
– Plus jamais, a décrété monsieur Neveu au terme du séjour berlinois, plus jamais je ne mettrai les pieds sur le sol allemand.
Il faut le comprendre: ce sont de ces serments qu’on se fait quand on a dix-huit ans. Mais il est vrai aussi qu’il a dû avaler quelques couleuvres. Comme petit Français.
– Comment, dit la dame au guichet, vous êtes étudiant et vous ne parlez pas l’anglais? Chez nous tous les étudiants savent l’anglais!
Chez nous aussi, se dit l’Adrienne, mais elle préfère ne pas polémiquer. Monsieur Neveu lui aussi connaît probablement assez d’anglais pour répondre à la question: « à quelle université étudiez-vous? ». Seulement, il n’en voyait pas l’utilité. D’abord parce que ce nom de la France profonde ne lui dirait sûrement rien et ensuite parce qu’elle lui refusait de toute façon l’entrée au tarif étudiant.
En France, paraît-il, il faut remettre sa carte d’étudiant à la fin de l’année académique et on vous la rend au début de la suivante. Pendant les vacances, vous n’êtes donc pas étudiant. Ou en tout cas, il vous est impossible de le prouver dans les musées allemands.
Même topo avec la dame de l’hôtel – « et ce jeune homme-là? il ne parle pas anglais? chez nous les jeunes parlent bien l’anglais! ». Monsieur Neveu fait celui qui n’a pas entendu et regarde ailleurs.
Il était pourtant parti plein de bonnes intentions, l’Adrienne lui avait appris les mots magiques, ‘Danke!’, ‘Guten Tag!’ et même ‘Entschuldigung!’
Le premier jour, au musée de l’histoire allemande, des affiches de la période nazie illustrent la mentalité qu’on voulait faire adopter par chacun. L’une d’elles montre les trois types possibles de race allemande et dans le présentoir d’à côté sont exposés les instruments de mesure nécessaire à vérifier si l’écartement des yeux ou la longueur du nez correspondent aux critères. Ainsi que tout un échantillonnage de couleurs de cheveux.
Dans le train du retour, l’Adrienne et monsieur Neveu décident qu’ils fabriqueront le même genre d’affiche: on y verra qu’au fur et à mesure que la peau s’assombrit, le niveau de gentillesse envers le touriste étranger augmente.
« On dirait, écrit un Français en commentaire sur le site de réservation de l’hôtel, que les gens ne savent pas ce que c’est un sourire. »
Au bout de huit jours à Berlin, l’Adrienne et monsieur Neveu peuvent vous le certifier: ce n’est pas une exagération.
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L’affiche en photo date de 1920: on y dit que les femmes allemandes protestent contre les forces d’occupation françaises en Rhénanie parce que les soldats français ont la peau noire: Protest der deutschen Frauen gegen die farbige Besatzung am Rhein.