J’ai longtemps hésité, parce que c’est toujours plus agréable de dire du bien d’un livre que de le critiquer. Mais plus j’y pense, plus je me demande d’où vient cet engouement planétaire pour un bouquin bourré de fautes de grammaire (1), d’orthographe (2) et de clichés.
Impossible de dire ce qui m’a le plus gênée. Les fautes sont tellement nombreuses que je m’étonne qu’aucun critique littéraire ne mentionne ce fait. Si nombreuses que je m’étonne que les éditions Au diable Vauvert ne disposent pas de correcteurs. Que je m’étonne qu’aucun blogueur ne s’en étonne.
Même remarque pour les clichés. Peut-être cela a-t-il quelque chose de rassurant pour le lecteur, l’association de ‘sec‘ + ‘comme un coup de trique‘ et autres expressions usées, mais d’un auteur on attend tout de même mieux que cette accumulation: les vieilles dames ont forcément des cheveux « violine » et sentent l’eau de Cologne, une Ivoirienne est forcément « rigolarde » et en boubou multicolore , les « mauvais » et leur méchante machine mangeuse de livres portent des noms à consonance étrangère, Kowalski, Brunner, Zerstor et s’accompagnent de tout un vocabulaire nazi, depuis la couleur vert-de-gris jusqu’au mot génocide. Il me semble qu’à ce point-là, on ne peut pas parler d’humour ni de clin d’œil.
Bref, un bouquin dont la première moitié a des promesses de fable moderne (un homme épris de littérature travaille dans une usine qui recycle les surplus de livres pour en faire de la pâte à papier) et la seconde moitié raconte une bluette (l’homme trouve une clé USB qui contient 72 pages du journal intime d’une dame pipi, on quitte le génocide pour la love story).
Les clichés ne manquent pas non plus dès qu’on en arrive aux dames pipi et à leur public. Pourquoi en serait-il autrement dans un livre où ils abondent? Mais je vous les épargne
.
Mon reproche le plus grave concerne l’histoire: pourquoi avoir complètement abandonné la fable à mi-chemin pour passer à la bluette? Peut-on impunément faire de l’héroïne de la deuxième partie une sorte de clone (en plus jeune) de la concierge de Muriel Barbery (3)? Comment est-il possible de créer un personnage féru de théâtre classique et amoureux de l’alexandrin, et de commettre des erreurs dans la citation des extraits? (4) Enfin, est-ce que personne n’a relu ce manuscrit pour y déceler les incohérences? (5)
Bref, il y a de l’idée, il y a du « feel good » dans ce monde de brutes et la fable se change en conte de fées.
Voilà sans doute où réside le secret de son succès. Il paraît même qu’on va en faire un film.

http://www.20minutes.fr/culture/1388141-20140529-liseur-6h27-futur-best-seller
(1) l’accord du verbe avec le sujet, l’accord du participe passé et tous les autres accords à faire ou à ne pas faire posent problème: l’empreinte tiède que son corps avait laissé, p.10;les tuiles transformait les 36 m² en fournaise, p.54; lorsqu’une grande colère ou une émotion le submergeait, p.56; le vieux et son fauteuil roulant avait déboulé, p.70; flambants neufs, p.78; c’est toi qui parle, p.85; on mange à onze heures et demi, p.90 et p.93, ce n’est donc pas un hasard; j’en ai mangées, p.157… je suppose que ça suffit comme exemples?
conjugaisons: le jeune homme s’endormît, p.57; le chef avait du se foutre de sa gueule, p.62; que personne n’ai pensé, p.73… etc, je ne vais pas continuer jusqu’à la page 218. Plus la confusion entre le futur simple et le conditionnel présent.
(2) décrépi, p.16; celle des anciens missels quand il était enfant de cœur, p.56; ce sera moins fatiguant, p.89; « quoi que » systématiquement confondu avec « quoique », le remord, en mon fort intérieur, la gente féminine, réfréner… la liste est longue, fort longue.
(3) L’élégance du hérisson
(4) ce personnage s’appelle Yvon Grimbert et ne parle qu’en alexandrins, soit des créations personnelles, soit des extraits de Racine, Corneille et Molière. Un exemple d’erreur (Phèdre): « qui va du dieu des morts déshonorer ma couche » (p.202)
(5) pendant le trajet du matin en RER, il a le temps de lire à haute voix une dizaine de doubles pages; à la maison de retraite, une heure et demie de temps s’est écoulée pendant la lecture de deux ou trois de ces mêmes doubles pages: combien de temps dure ce trajet en RER? vingt minutes! (p.53)
autre exemple: un homme en fauteuil roulant a tout un mur de son appartement « mangé » par des étagères recouvertes de livres qu’il passe son temps à épousseter… 758 livres! Même moi qui ne suis pas en fauteuil roulant, il me faudrait une échelle 