K comme Kardamyli

Tout avait commencé à cause des femmes.

Elles avaient dû lire dans leurs magazines féminins que la mode était aux voyages entre amis et s’étaient convaincues les unes les autres de tous les avantages, comme celui de pouvoir louer une grande villa avec piscine et de partager les frais à trois ménages.
De partager les corvées courses, repas, vaisselle.
Des arguments de ce genre, qui omettent évidemment d’évoquer les problèmes de promiscuité ou de salle de bains, soit occupée, soit dévastée.

– Toi qui hurles déjà quand j’oublie d’abaisser la lunette des toilettes… avait-il tenté, mais Anne lui avait tout de suite coupé la parole, avec cette mauvaise foi qu’elle pouvait avoir dans ce genre de discussion:
– T’inquiète! On sera en vacances, on sera zen et d’ailleurs: on sera trois contre trois!

Et en effet, ils étaient zen – surtout les femmes, il n’avait jamais vu la sienne aussi ‘zen’ que cet été-là! – et trois contre trois: elles étaient parties toute la journée à leurs activités, faisaient du yoga sur la plage, allaient au massage et autres c…ries du genre – se faisait-il masser, lui? et par des éphèbes, en plus! – pendant que les hommes faisaient mollement un peu de tennis ou de piscine en attendant l’heure de l’apéro et des grillades.

Vous les voyez, là? sur la terrasse de leur blanche villa grecque à regarder la mer à six heures du soir? à attendre que les épouses reviennent de leur cours de planche à voile? ou était-ce de la plongée, ce jour-là?

Il n’en sait rien, tout ce qu’il sait c’est que les moniteurs sont toujours des gars bronzés aux boucles brunes, taillés comme des Adonis de la tête aux pieds et tout ce qu’il y a entre les deux.

Et que lui, d’un ‘commun accord tacite’ – comment cela s’est-il fait? il n’en sait rien! – se trouve avec les deux autres maris qui semblent bien contents de ce partage.

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Kardamyli se trouve sur la côte sud du Péloponnèse, images ici. Merci à monsieur le Goût pour son 127e devoir de lakévio:

Ce tableau d’Aldo Balding vous inspire-t-il quelque chose ?
Quant à moi je me demande ce que font ces trois hommes.
On verra bien lundi ce qui sort de nos cogitations…

Y comme YYY

– Vous qui êtes curieux de tout et vraiment intéressé pour tout savoir, dit finement la guide à Jef, il y a une chose que vous avez sûrement déjà remarquée mais que vous ne m’avez pas encore demandée…

Jef s’arrête, tout interdit.
Bravo Madame la guide, sourit l’Adrienne.

– Vous aurez sûrement remarqué que ma plaque d’immatriculation commence par YYY?

Jef ne l’avait pas remarqué mais bien sûr il a sa fierté et ne l’avoue pas 😉

– Et bien, une plaque comme celle-là, c’est pour indiquer que j’ai trois enfants. Et que donc je ne paie pas de taxe.

L’Adrienne, qui subodore une bonne petite blague que se permet la guide envers un emm…, examine attentivement toutes les plaques d’immatriculation qu’elle rencontre, jour après jour, et toutes les voitures du parking où la guide a rangé son auto.

Aucune plaque n’a les trois lettres YYY.

Aujourd’hui encore derrière son écran l’Adrienne sourit.
Aucun des sites consultés sur la politique de natalité en Grèce ne parle d’exonération de taxes, uniquement d’une récente prime par naissance comme seule tentative de faire remonter la courbe.

Bien joué, Madame la guide 🙂

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Photo prise en descendant de Mystras, la guide à l’avant-plan et oui, Jef est visible aussi.

Bien sûr, si quelqu’un a envie de creuser, de vérifier et de contre-vérifier, no problem: l’Adrienne aussi aime tout savoir 🙂

W comme wie, wat, waar, waarom, welk, wanneer

Avant-hier est arrivé le formulaire d’enquête de satisfaction à propos du voyage en Grèce.

Il y avait deux choses que l’Adrienne tenait à cœur de dire tout en le formulant le plus diplomatiquement possible.

D’abord concernant l’accompagnateur – en néerlandais: reisleider, « dirigeant-responsable-organisateur », ce qui est plus proche de la vérité vu qu’il décide de tout 😉 – qu’il ne devait pas se croire obligé de combler chaque minute du trajet de bus par des explications au micro, aussi intéressantes soient-elles: le touriste a parfois besoin de laisser reposer ses oreilles, de laisser se décanter toute l’information reçue, d’admirer le paysage…
Et de toute façon, une foule de dates et de noms s’oublie aussi vite qu’elle lui tombe dessus.

Ensuite à propos des guides, auxquels elle a donné un cinq sur cinq en les félicitant pour leur érudition, leur enthousiasme, leur courtoisie et la façon dont ils géraient les remarques blessantes ou les blagues idiotes à leur adresse.

L’Adrienne a juste dû se retenir d’ajouter « de la part de Jef » 🙂

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Sur la photo, le premier guide, à Argos. Pendant qu’il parlait, il devait sans cesse remonter son masque sur le nez; et dans le fond Gerda, la gagnante de la course à Olympie 🙂

V comme von Stackelberg

C’est tout de même incroyable, se dit l’Adrienne, cette désinvolture, cette évidente facilité avec laquelle certains s’approprient les biens culturels d’autres, pour leurs propres musées et pour leur propre commerce, et ceci non seulement dans des régions lointaines auxquelles on se croit supérieur, mais aussi en Europe et jusque dans ce fameux « berceau » de notre civilisation qu’est la Grèce!

Stupéfaite, oui, une fois de plus 😉 de constater que chaque expédition archéologique en Grèce, jusqu’au 19e siècle, a agi de cette façon: on y va, on prend ce qui est transportable, on revend ce qui a de la valeur marchande.
Comme c’est « à la mode », on n’a aucun mal à trouver des musées et des particuliers prêts à y mettre le prix.

C’est donc aussi ce qui est arrivé à Bassae, avec une « expédition » – qui était une sorte de « Grand Tour » – organisée principalement par des Britanniques et à laquelle participait Otto von Stackelberg, qui a fait de merveilleux dessins qu’on peut voir ici, comme l’illustration ci-dessus.

Pour ceux que ça intéresse, la biographie de von Stackelberg et des infos sur l’expédition sont ici.

Détail frappant – mais est-ce un détail? – les Grecs vivant sur place aux alentours de Bassae, font à tous ces gens qui viennent les dépouiller de leurs « antiquités » et autres « vieilles pierres », le meilleur accueil.

Von Stackelberg raconte dans son journal comment le dimanche, bergers et bergères viennent chanter dans le temple d’Apollon – reconnu par l’Unesco depuis 1986 – accompagnés de la lyra et danser le syrto de la région: hommes et femmes dansent ensemble mais ne se touchent pas, ils forment une ligne en tenant à la main une longue bande de tissu qui, pour von Stackelberg, est un rappel du fil d’Ariane.

R comme réduflation

Voilà encore un nouveau mot découvert ce mois-ci dans le titre d’un article, « La « réduflation », la stratégie des marques pour duper les consommateurs » et dans le chapeau on explique qu’il s’agit de « Réduire la taille d’un emballage (et donc son contenu), mais continuer à le facturer au même prix: tel est le principe de la « réduflation ». »

Bref, rien de bien nouveau, on dupe le consommateur depuis l’invention de la société de consommation.

Et peut-être même avant 😉

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Photo prise le 3 mai dernier d’un monument dans un village grec – j’avoue que le rapport avec le texte est très faible, même s’il existe, en tout cas dans ma tête 😉
Sur ce côté de la stèle sont citées les guerres, à commencer par Troie, Marathon, Thermopyles, Salamine, Plataea, etc. jusqu’à Kresna, en 1913.
Je n’ai pas photographié les autres faces, celle-ci me suffisant comme beau mélange de mythologie et d’histoire 😉

Question existentielle

Dans sa Lettre au Greco (Αναφορά στον Γκρέκο), Nikos Kazantzakis (1883-1957) raconte sa découverte du site de Bassai avec son merveilleux temple d’Apollon, classé au patrimoine mondial de l’Unesco depuis 1986.

Il raconte comment « une petite vieille » sort de la cabane de gardien du lieu et lui offre deux figues et quelques raisins, les premiers, se dit-il, qui ont dû mûrir à ces hauteurs. On est à 1130 mètres d’altitude.

Il lui demande comment elle s’appelle.

– Maria, répond-elle.

Puis quand elle voit qu’il prend son carnet et un crayon pour le noter, elle l’arrête d’un geste et dit:

– Mariyitsa.

Elle insiste et le répète: elle préfère qu’on retienne le petit nom gentil de l’enfance et de l’amour.

– C’est quoi, ça, ici? demande l’auteur.
– Vous ne voyez pas? Des pierres!
– Et pourquoi est-ce que les gens viennent de partout dans le monde pour les voir?

Après un moment d’hésitation elle lui demande:

– Vous êtes étranger?
– Non, Grec.

Alors elle est rassurée et hausse les épaules:

– Ils sont fous, ces étrangers!

Et elle rit aux éclats.

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en photo, les « pierres » de Bassai, le 5 mai dernier.
Pour voir le temple, aujourd’hui protégé sous une tente, le mieux c’est d’aller sur des sites de pro ou sur wikisaitout 🙂

L’anecdote ci-dessus n’est pas une transcription de texte mais la traduction en français d’une traduction en néerlandais d’une traduction anglaise du grec. Ouf 🙂

P comme Preselenoi

Les Arcadiens, comme tous les autres Grecs, font remonter leurs origines aux plus anciens mythes.

Mais eux se disent vraiment les plus anciens des anciens: ils sont « Preselenoi« , donc d’avant Séléné, c’est-à-dire d’avant la lune.

Vous pensez bien que l’Adrienne a noté ce joli mot, « Preselenoi » et qu’avant de vous en parler, elle a fait sa petite recherche.

Las! sur quoi elle est tombée?

Sur un site qui prend appui sur ces mêmes mythes de peuples prétendument « d’avant la lune » pour argumenter que la lune, notre lune, est un « satellite artificiel ».

Et donc creux.

Oui, oui, oui, oui.

C’est ici.
Traduction sur demande.

Sinon, si vous voulez vraiment connaître la lune, il y a ceci 🙂

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photo d’un chat d’Arcadie prenant la pose le 5 mai dernier

O comme Orlov

Si le nom de la famille princière russe Orlov vous fait penser à une recette de veau, c’est tout à fait normal et correct, puisque c’est le cuisinier français du prince Alexeï Fiodorovitch Orlov qui en est le créateur.

Mais ceux dont il est question pour leur rôle en Grèce, ce sont les deux oncles et le père d’Alexeï: l’oncle Grigori, amant de Catherine II pendant une dizaine d’années, l’oncle Alexeï et le cadet, son père, Fiodor.

Ces trois-là ont été mandatés par Catherine II pour réaliser son « rêve grec« .

Et qu’y voit-on?

Des choses malheureusement bien connues, qui s’appellent par exemple « annexion de la Crimée » ou les prétextes d' »aide aux frères orthodoxes », de « nécessité » et de « devoir historique » pour agrandir son territoire vers l’ouest et jusqu’à la mer Noire: Géorgie, Moldavie, Roumanie, Grèce.
Le rêve d’un grand empire byzantin.

Qu’y voit-on aussi?

Qu’il ne faut pas attendre notre siècle pour qu’une défaite militaire soit appelée une réussite totale par celui (ou celle) qui a déclenché les hostilités.

Pour ceux qui veulent tout savoir sur l’expédition grecque des frères Orlov, c’est ici.

Si la grande Catherine y a trouvé quelque avantage, ce n’est pas le cas des Grecs, qui ne lui avaient rien demandé et qui ont eu à subir, dans les décennies suivantes, jusqu’à leur indépendance en 1829, les représailles des Ottomans.

N comme noir

C’est Concetta qui en avait fait la remarque, dès le deuxième jour:

– Je vois, dit-elle au guide, qu’en Grèce les femmes « d’un certain âge » portent le noir, comme dans la Sicile de mon enfance…

On avait senti les guillemets quand elle avait précisé « d’un certain âge », vu que le gros de la troupe avait plus de 65 ans. Mais personne n’avait relevé, pas même Jef.

– C’est vrai, a répondu le jeune homme. Quand une femme devient veuve, il arrive encore souvent qu’elle porte le deuil jusqu’à la fin de sa vie. Et pas seulement dans les villages retirés!

C’est tout pensif qu’il a ajouté:

– Je n’ai pas connu ma grand-mère autrement que vêtue de noir. Et elle était veuve à 45 ans.

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Merci à Monsieur le Goût pour son 123e devoir de Lakevio du Goût: « À quoi pense donc ce jeune homme si bien cerné par Aldo Balding ? »

M comme Moerbeke

ça a quelque chose de complètement surréaliste d’entendre dire qu’un certain Willem Van Moerbeke a été évêque de Corinthe de 1276 à 1286.

Mais son plus grand mérite est d’avoir été un excellent traducteur du grec ancien, par exemple d’Aristote ou d’Archimède, au moment où on était obligé de passer par des traductions via le syriaque et l’arabe.

Mais de surréalisme, l’histoire ne manque pas: n’y a-t-il pas eu un Baudouin, comte de Flandre par sa mère et comte de Hainaut par son père, devenu empereur de Constantinople vers la même époque?

Bref, ceux qui croient que les voyages et les réseaux sociaux sont des inventions récentes, doivent lire des biographies du 13e siècle: notre Willem/Guillaume, né dans le comté de Flandre, n’a cessé de voyager entre la Grèce, l’Italie et la France, a correspondu avec l’intelligentsia de son temps et noué une longue amitié avec Thomas d’Aquin.

Jamais on ne comprendra pourquoi on a appelé le Moyen Age « the dark ages » 😉