d’effacer.

Quant à la recherche du mot juste, c’est une quête sans fin… dont j’ai rarement l’impression de sortir gagnante!

Il est certains esprits dont les sombres pensées
Sont d’un nuage épais toujours embarrassées ;
Le jour de la raison ne le saurait percer.
Avant donc que d’écrire, apprenez à penser.
Selon que notre idée est plus ou moins obscure,
L’expression la suit, ou moins nette, ou plus pure.
Ce que l’on conçoit bien s’énonce clairement,
Et les mots pour le dire arrivent aisément.

Surtout qu’en vos écrits la langue révérée
Dans vos plus grands excès vous soit toujours sacrée.
En vain, vous me frappez d’un son mélodieux,
Si le terme est impropre ou le tour vicieux :
Mon esprit n’admet point un pompeux barbarisme,
Ni d’un vers ampoulé l’orgueilleux solécisme.
Sans la langue, en un mot, l’auteur le plus divin
Est toujours, quoi qu’il fasse, un méchant écrivain.

Art poétique, Chant I

Z comme Zara

Je ne sais pas si vous l’avez remarqué aussi mais les étiquettes qu’on met dans la couture des pulls, T-shirts et autres blouses ou chemisiers, juste là dans le creux de la taille, deviennent de plus en plus grandes et de plus en plus nombreuses.

Prenez par exemple ce petit pull blanc tout simple, tout mince et qui est à porter près du corps. Trois fois onze centimètres d’une matière qui gratte. Et pour me dire quoi?

Etiquette numéro un, face un: les conseils pour le repassage et pour le nettoyage à sec. Sur la face deux, les conseils pour le lavage en machine. Le tout en six langues.

Etiquette numéro deux, face un: les composantes et le lieu de fabrication. Tout ça en seize langues. Face deux, les données de la firme. De A (Argentine) à Z (Zanzibar). 

Bon, je vais m’arrêter là, je sens que vous avez du mal à me croire. Une fois de plus le vrai n’est pas vraisemblable.

B comme Biche et Boileau

La dame qui vend des fromages de chèvre s’appelle Biche.

Non, je sais, ça ne s’invente pas. Donnez ce nom-là à votre personnage de roman bucolique et on vous le reprochera. C’est comme une Pervenche qui aurait été flic.

Pourtant c’est vrai. C’est marqué sur le sachet d’emballage: Biche et Jef Jacquelin.

Et puis pour votre roman bucolique, ne prenez pas non plus le vrai nom de leur patelin: car franchement, Champrond, est-ce bien crédible?

Le vrai peut quelquefois n’être pas vraisemblable. Boileau nous l’a bien dit.