Le défi du 20

Je ne veux bien sûr pas arrêter le progrès,
Je ne veux me passer d’un repasse-limaces,
Mais je veux imiter d’un Pétrarque la grâce,
Ou la voix d’un Ronsard, pour chanter mes regrets.

Comme ceux au tableau bien écrits à la craie,
Permettant d’effacer leurs plus grandes audaces :
Moi, qui suis agitée d’une fureur plus basse,
Je n’entre si avant en si profonds secrets.

Les moules à tartelettes, appareils à raclette,
Calculettes à boulettes ou four bouffe-galettes,
Sans rechercher ailleurs plus graves arguments,

Aujourd’hui, c’est décidé, je m’en délivre
Au lieu de m’aider, ils m’empêchent de vivre:
Non, je n’ai plus besoin de tous ces instruments.

***

Merci à Lilousoleil qui proposait pour le 20 de ce mois raclette et regret.

Le texte est un pastiche du Sonnet IV de Du Bellay (Les Regrets, 1558, à lire en ligne ici.)

Premier agenda ironique

Je suis le ténébreux miroir inconsolé
Ma batterie est morte et je suis constellé 

de taches de café et d’autres petits reliefs de nourriture: c’est assise devant moi qu’elle boit et qu’elle mange. Car 

Elle a pris ce pli depuis des temps très lointains
De venir m’allumer très tôt chaque matin 

et de prendre tranquillement son petit déjeuner tout en me tapotant le clavier. Quand c’est l’heure de partir au travail, je sens bien qu’elle me quitte à regret. Elle me rallume dès son retour, nous voilà repartis pour des heures, 

Voici des O, des I, des E, des U, des A,
Qu’elle a usés avec ses ongles et ses doigts 

Elle m’emporte partout où elle va, j’ai vu l’Irlande et l’Italie, la mer du Nord aussi. 

Ainsi, toujours poussé vers de nouveaux rivages,
Je suis très heureux d’avoir fait de beaux voyages. 

Depuis quelque temps, je montre des signes de fatigue, nous luttons ensemble contre mon inexorable obsolescence programmée et je crains qu’elle ne pense bientôt à me remplacer. Même si 

Il le faut avouer, l’amour est un grand maître.
Ce qu’on ne fut jamais, il vous enseigne à l’être. 

C’est ainsi qu’elle a réussi à me tirer d’affaire, déjà une fois ou deux, et je lui suis reconnaissante d’avoir pu prolonger mon temps de vie, notre temps de vie commune, bien que nous ayons parfois nos nuages… 

Mon plus grand ennemi se rencontre en moi-même
Je vis, je meurs, je me sens l’âme plus qu’humaine. 

*** 

merci à Gérard de Nerval, Victor Hugo, Rimbaud, Verlaine, Molière, Racine, Louise Labé, Lamartine, Du Bellay, à mon ordinateur bien-aimé et à l’Agenda ironique de juin 

jeu,parodie,pastiche,poésie

7 ponts

Entre l’isola Tiberina et Castel Sant’Angelo, il y a sept ponts sur lesquels je passais souvent. Surtout le ponte Mazzini:

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puis il y a le ponte Sisto, qui est piétonnier:

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et enfin, le pont Garibaldi, qui touche à la pointe de l’isola Tiberina:

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le ponte Cestio relie l’île à la rive droite:

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et le ponte Fabricio la relie à la rive gauche:

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du côté de Castel Sant’Angelo il y a le ponte Principe Amedeo di Savoia:

Rome 2011 113 - ponte principe Amedeo di Savoia.JPG

et bien sûr le ponte Sant’Angelo:

Rome 2011 099 - ponte Sant'Angelo.JPG

ahlala! et dire que Joachim Du Bellay, quand il était à Rome, s’ennuyait de son petit Liré Langue tirée

H comme Heureux qui comme Ulysse…

Heureux qui, comme Ulysse, pensais-je entre deux petits sommes réparateurs, a fait un beau voyage,
Ou comme celle qui est venue à Malaga,
Et puis est retournée, pleine de méditations,
Vivre entre son ordi et son poêle à bois !

I*** avait dû le sentir, car le lendemain de ce jour-là elle m’a posé la question:

– Depuis combien de temps est-ce que tu es en train de penser à rentrer chez toi?
– Depuis hier.

Non pas que j’aie follement envie de rentrer, mais il vient un moment où je pense

Quand reverrai-je, hélas, de mon petit village
Fumer la cheminée, et en quelle saison
Reverrai-je le clos de ma pauvre maison,
Qui m’est une province, et beaucoup davantage ?

En réalité, ce sont d’abord les vers de Ronsard qui me sont venus à l’esprit:

Quand je suis vingt ou trente mois
Sans retourner en Vendômois,
Plein de pensées vagabondes,
Plein d’un remords et d’un souci,
Aux rochers je me plains ainsi,
Aux bois, aux antres et aux ondes.

Et je me disais que je ne pourrais pas rester vingt ou trente mois éloignée de chez moi.

Mais en fait, je n’en sais rien, je ne l’ai encore jamais essayé.

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22 plus jolis vers de la langue française (suite)

Pour ceux qui auraient raté ou oublié ce que j’en disais le mois passé, allez voir au précédent 22. Les autres peuvent tout de suite reprendre le petit jeu ici 🙂

Je crois bien qu’il y a matière à une nouvelle série de onze pour le mois prochain, il n’y avait plus la place de mettre ici « la plus jolie façon de dire qu’on va craquer une allumette »… Donc rendez-vous au 22 août!

1.la plus jolie façon de dire qu’on se porte bien:
Si fais à toutes gens savoir
Qu’encore est vive la souris

2.la plus jolie façon d’adresser une requête à son sponsor:
Roi des Français, plein de toutes bontés,
Quinze jours a, je les ai bien comptés,
Et dès demain feront justement seize,
Que je fus fait confrère au diocèse
De Saint-Marry, en l’église Saint-Pris.

3.la plus jolie façon de donner des fleurs:
J’offre ces violettes,
Ces lis et ces fleurettes
Et ces roses ici,
Ces vermeillettes roses,
Tout fraîchement écloses,
Et ces oeillets aussi.

4.la plus jolie façon de dire la joie d’être amoureux:
Tant ai al cor d’amor,
De joi e de doussor,
Per que’l gels me sembla flor
E la neus verdura.
(Tant j’ai au coeur d’amour
De joie et de douceur
Que le gel me semble fleur
Et la neige verdure)

5.la plus jolie façon de chanter jusqu’à son dernier souffle:
Comme un dernier rayon, comme un dernier zéphyre
Anime la fin d’un beau jour,
Au pied de l’échafaud j’essaye encor ma lyre.

6.la plus jolie façon de dire qu’on est fauché:
Je n’ai d’argent qu’en mes cheveux

7.la plus jolie façon de dire qu’il est parti en emportant votre coeur:
Le vôtre est rendu,
Je n’en ai plus d’autre

8.la plus jolie façon de dire l’adolescence:
On n’est pas sérieux quand on a dix-sept ans

9.la plus jolie façon de dire le pouvoir de la musique:
Un petit roseau m’a suffi
Pour faire frémir l’herbe haute

10.la plus belle façon de faire une pirouette à l’ordre établi:
J’ai mis mon képi dans la cage
Et je suis sorti avec l’oiseau sur la tête

11.et pour terminer, la plus jolie façon de définir la poésie:
Bien placés bien choisis
quelques mots font une poésie
les mots il suffit qu’on les aime
pour écrire un poème
on ne sait pas toujours ce qu’on dit
lorsque naît la poésie
faut ensuite rechercher le thème
pour intituler le poème
mais d’autres fois on pleure on rit
en écrivant la poésie
ça a toujours kékchose d’extrême
un poème

***

ci-dessous, les noms des auteurs et les titres des poèmes cités:

1.Charles d’Orléans, Encore est vive la souris
2.Clément Marot, Au Roi, pour le délivrer de prison (octobre 1527)

3.Joachim Du Bellay, D’un vanneur de blé aux vents (in Jeux rustiques (1558)
4.Bernard de Ventadour, J’ai le coeur si plein de joie…
5.André Chénier, Comme un dernier rayon, comme un dernier zéphyre…, in Oeuvres posthumes, 1826

6.Tristan Corbière, Conclusion, (in Le coffret de santal)
7.Marceline Desbordes-Valmore, Qu’en avez-vous fait? (in Elégies, 1825)
Vous aviez mon coeur,
Moi, j’avais le vôtre:
Un coeur pour un coeur,
Bonheur pour bonheur!

Le vôtre est rendu,
Je n’en ai plus d’autre;
Le vôtre est rendu,
Le mien est perdu!

8.Arthur Rimbaud, Roman, in Poésies, 1871
9.Henri de Régnier, Odelette, in Les jeux rustiques et divins, 1897
10.Jacques Prévert, et je ne résiste pas à l’envie de vous donner toute la suite 😉
J’ai mis mon képi dans la cage
et je suis sorti avec l’oiseau sur la tête
Alors
on ne salue pas
a demandé le commandant
Non
on ne salue pas
a répondu l’oiseau
Ah bon
excusez-moi je croyais qu’on saluait
a dit le commandant
Vous êtes tout excusé tout le monde peut se tromper
a dit l’oiseau

désolée s’il y a une erreur, j’ai prêté mon exemplaire de Paroles et je ne sais plus à qui…

11.Raymond Queneau, Un poème, in Si tu t’imagines, dans Œuvres complètes, I, édition établie par Claude Debon, Bibliothèque de la Pléiade, Gallimard, 1989, p. 105-106.

U comme Ulysse

Madame dit un grand merci à Ridan pour sa chanson et son clip Ulysse car il reprend le texte du fameux sonnet de Du Bellay et est un véritable cadeau pour le cours de français!

Heureux qui comme Ulysse a fait un beau voyage

Jugez vous-même si vous ne le connaissez pas encore, il est là : http://www.dailymotion.com/video/x2camj_ulysse-ridan_music

Et si on est prof de français langue étrangère, on peut même avoir le clip avec le texte en sous-titre: http://www.dailymotion.com/video/x2wzsq_ulysse-ridan-soustitres_music

Fabuleux, non 😉 ? Qu’en penses-tu, Joachim?

JoachimDuBellay

P comme poèmes pour la postérité

Récemment, un prof de Lettres (comme on dit en France) posait la question suivante sur notre liste d’échanges: « Si on ne pouvait garder que 10 poèmes de la littérature française, lesquels retiendriez-vous? »

Voilà le genre de question que je DETESTE. Presque autant que celle des 3 (ou 5) objets qu’on emporterait sur notre île déserte… est-ce qu’il y aura l’électricité, sur mon île? est-ce que j’aurai besoin d’un précis de botanique pour savoir quelle plante manger ou est-ce que ce sera le moment de lire A la recherche du temps perdu? hamac ou moustiquaire? crème solaire ou boîte à outils?

Enfin bref, je n’ai malgré tout pas pu m’empêcher d’y réfléchir, à cette horrible question des 10 poèmes à sauver pour l’éternité.

Serons-nous équitable et en prendrons-nous un ou deux par siècle? Bernard de Ventadour, Charles d’Orléans, François Villon, Christine de Pisan,… faut déjà que je m’arrête, désolée Marie de France, pauvre Rutebeuf, le 16e siècle m’attend.

Clément Marot, Ronsard, Du Bellay, ne pas oublier ma chère et folle Louise Labé, zut, ça en fait déjà quatre.

Pas grave, au 17e siècle je ne prendrai que La Fontaine et au 18e juste André Chénier.

Bon, ça en fait déjà 10 quand même. Et on n’a pas encore décidé quel poème UNIQUE on garderait de chacun!

Alors le 19e siècle, Hugo, Baudelaire, Verlaine, Rimbaud, Mallarmé… ?

Et le 20e? Verhaeren! Jammes, Apollinaire, Eluard, Aragon, Prévert, Michaux, Senghor, Césaire… ?

Help! je veux les sauver tous, moi! même cette pauvre Marceline Desbordes-Valmore et sa couronne effeuillée…