Petit précis de vocabulaire à usage mondain
par une zélée zélatrice de Philippe Delerm
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1. On ne vous fait pas fuir au moins ?
Petite phrase à l’usage du couple qui fuit lâchement les lieux, profitant de votre arrivée inopinée.
Insister légèrement encore pour qu’ils restent : cela permettra de les voir se contorsionner en excuses bidon : on allait partir de toute façon – la gamine est fatiguée – demain c’est l’école – on a encore une longue route à faire…
2. C’est pas vrai !
Exclamation qui veut dire exactement le contraire de ce qu’elle semble exprimer.
L’utiliser pour montrer à quel point on admire l’invraisemblance du propos.
L’accompagner d’un minimum de théâtralité : yeux grand ouverts, bouche en O majuscule, main sur le cœur.
– Oh ! elle a osé faire ça ? C’est pas vrai !
3. Ça va refroidir
Politesse de la maîtresse de maison qui incite à commencer le repas sans elle.
Se récrier que non, que c’est bien chaud et qu’on l’attend.
Rajouter à son énervement de cuisinière des grands soirs en refusant de goûter la moindre bouchée avant qu’elle paraisse à table.
C’est une question de savoir-vivre.
On vous a fait le même coup cent fois.
4. Voilà, tu la connais l’histoire
Façon de terminer le récit du malheur des autres.
Toujours raconté avec la délectation de celui/celle qui croit que ça ne lui arrivera jamais. Qui croit que ça ne peut tout simplement pas lui arriver.
– Voilà, tu la connais l’histoire. C’est pour ça qu’ils ne se parlent plus depuis trente ans, son père et lui.
5. Il faut le voir sur scène
Expression de la supériorité absolue de l’élu « qui a vu sur scène » sur le commun des mortels « qui a vu à la télé ».
Le tout déguisé en conseil : « Il faut le voir sur scène », qu’on susurre en posant une main sur l’avant-bras de l’interlocuteur, en se penchant légèrement vers lui, sur le ton de la confidence intime.
Note : A ne pas confondre avec « Moi, je l’ai vu sur scène ! En 1967 ! A Bobino ! » qui est trop ouvertement vantard, surtout si l’artiste est mort depuis plus de quarante ans.
6. Ça devrait toujours rester comme ça
Petite phrase qui s’accompagne d’un léger soupir plein de faux regrets et qu’on ponctuera d’un grand sourire feint, tout en rendant à la mère – avec une joie qu’on s’efforce de dissimuler – le bébé braillard qui vient de faire un gros caca dans sa couche.
7. J’ai horreur de cette phrase
Propos de personne cultivée face à l’inculture manifeste.
Rejet de l’autre et de son manque de vocabulaire ou de naissance. Ou des deux.
Parce que, bien sûr, « c’est juste une question d’éducation ». Et qu’on est du bon côté de la barrière.
8. Du côté de mon mari
Façon subtile de renier des liens de parenté.
– Je croyais que vous étiez famille ?
– Oh ! c’est un cousin éloigné, du côté de mon mari.
D’un geste vague de la main, ce détail qui n’est pas anodin permet de clore la conversation sur un sujet peu reluisant dont on n’a pas envie de parler.
9. Ça a été ?
Accueille les clients au sortir de la cabine d’essayage. Signifie généralement qu’on les y a vus entrer avec des vêtements peu appropriés à leur âge ou à leur corpulence.
Leur proposer tout de même, mais sans enthousiasme exagéré:
– Vous voulez que je vous apporte la taille au dessus ?
10. C’est maintenant qu’il faut en profiter
Des soldes, des enfants en bas âge, du temps qu’il fait, de la retraite.
Phrase à adapter à l’âge de l’interlocuteur et à la saison.
De toute façon elle reste sans conséquence. Surtout utile quand on désire prendre congé.
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Et voilà!
Faudra tout de même que je finisse par trouver ce livre.

Que Philippe Delerm me pardonne de le pasticher sans l’avoir lu.

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