F comme Flaubert

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C’était une de ces choses d’ordre composite, où l’on retrouve les éléments du jupon grand siècle, des falbalas de velours et de soie, de la montgolfière et des vieux rideaux défraîchis, une de ces lampes en pied dont la laideur muette est le meilleur des émétiques. Large, haute et renflée de baleines, elle commençait par un boudin circulaire; puis s’alternaient, séparées par des cordons dorés, des bandes de velours grenat et de soie vieux rose imprimée de motifs beige et bruns; venait ensuite une façon de couronne, le tout reposant sur des pieds en ferronnerie verdâtre tarabiscotée avec à mi-hauteur une table ronde en verre gravé de fleurs et d’arabesques, où pendait le fil avec l’interrupteur et la prise électrique.

La chose trônait bien en vue entre un faux canapé Chesterfield et un fauteuil plus récent, évoquant vaguement un transatlantique.

Le visiteur qui entrait pour la première fois dans le salon en recevait comme un coup de poing entre les deux yeux.

***

Ecrit pour l’agenda ironique de mars d’après la consigne suivante:

Le thème : Lampadaire – composer un texte (prose ou poésie – long ou court) sur cet « objet » urbain (ou pas) dans le genre qu’il vous plaira (fantastique, utopique, commun, journalier, romantique, animalier … ou même un lampadaire perdu sur la planète Mars)

Et pour « faire » bonne mesure, quatre mots imposés :
– Chesterfield
– Émétique
– Atlantique
– Évocateur

(vous pouvez les placer dans le désordre ou l’ordre et même en faire des anagrammes ou les triturer selon votre bon vouloir).

***

Les lecteurs reconnaîtront sans doute l’incipit de Madame Bovary, avec la description de la casquette du pauvre Charles – source de la photo ici.

L comme livres

J’ai trouvé dans ma bibliothèque
de gros volumes cartonnés
portant la signature du grand-oncle Aimé.

J’ai trouvé dans ma bibliothèque
recouverts d’un vieux papier vert
les livres de classe de mon beau-père.

J’ai trouvé dans ma bibliothèque
dans un manuel de bricolage
une photo de notre mariage.

Les romans d’amour hérités de tante Simonne
Les Comtesse de Ségur reçus de Marie-Louise
Les Jules Verne cadeaux de madame Henriette

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 Les grands classiques, les lectures imposées, une collection de romans pour la jeunesse, les recueils de poèmes, les anthologies historiques, tout le théâtre de Ghelderode et d’Ionesco, de Racine et de Molière, toute la poésie du 16e siècle, de Verlaine et de Rimbaud.

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Jacques Prévert et Jacques le fataliste. François Mauriac et François le Champi. Madame de la Fayette et madame Bovary.

Tout emballer, tout répertorier, tout déménager, tout reclasser, tout replacer.

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Pourtant je ne suis pas bibliothécaire Clin d'œil

***

texte écrit pour les Croqueurs de mots n°127
http://c-estenecrivantqu-ondevient.hautetfort.com/archive/2014/06/30/defi-n-126-5383002.html

 Merci à Enriqueta de m’avoir prévenue!

Et bonne fête nationale aux amis français Sourire

M comme modestie

« Les grands écrivains parlent d’eux », dit Colombe Schneck dans un petit extrait vidéo où en moins de deux minutes elle transmet les conseils d’écriture qu’elle a elle-même reçus de grands éditeurs.

« Marguerite Duras ne parlait que d’elle », poursuit Colombe Schneck, pour ponctuer son affirmation d’un exemple bien convaincant.

Voilà qui me rassure tout à fait, vu que je suis absolument incapable d’écrire la moindre fiction Langue tirée

***

Les conseils que Colombe Schneck tient à nous transmettre sont au nombre de trois:

1.faire simple, être le plus simple possible

2.mettre le suspense pour que le lecteur ait envie de lire

3.écrire à la première personne, surtout pour un premier livre

Me voilà donc prête, et infiniment mieux armée que ce pauvre Marcel, à qui personne n’avait précisé de faire simple ni de mettre du suspense…

***

Mais dites-moi comment, après ça, conserver un brin de modestie? Incertain

En écoutant bien jusqu’au bout: « De grands écrivains, en France, il y en a trois »

N’est-ce pas que voilà une petite phrase souveraine contre la grosse tête!

http://www.enviedecrire.com/les-conseils-de-colombe-schneck/

***

Pour ceux que le sujet intéresse et à qui ça rappellerait des souvenirs de « Madame Bovary, c’est moi! » il semblerait que cette phrase soit apocryphe. C’est en tout cas ce qui résulte d’un colloque sur Flaubert dont le Magazine Littéraire du premier novembre 2006 dit ceci:

« Flaubert n’a jamais écrit « Madame Bovary, c’est moi », ni dans la Correspondance, ni dans le moindre carnet. Il s’agit d’un « ouï-dire ». Quelqu’un a prétendu, trente ans après la mort de l’auteur, avoir entendu dire qu’une amie de Flaubert aurait dit à une personne digne de foi que Flaubert le lui avait dit : bref, c’est l’histoire de l’homme qui a vu l’homme qui a vu l’homme qui a vu l’ours… »

F comme fabulation

C’est bien de se découvrir des points communs avec des gens…

Ainsi j’ai vu que le photographe Heinrich Kühn (expo à l’Orangerie) est allé en vacances près de Brixen, dans le Süd Tirol (Bressanone, Italie du Nord), qu’il y a fait la même promenade en montagne et photographié la même croix.

J’ai entendu dans un film qui lui était consacré (expo au Grand Palais, film passé à l’Auditorium) que Claude Monet était un éternel perfectionniste insatisfait qui touchait et retouchait si souvent ses oeuvres qu’il lui arrivait de les gâcher complètement.

J’ai vu dans une des vitrines (expo à la Maison de l’Amérique Latine) que Mario Vargas Llosa a découvert Madame Bovary dans la même édition que moi, celle de chez Garnier par Claudine Gothot-Mersch. Mais la mienne est encore comme neuve tandis que la sienne est complètement annotée et commentée.

Fabulons, fabulons et formons une chaîne autour de la terre Cool

***

Et comme les mendiants, les paysans et tout ce petit peuple peint par « il maestro della tela jeans » (expo à la galerie Canesso, rue Laffitte) je travaille chez moi dans des vêtements troués, effilochés, usés, recousus et rapiécés

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la rue Laffitte

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la galerie Canesso

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l’affiche de l’expo

http://www.canesso.com/Galerie-Canesso-tableaux-anciens-peinture-italienne-Home-DesktopDefault.aspx?tabid=1&lg=fr

 

 

 

L comme liste de lecture

J’aime beaucoup le blog de Lucie (Clavier bien tempéré, http://lucierenaud.blogspot.com/). Le 24 septembre dernier, elle y a posté cette liste des 100 livres préférés des Français. Je ne sais rien des origines de cette liste ni de son sérieux, mais je ne peux m’empêcher d’y aller à mon tour de mes commentaires de lecture (ou de non-lecture, dans la majorité des cas!). Tout comme Lucie, je mets en gras ce que j’ai lu.

1 La Bible (mais je suis loin de l’avoir lue au complet! D’ailleurs, j’en ai une version scolaire dans laquelle de larges coupures ont été faites, vous devinerez aisément lesquelles, je suppose…)

2 Les misérables de Victor Hugo (mais là non plus pas dans son entièreté…)

3 Le petit prince d’Antoine de Saint-Exupéry (« absolument, certainement le livre que j’ai relu le plus souvent », écrit Lucie. Pareil pour moi, je peux en citer de larges extraits par coeur.)

4 Germinal d’Emile Zola (de larges extraits, donc je ne le compte pas. J’ai vu le film…)

5 Le seigneur des anneaux de J.R.R. Tolkien (« et je n’ai pas vu les films non plus… oui, je sais, haro sur moi! » dit Lucie. Alors haro sur moi aussi!)

6 Le rouge et le noir de Stendhal (lu à l’université, relu par après; toujours aussi fascinant)

7 Le grand Meaulnes d’Alain-Fournier (je m’en suis imposé la lecture, je ne l’ai pas trop aimé, je l’ai relu dernièrement, ce n’est toujours pas le grand amour entre Augustin et moi)

8 Vingt mille lieues sous les mers de Jules Verne (pas celui-là, mais plusieurs autres)

9 Jamais sans ma fille de Betty Mahmoody (j’ai un certain parti pris contre ce genre de livres)

10 Les trois mousquetaires d’Alexandre Dumas (« j’ai vu nombre de versions filmées, est-ce que ça compte? » demande Lucie. Moi aussi! Mais j’en ai lu une version ‘bibliothèque verte’, je ne sais pas si le texte en avait été adapté… je devrais vérifier)

11 La gloire de mon père de Marcel Pagnol (ah oui! et le Château de ma mère! agréable lecture détente et nostalgie)

12 Le journal d’Anne Frank d’Anne Frank (en version originale mais bof, oserais-je le dire?)

13 La bicyclette bleue de Régine Deforges (mais je n’en ai gardé aucun souvenir)

14 La nuit des temps de René Barjavel (inconnu au bataillon)

15 Les oiseaux se cachent pour mourir de Colleen Mc Cullough (je ne lis presque pas d’oeuvres traduites)

16 Dix petits nègres d’Agatha Christie (pas celui-là, quelques autres, oui)

17 Sans famille d’Hector Malot (ça m’a rendue malade de chagrin, tout enfant)

18 Les albums de Tintin de Hergé (« je ne suis pas très BD mais j’ai lu les Astérix, les Tintin, les Rubrique-à-Brac, certains Gaston Lagaffe, des Boule et Bill… bon, j’arrête! » écrit Lucie. Héhé, moi aussi… et Spirou, les Marsupilamis…)

19 Autant en emporte le vent de Margaret Mitchell (c’est le seul film que nous soyons jamais allés voir en famille, mon père, ma mère, mon frère et un couple d’amis avec leurs deux fils.)

20 L’assommoir d’Emile Zola (non, très peu de Zola)

21 Jane Eyre de Charlotte Brontë

22 Dictionnaires Petit Robert, Larousse, etc. (c’est évident)

23 Au nom de tous les miens de Martin Gray

24 Le comte de Monte-Cristo d’Alexandre Dumas (le film, oui, et le livre en version ‘bibliothèque verte’)

25 La cité de la joie de Dominique Lapierre

26 Le meilleur des mondes d’Aldous Huxley

27 La peste d’Albert Camus (oui, mais je crois que j’étais trop jeune et que je devrais le relire)

28 Dune de Frank Herbert (jamais entendu parler… c’est grave?)

29 L’herbe bleue Anonyme (?)

30 L’étranger d’Albert Camus (sûrement dans mon top 5! lu des tas de fois et toutes les lectures sont possibles, sociologique, psychologique,… voir le livre de Brian T. Fitch )

31 L’écume des jours de Boris Vian (à lire encore)

32 Paroles de Jacques Prévert (j’aime beaucoup)

33 L’alchimiste de Paulo Coelho (j’ai lu ce livre au moment où il a fait ‘un boum’ mais je n’y ai pas trouvé un fol intérêt… et je l’ai déjà complètement oublié)

34 Les fables de Jean de La Fontaine (à lire et à relire… j’y ai encore fait une découverte en septembre dernier, avec Le Mal Marié – voir la question existentielle du 19 septembre)

35 Le parfum de Patrick Süskind (non, ça ne m’attire pas)

36 Les fleurs du mal de Charles Baudelaire (dans mon top 100 il y aurait encore beaucoup plus de recueils de poèmes)

37 Vipère au poing d’Hervé Bazin (je l’ai commencé mais c’est trop mon propre vécu, ça fait très mal)

38 Belle du seigneur d’Albert Cohen (« beaucoup trop long mais une belle intensité tordue dans cette relation de couple » dit Lucie; en effet, je ne l’ai pas terminé)

39 Le lion de Joseph Kessel (mais j’étais ado, à l’époque)

40 Huis clos de Jean-Paul Sartre (à lire)

41 Candide de Voltaire (j’aime de plus en plus Voltaire; nous n’avons fait connaissance que très tardivement ;-))

42 Antigone de Jean Anouilh (je le relis toujours avec plaisir… « c’est
propre, la tragédie »)

43 Les lettres de mon moulin d’Alphonse Daudet (pour l’ambiance, comme les Pagnol)

44 Premier de cordée de Roger Frison-Roche

45 Si c’est un homme de Primo Levi (je vais me l’acheter en italien)

46 Les malheurs de Sophie de la comtesse de Ségur (et la trentaine de volumes de la brave comtesse née Rostopchine, reçus d’une amie de ma mère! je les ai encore dans une boîte au grenier)

47 Le tour du monde en 80 jours de Jules Verne (le film oui)

48 Les fourmis de Bernard Werber

49 La condition humaine d’André Malraux (j’y ai déjà courageusement commencé plusieurs fois)

50 Les Rougon-Macquart d’Emile Zola

51 Les rois maudits de Maurice Druon (qu’est-ce que ça vient faire ici?)

52 Cyrano de Bergerac d’Edmond Rostand (oh que ça me touche, c’est bête hein)

53 Les hauts de Hurlevent d’Emily Brontë (à 16 ans et en anglais, j’étais loin d’avoir tout compris)

54 Madame Bovary de Gustave Flaubert (grand livre aussi, celui-là!)

55 Les raisins de la colère de John Steinbeck (ma prof d’anglais n’aimait pas, alors…)

56 Le château de ma mère de Marcel Pagnol (voir le 11)

57 Voyage au centre de la Terre de Jules Verne (voir le 8)

58 La mère de Pearl Buck

59 Le pull-over rouge de Gilles Perrault

60 Mémoires de guerre de Charles de Gaulle

61 Des grives aux loups de Claude Michelet

62 Le fléau de Stephen King 

63 Nana d’Emile Zola

64 Les petites filles modèles de la comtesse de Ségur (voir le 46)

65 Pour qui sonne le glas d’Ernest Hemingway

66 Cent ans de solitude de Gabriel García Márquez (pour entretenir mon espagnol)

67 Oscar et la dame rose d’Eric-Emmanuel Schmitt (j’ai adoré et mes élèves en sont tous fan!)

68 Robinson Crusoé de Daniel Defoe (mais il y a très longtemps)

69 L’île mystérieuse de Jules Verne

70 La chartreuse de Parme de Stendhal (commencé déjà deux fois…)

71 1984 de George Orwell

72 Croc-Blanc de Jack London

73 Regain de Jean Giono (j’aime!)

74 Notre-Dame de Paris de Victor Hugo (je préfère Hugo en poète)

75 Et si c’était vrai de Marc Levy (pas du tout mon truc)

76 Voyage au bout de la nuit de Louis-Ferdinand Céline (à lire)

77 Racines d’Alex Haley (ignorandus, ignoranda, ignorandum)

78 Le père Goriot d’Honoré de Balzac (et beaucoup d’autres)

79 Au bonheur des dames d’Emile Zola (et j’ai beaucoup aprrécié)

80 La terre d’Emile Zola

81 La nausée de Jean-Paul Sartre (rien lu de Sartre, je me demande pourquoi j’éprouve de l’antipathie pour ce monsieur)

82 Fondation d’Isaac Asimov

83 Le vieil homme et la mer d’Ernest Hemingway (en anglais, ce qui fait que je n’ai qu’une idée très approximative du genre de poisson contre lequel le vieil homme se bat)

84 Louisiane de Maurice Denuzière

85 Bonjour tristesse de Françoise Sagan 

86 Le club des cinq d’Enid Blyton (je crois bien que je les ai tous lus… bibliothèque verte!)

87 Vent d’est, vent d’ouest de Pearl Buck

88 Le deuxième sexe de Simone de Beauvoir (des extraits)

89 Les cavaliers de Joseph Kessel

90 Jalna de Mazo de la Roche 

91 J’irai cracher sur vos tombes de Boris Vian (à lire)

92 Bel-Ami de Guy de Maupassant (commencé, pas terminé; de Maupassant j’apprécie surtout les nouvelles)

93 Un sac de billes de Joseph Joffo (ainsi que deux ou trois autres, mais j’aurais dû m’en tenir au sac de billes)

94 Le pavillon des cancéreux d’Alexandre Soljenitsyne

95 Le désert des Tartares de Dino Buzzati (par contre j’ai lu son excellent recueil de nouvelles, le K!)

96 Les enfants de la terre de Jean M. Auel

97 La 25e heure de Virgil Gheorghiu

98 La case de l’oncle Tom de H. Beecher-Stowe (en bibliothèque verte, ça compte?)

99 Les Thibault de Roger Martin du Gard (plusieurs volumes, chronologiquement, et puis tout à coup j’en ai eu assez et je me suis arrêtée)

100 Le silence de la mer de Vercors (ni à 15 ans ni aujourd’hui à 50 je n’ai de sympathie pour l’attitude de l’héroïne)

 Et voilà, je suis arrivée au bout! A vous, maintenant!

 

J comme jeu des incipits

Voici les réponses au deuxième jeu des incipits (voir les 11 et 12 mai, lettres i et j pour le premier jeu des incipits et voir à la date d’hier si vous voulez d’abord lire les incipits sans leur nom d’auteur)

Aujourd’hui dans notre « abécédaire du temps qui passe » les auteurs à trouver avaient donc un nom qui commençait par F, G, H, I et J.

premier incipit:

Des nuées d’orage couraient au-dessus de la steppe coincée entre les fortifications et la gare de marchandises des Batignolles. La vaste étendue d’herbe galeuse dégageait des relents d’égout. Groupés autours de tombereaux d’ordures ménagères, des chiffonniers nivelaient à coups de crochet une marée de détritus, soulevant des tourbillons de poussière. Au loin, un train s’avançait, grossissait lentement. Une bande de gamins dévala les buttes en hurlant:

– Le voilà! Buffalo Bill arrive! 

Claude Izner, Mystère rue des Saints-Pères, coll. 10/18, 2003

deuxième incipit:

Fils unique, j’ai longtemps eu un frère. Il fallait me croire sur parole quand je servais cette fable à mes relations de vacances, à mes amis de passage. J’avais un frère. Plus beau, plus fort. Un frère aîné, glorieux, invisible.

Philippe Grimbert, Un secret, LdeP n° 30563, 2007

troisième incipit:

Nous étions à l’Étude, quand le Proviseur entra, suivi d’un nouveau habillé en bourgeois et d’un garçon de classe qui portait un grand pupitre. Ceux qui dormaient se réveillèrent, et chacun se leva comme surpris dans son travail.
      Le Proviseur nous fit signe de nous rasseoir ; puis, se tournant vers le maître d’études:
      – Monsieur Roger, lui dit-il à demi-voix, voici un élève que je vous recommande, il entre en cinquième. Si son travail et sa conduite sont méritoires, il passera dans les grands, où l’appelle son âge.
      Resté dans l’angle, derrière la porte, si bien qu’on l’apercevait à peine, le nouveau était un gars de la campagne, d’une quinzaine d’années environ, et plus haut de taille qu’aucun de nous tous. Il avait les cheveux coupés droit sur le front, comme un chantre de village, l’air raisonnable et fort embarrassé. Quoiqu’il ne fût pas large des épaules, son habit-veste de drap vert à boutons noirs devait le gêner aux entournures et laissait voir, par la fente des parements, des poignets rouges habitués à être nus. Ses jambes, en bas bleus, sortaient d’un pantalon jaunâtre très tiré par les bretelles. Il était chaussé de souliers forts, mal cirés, garnis de clous.
      On commença la récitation des leçons. Il les écouta de toutes ses oreilles, attentif comme au sermon, n’osant même croiser les cuisses, ni s’appuyer sur le coude, et, à deux heures, quand la cloche sonna, le maître d’études fut obligé de l’avertir, pour qu’il se mît avec nous dans les rangs.
      Nous avions l’habitude, en entrant en classe, de jeter nos casquettes par terre, afin d’avoir ensuite nos mains plus libres ; il fallait, dès le seuil de la porte, les lancer sous le banc, de façon à frapper contre la muraille en faisant beaucoup de poussière ; c’était là le genre.
      Mais, soit qu’il n’eût pas remarqué cette manoeuvre ou qu’il n’eût osé s’y soumettre, la prière était finie que le nouveau tenait encore sa casquette sur ses deux genoux. C’était une de ces coiffures d’ordre composite, où l’on retrouve les éléments du bonnet à poil, du chapska, du chapeau rond, de la casquette de loutre et du bonnet de coton, une de ces pauvres choses, enfin, dont la laideur muette a des profondeurs d’expression comme le visage d’un imbécile. Ovoïde et renflée de baleines, elle commençait par trois boudins circulaires ; puis s’alternaient, séparés par une bande rouge, des losanges de velours et de poils de lapin ; venait ensuite une façon de sac qui se terminait par un polygone cartonné, couvert d’une broderie en soutache compliquée, et d’où pendait, au bout d’un long cordon trop mince, un petit croisillon de fils d’or, en manière de gland. Elle était neuve ; la visière brillait.
      – Levez-vous, dit le professeur.
      Il se leva ; sa casquette tomba. Toute la classe se mit à rire.
      Il se baissa pour la reprendre. Un voisin la fit tomber d’un coup de coude, il la ramassa encore une fois.
      – Débarrassez-vous donc de votre casque, dit le professeur, qui était un homme d’esprit.
      Il y eut un rire éclatant des écoliers qui décontenança le pauvre garçon, si bien qu’il ne savait s’il fallait garder sa casquette à la main, la laisser par terre ou la mettre sur sa tête. Il se rassit et la posa sur ses genoux.
      – Levez-vous, reprit le professeur, et dites-moi votre nom.
      Le nouveau articula, d’une voix bredouillante, un nom inintelligible.
      – Répétez !
Le même bredouillement de syllabes se fit entendre, couvert par les huées de la classe.
      – Plus haut ! cria le maître, plus haut !

Gustave Flaubert, Madame Bovary, Classiques Garnier, 1974

quatrième incipit:

Condamné à mort !

      Voilà cinq semaines que j’habite avec cette pensée, toujours seul avec elle, toujours glacé de sa présence, toujours courbé sous son poids !

      Autrefois, car il me semble qu’il y a plutôt des années que des semaines, j’étais un homme comme un autre homme. Chaque jour, chaque heure, chaque minute avait son idée. Mon esprit, jeune et riche, était plein de fantaisies. Il s’amusait à me les dérouler le
s unes après les autres, sans ordre et sans fin, brodant d’inépuisables arabesques cette rude et mince étoffe de la vie. C’étaient des jeunes filles, de splendides chapes d’évêque, des batailles gagnées, des théâtres pleins de bruit et de lumière, et puis encore des jeunes filles et de sombres promenades la nuit sous les larges bras des marronniers. C’était toujours fête dans mon imagination. Je pouvais penser à ce que je voulais, j’étais libre.

      Maintenant je suis captif. Mon corps est aux fers dans un cachot, mon esprit est en prison dans une idée. Une horrible, une sanglante, une implacable idée ! Je n’ai plus qu’une pensée, qu’une conviction, qu’une certitude : condamné à mort !

Victor Hugo, Le dernier jour d’un condamné (disponible sur Internet)

 

cinquième incipit:

« Tes yeux. Immenses. Ton regard doux et patient où brûle ce feu qui te consume. Où sans relâche la nuit meurtrit ta lumière. Dans l’âtre, le feu qui ronfle, et toi, appuyée de l’épaule contre le manteau de la cheminée. A tes pieds, ce chien au regard vif et si souvent levé vers toi. Dehors, la neige et la brume. Le cauchemar des hivers. De leur nuit interminable. La route impraticable, et fréquemment, tu songes à un départ à une vie autre, à l’infini des chemins. Ta morne existence dans ce village. Ta solitude. Ces secondes indéfiniment distendues quand tu vacilles à la limite du supportable. Tes mots noués dans ta gorge. A chaque printemps, cet appel, cet élan, ta force enfin revenue. La route neuve et qui brille. Ce point si souvent scruté où elle coupe l’horizon. Mais à quoi bon partir. Toute fuite est vaine et tu le sais. Les longues heures spacieuses, toujours trop courtes, où tu vas et viens en toi, attentive, anxieuse, fouaillée par les questions qui alimentent ton incessant soliloque. Nul pour t’écouter, te comprendre, t’accompagner. Partir, partir, laisser tomber les chaînes, mais ce qui ronge, comment s’en défaire ? Au fond de toi, cette plainte, ce cri rauque qui est allé s’amplifiant, mais que tu réprimais, refusais, niais, et qui au fil des jours, au fil des ans, a fini par t’étouffer. La nuit interminable des hivers. Tu sombrais. Te laissais vaincre. Admettais que la vie ne pourrait renaître. A jamais les routes interdites, enfouies, perdues. Mais ces instants que je voudrais revivre avec toi, ces instants où tu lâchais les amarres, te livrais éperdument à la flamme, où tu laissais s’épanouir ce qui te poussait à t’aventurer toujours plus loin, te maintenait les yeux ouverts face à l’inconnu. Tu n’aurais osé le reconnaître, mais à maintes reprises il est certain que l’immense et l’amour ont déferlé sur tes terres. Puis comme un coup qui t’aurais brisé la nuque, ce brutal retour au quotidien, à la solitude, à la nuit qui n’en finissait pas. Effondrée, hagarde. Incapable de reprendre pied. Te ressusciter, te recréer. te dire au fil des ans et des hivers avec cette lumière qui te portait, mais qui un jour, pour ton malheur et le mien, s’est déchirée. »

Charles Juliet, Lambeaux, P.O.L., 1995