– Qu’est-ce que vous voulez que je vous rapporte d’Italie? a demandé Hajar quelques jours avant sa semaine de vacances dans sa ville natale, en Toscane.
– Pas besoin de me faire des cadeaux! a répondu Madame, ce qui me ferait plaisir c’est une photo de toi dans le décor de ta ville, tu trouveras sûrement un bel endroit!
Elle avait semblé satisfaite et convaincue.
Mais la semaine dernière, elle a offert cette minuscule voiturette surmontée d’une encore plus minuscule boule à neige.
Made in China.
Nul doute que si elle avait été Parisienne, elle aurait rapporté ceci:
Mais ne vous méprenez pas, Madame est tout de même émue de ce petit geste, et d’ailleurs « Je moet een gegeven paard niet in de bek kijken » dit très justement le proverbe en néerlandais, tu ne vérifies pas la dentition d’un cheval qu’on te fait cadeau 🙂
Petite fille, elle a joué quelquefois à ce jeu magique, jusqu’à ce qu’un jour son grand-père la surprenne et lui dise qu’ainsi, elle « semait des mauvaises herbes ». Elle ne l’a plus jamais fait.
Dans les années quatre-vingts, quand elle a eu son propre jardin, elle était partagée entre deux contraires: la fleur est belle, utile aux pollinisateurs et fait de délicieuses gelées, les feuilles se mangent en salade à un moment où rien de frais ne pousse dans les jardins, mais la mode était aux pelouses bien « propres » et Monsieur Mari maniait le pulvérisateur.
Aujourd’hui dans le jardinet en ville, les censeurs sont toujours là. L’Adrienne a trouvé un compromis: elle laisse venir la floraison puis coupe la tige au moment où les graines vont se former.
Ce qui demande bien sûr une inspection quotidienne minutieuse. Et chaque fois elle pense au petit Prince et à ses graines de baobabs 😉
Merci à Bricabook et à @ Johannes Plenio pour la photo du jeu 432!
Regardez-le marcher à grands pas, le dos courbé, le parapluie presque collé à la tête.
Vous le devinez maussade, mécontent, pestant contre ce « foutu temps » et « ce pays où il pleut tout le temps » et « vivement l’été »… et toutes ces sortes de choses.
Toutes réflexions qui seront partagées à l’envi par la boulangère, le coiffeur, la caissière, « foutu temps » et « vivement l’été » diront tous ceux qu’il rencontrera ce jour-là.
Puis regardez-la.
Elle n’a pas de parapluie. A quoi bon? les rares fois où elle l’emporte, elle l’oublie quelque part.
Elle a les bras nus. L’air est doux et la pluie a déjà cessé.
A elle aussi on dira « foutu temps » et « vivement l’été ».
Elle essaiera de garder le sourire et répondra par une pirouette:
– S’il pleut, ça fera du bien aux légumes!
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Ah ! que la terre est belle
Ah ! que la terre est belle Crie une voix, là-haut, Ah ! que la terre est belle Sous le beau soleil chaud!
Elle est encor plus belle, Bougonne l’escargot, Elle est encor plus belle Quand il tombe de l’eau.
Vue d’en bas, vue d’en haut, La terre est toujours belle, Et vive l’hirondelle Et vive l’escargot !
Pierre Menanteau (1895-1992), Pour un enfant poète, Bestiaire, 1953
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Merci à Monsieur le Goût pour son 157e devoir du lundi!
Cette giboulée qui arrose l’Arc de Triomphe me parle. Alors que la fin du mois de mars arrive, impossible de ne pas penser à « April in Paris ». John Salminen, Ella Fitzgerald et Louis Armstrong nous invitent à regarder la vie. Et vous ? Qu’en pensez-vous ? Le printemps vous inspire-t-il ? À Paris ou ailleurs ?
Vitrine de boulangerie, de magasin de mode ou de café-brasserie, il faut bien les choisir, sous peine de voir sortir un gérant furibard ou même – oui, c’était arrivé – que quelqu’un appelle la police.
Pourtant Amir a besoin de temps en temps de vérifier à quoi il ressemble.
Quel mal fait-il, en se regardant dans la vitre-miroir d’un magasin?
– Là je ne risque rien, se dit-il, on ne va tout de même pas croire que je veux piquer un vieux téléphone?
Il se rapproche, s’examine la barbe, sent sa propre odeur corporelle… et il espère que ce soir-là il aura enfin l’occasion de prendre une douche.
Vitre sale et rideaux toujours fermés, c’était doublement un crime contre la transparence obligatoire.
Oui, on a des rideaux, mais on les laisse ouverts, même quand la nuit est tombée et la maison éclairée de l’intérieur. Le grand principe, c’est: « Nous n’avons rien à cacher »
Si en plus on laisse s’installer la poussière…
Non, il faut agir! C’est une question de moralité publique!
Ainsi fut dit, ainsi fut fait: on n’eut aucun mal à trouver des volontaires.
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La première photo est celle du jeu 431 de Bricabook, la seconde vient de cet article de LLB ici.
Herr Gottlieb Biedermaier, par ce beau dimanche de la mi-juillet, dit à son palefrenier:
– Retourne à la maison sans nous attendre, nous rentrerons à pied après la messe, la promenade nous fera du bien!
Frau Biedermaier n’avait pas eu le temps de protester que ni elle ni les enfants n’avaient les chaussures adéquates, la carriole était déjà partie.
Évidemment, la grand-messe avait duré plus longtemps que d’habitude, Fräulein Baumann n’en finissait pas à l’harmonium et quand ils sont sortis sur le parvis, il n’était pas loin de midi, le soleil tapait dur, le temps virait à l’orage.
– En route! dit Herr Biedermaier en prenant la main de la cadette, et il partit, le ventre en avant.
Il dut se rendre à l’évidence, lui non plus n’était pas équipé pour la promenade au soleil, et après avoir ôté la veste, déboutonné le gilet et dégrafé le col, il suait encore à grosses gouttes.
Derrière lui, digne et droite, son épouse ne pipait mot. Jamais devant les enfants, n’est-ce pas, mais il savait qu’il l’entendrait, le moment venu.
La petite avait soif. La grande aurait bien cueilli encore quelques fleurs, mais on l’avait obligée à bien tenir son parasol devant son visage. La belle-sœur claudiquait.
Le seul qui s’amusait était le jeune Werther, qui avait emporté son filet à papillons malgré l’interdiction.
– Il ira loin, celui-là, avait déclaré le père.
Il ne croyait pas si bien dire.
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Merci à Monsieur le Goût pour ce 156e devoir et merci à Passiflore pour son défi du 20, le thème du jour – « à la campagne » – s’accordait parfaitement au tableau proposé par Monsieur le Goût, Der Sonntagsspaziergang, ou Promenade dominicale, 1841, de Carl Spitzweg.
Chaque mardi après-midi depuis l’automne dernier, l’Adrienne traverse ce quartier où elle n’était plus allée depuis l’enfance.
Chaque fois elle passe devant la boucherie qui a été celle du père de son grand-père, là où armé de grands couteaux et ceint de deux tabliers blancs officiait le grand-oncle Marcel.
Voilà bien longtemps qu’il a pris sa retraite, bien longtemps qu’il est mort, la boucherie est morte avec lui mais elle est toujours reconnaissable et chaque fois l’Adrienne se demande s’il reste, derrière ces rideaux tirés, des éléments du décor d’autrefois.
Le grand comptoir de marbre gris blanc. L’épaisse porte en bois de la glacière où à d’énormes crochets pendaient des demi-bœufs. Le billot creusé par l’usage et les nettoyages.
L’autre jour, la porte du magasin était entrouverte. On avait fait des courses, on déchargeait une voiture mal garée.
L’Adrienne a réprimé une forte envie de traverser la rue et de jeter un œil à l’intérieur de cet endroit où avec ses grands-parents, toute petite fille, elle venait passer une partie du samedi après-midi.
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Merci à Bricabook et à Fred Hedin pour la photo 430!
Déjà petite elle savait qu’elle allait se marier avec un prince. C’est pour ça qu’elle avait ce regard indulgent pour toutes les bêtes, y compris les crapauds: on ne sait jamais, pensait-elle. Un prince peut se cacher sous tellement d’identités, on en avait même vu un qui était mouton!
Alors, quand dans cet avant-jour propice aux grandes décisions, sa mère lui annonça tout de go « Tu te souviens de Guillaume? Le fils des voisins? Celui qu’on appelait ton petit amoureux quand vous aviez cinq ans? Il vient d’être élu prince Carnaval! », elle sourit à la pensée qui la traversa.
Que peuvent se dire cette jeune femme et ce chat dans la toile d’Auguste Renoir ? Je suis sûr qu’il y a une histoire à raconter. Une histoire qui commencerait, comme beaucoup de contes de fée, par « Déjà petite elle savait qu’elle allait se marier avec un prince. » Et si elle se terminait sur « Elle sourit alors à la pensée qui la traversa. »
– Le concept est tout neuf et très prometteur, affirmait le directeur – qui ne voulait pas être appelé directeur – d’ailleurs la liste d’attente est fort longue pour entrer ici!
– Malgré le prix, émit-elle, qui s’entêtait à l’appeler Monsieur le Directeur.
– Malgré le prix, en effet.
On voyait que cette remarque lui déplaisait.
– A ce propos, voyez l’énorme éventail d’opportunités que notre nouveau concept offre. Vous a-t-on déjà fait visiter le couloir aux sept portes ?
– Non, et j’ai hâte de le découvrir avec vous !
Une petite flatterie ne ferait pas de tort, elle le voyait bien.
– Alors nous voici devant la porte Mutabor : pour ceux qui aimeraient se transformer en animal, ou en plante.
– Intéressant ! fit-elle.
Mais sa petite moue était dubitative.
– Ensuite nous avons une porte réservée aux messieurs – pardonnez-moi, ici de nombreuses personnes raisonnent encore en termes binaires – c’est ici : Oh, puissé-je avoir mille langues ! Oui, je comprends votre étonnement, mais tout ou presque est dans l’idée, n’est-ce pas ? Nous proposons aussi la sagesse de l’Orient pour ceux qui veulent atteindre la spiritualité – je sais ce que vous allez me dire, c’est banal, chacun le fait, je vous l’accorde – mais nous sommes assez fiers de la suivante : Le summum de l’art, la transformation du temps en espace dans la musique. Ah ! Non ! Je ne vous en dirai pas plus, c’est notre petit secret ! La concurrence est rude, vous comprenez. Passons rapidement à la suivante, Jeux destinés aux ermites, des substituts parfaits à toute sociabilité. Une chose vraiment indispensable dans un endroit tel que celui-ci, cela va sans dire ! L’autre indispensable, c’est le cabinet d’humour, on y entend toujours pleurer de rire ! Et finalement, juste à côté, en toute logique, la dernière porte, celle du suicide agréable qui vous fait mourir d’un éclat de rire.
De retour à sa voiture elle se dit que la seule porte qu’elle franchirait, ce serait celle pour aller à la piscine.
N’était-ce pas incroyable qu’en ce merveilleux jour de juillet, elle n’intéressait aucun des résidents?
– Il y a décidément du mystère là-dessous, conclut-elle en mettant le moteur en marche.
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Merci à Joe Krapov pour sa consigne! Sur les 12 portes proposées il y en a donc sept dans ce texte 🙂
Photo prise à Bruxelles, Villa Empain, à l’occasion de la visite d’une expo.
« Le tic-tac des horloges, on dirait des souris qui grignotent le temps. »
Egidia, prête à sortir, se retourne gracieusement, la tête légèrement penchée et le bras fin tenant son ombrelle:
– Que dites-vous, père? – Ce n’est pas de moi, c’est d’Alphonse Allais. J’y pensais en te regardant…
Et pourtant, il ne connaît personne de moins préoccupé par le temps qui passe qu’Egidia, trop jeune, trop belle, trop choyée. Elle est à des années-lumière des soucis qui le tracassent.
Sa vie est rythmée par ses visites, ses sorties, et depuis peu par ce ridicule petit chien minuscule qu’il a eu la faiblesse de lui offrir.
Mais n’est-elle pas charmante, sourit-il, avec son petit chapeau rouge assorti à son col et à sa ceinture…
– Va, ne t’occupe pas de ton vieux papa, Zadig s’impatiente, il n’aime pas que tu lambines.
Un rapide baiser et la voilà partie:
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Tableau de Carl Nys proposé par Lali pour son devoir d’hier. Je trouvais qu’il s’associait parfaitement aux consignes suggérées par Emma, que je remercie, en particulier la citation d’Alphonse Allais, qui est de la même époque 🙂
Quatre mots des 10 de l’année: tic-tac, année-lumière, rythmer et lambiner.
Par bonheur ils existaient tous déjà à l’époque du tableau 🙂