E comme étrennes

Un mot dans la conversation lui avait donné l’envie de vérifier l’année de l’événement qu’il venait d’évoquer alors il est parti en trottinant à pas lents jusqu’à l’autre bout de l’appartement :

– Ma parole ! Qu’est-ce que ça pèse, ces machins-là!

D’une main il se tenait aux meubles et de l’autre il portait un gros album photos.
Sur l’étiquette collée au dos on reconnaissait l’écriture de la Tantine, automne 80 – printemps 82.

En 1980, les quatre enfants étaient nés, donc on a vu souffler des bougies sur des gâteaux d’anniversaire, construire des bonshommes de neige, visiter les ours, les serpents, les singes du zoo.

On a vu les vacances en Espagne, la Tantine jeune femme élégante en lunettes noires et sandalettes, toujours un enfant dans les bras ou à la main.

Comme ce qu’il cherchait ne s’y trouvait pas, il a voulu faire d’autres allers et retours sans aucune aide et chaque fois l’Adrienne avait peur qu’il ne tombe.

Il a fini par rapporter le bon album où sur quelques mauvais clichés on pouvait les voir avec un groupe d’amis à une fête qui avait pour thème les Tziganes : la Tantine en robe à volants et à pois, une rose rouge feu à l’oreille, l’oncle avec une fausse moustache tombante et une chemise blanche largement ouverte sur la maigreur de son buste.

– Voilà, dit-il. C’est ça!

Chaque page respirait la joie.

Et lui aussi.

Les vieux albums photos, ce sont des livres du bonheur.

***

Texte écrit après la visite de nouvel an chez mon gentil tonton, veuf depuis un an déjà, avec une bonne vingtaine des mots proposés par Joe Krapov – merci à lui – et quelques libertés envers la consigne 🙂

bonheur – armure – pompier – feu – neige – cheval – route – rouge – gentil – joie – moustache – livre – tristesse – colère – vacances – Égypte – peur – jungle – printemps – casque – ennemi – femme – noir – enfant – lunette – mort – bus – lent – gâteau – sécurité – Canada – vent – terre – groupe – oreille – Espagne – serpent – doux – bois – ours – pied – chat – violet – singe – orange – Italie – vaisseau – salade – homme – cavalier

Sur la photo on voit la Tantine avec ses lunettes noires, ses sandalettes, et un de ses enfants dans les bras. L’oncle est le type maigre qui sourit à côté d’elle, en route avec d’autres touristes pour la visite de Valldemossa. Le gamin qui lit la brochure est leur fils aîné.

R comme réveillon(ne)

Cette invention américaine est bonne pour les personnes sans foi ni loi, a décrété la mère.

Ici, on n’accorde sa confiance qu’à la mitre et à la crosse: on dit oui à la barbe blanche et à la tenue rouge, à condition que ce soit avec une croix dorée brodée dessus et une bague épiscopale à la main gauche.

Alors bien sûr, faisons la fête, mais uniquement avec une grande table, une nappe blanche, des bougies, des assiettes de fine porcelaine qui dorment dans l’armoire toute l’année, des huîtres, des bouchées à la reine, une dinde farcie, des croquettes de pommes de terre, des airelles, une bûche à la crème et la messe de minuit.

***

Merci à Joe Krapov pour sa consigne « Fêtons Noëlle » qui demande de n’employer que des substantifs féminins.

P comme parfois…

Parfois il suffit d’un ami qui a une automobile et d’un autre qui a une villa à Knokke-le-Zoute : tu sers de contact entre l’un et l’autre, ce n’est pas plus compliqué que ça pour t’offrir un week-end princier !

C’est vrai qu’apprendre à vivre demande plus qu’une vie et vous le savez comme moi, le temps dévore tout, alors il s’agit de ne pas le perdre et d’aller vite.

Moi, depuis toujours, je mets les bouchées doubles et je vais de l’avant.

Comme dit mon ami Robert, toi tu as vraiment une gueule de bon élève ! Avec un peu de chance, tu l’auras, ton étoile sur Hollywood !

Je sais qu’il se moque légèrement et il sait que mon but n’est pas Hollywood, de nous quatre personne n’est vraiment dupe et bien sûr personne n’est à l’abri d’un revers de fortune…
Mais il a raison, la gueule de bon élève, ça m’a bien aidé.

Alors si tout passe et tout casse, c’est une raison de plus, selon moi, pour ne pas tergiverser.

La question à se poser n’est pas « tu crois qu’on va y arriver? » mais plutôt « qu’est-ce que je dois mettre en place pour y arriver? ».

***

Merci à Joe Krapov pour sa consigne – la même que celle utilisée pour L comme Lourdes – avec cette fois huit autres phrases parmi celles proposées:

C’est vrai, apprendre à vivre demande plus qu’une vie
Personne n’est à l’abri
Parfois il suffit d’un ami
Personne n’est vraiment dupe
Tu crois qu’on va y arriver ?
Vous savez, le temps dévore tout
Tu as vraiment une gueule de bon élève
Avec un peu de chance, tu l’auras ton étoile sur Hollywood

L comme Lourdes

Il faut croire aux miracles.

C’est pour ça que tant de gens vont à Lourdes, n’est-ce pas ?

Et ici le premier miracle a déjà eu lieu avant qu’on ne parte : que mon épouse accepte de quitter sa maison pour plus de huit jours !

– On pourrait partir tous ensemble, lui avais-je dit il y a quelques mois, toi et moi, notre fille, notre gendre, ses parents et sa petite sœur, qu’est-ce que tu en dis ?
– Même pas en rêve ! qu’elle m’a répondu.

Ah ! Je ne vous dis pas le nombre de fois que j’ai dû entendre « Ça ne se passera JAMAIS ! », mais elle a fini par céder quand je lui ai annoncé que le but du voyage était Lourdes.

La constance, y a que ça de vrai.

Bref, un événement que je tenais à immortaliser par une belle photo et l’occasion s’en est présentée au cirque de Gavarnie.

On est descendus du bus, les jeunes mariés, mon épouse et moi, les parents et la petite sœur de notre gendre… et là, PAF ! Trois olibrius à lunettes sont venus se poster à côté de nous, des gens avec qui on avait à peine échangé un bonjour ou un bonsoir!

La moutarde m’est montée au nez – oui, je suis comme ça et mon épouse me connaît bien, elle a réagi au quart de tour – elle m’a dit un truc dont je ne me souviens même pas, genre « On ne va pas en faire un fromage », mais en plus convaincant.

Alors on a tous pris la pose et fait un beau sourire, même les trois olibrius, à qui mon épouse tourne légèrement le dos, histoire de bien montrer que nous n’avons rien en commun.

***

Texte écrit pour cette consigne de Joe Krapov – merci à lui – avec une photo de famille qui avait déjà servi à une krapoverie de 2016 et six des phrases qu’il proposait au choix:

Ça ne se passera jamais
Nous n’avons plus rien en commun
La constance, y a que ça de vrai
Il faut croire aux miracles
Même pas en rêve
On ne va pas en faire un fromage

7 phrases

Les visites d’Eulalie étaient la grande distraction de ma tante Léonie qui ne recevait plus guère personne d’autre, en dehors de M. le Curé. (1) Ma tante avait peu à peu évincé tous les autres visiteurs parce qu’ils avaient le tort à ses yeux de rentrer tous dans l’une ou l’autre des deux catégories de gens qu’elle détestait. (2) Les uns, les pires et dont elle s’était débarrassée les premiers, étaient ceux qui lui conseillaient de ne pas « s’écouter » et professaient, fût-ce négativement et en ne la manifestant que par certains silences de désapprobation ou par certains sourires de doute, la doctrine subversive qu’une petite promenade au soleil et un bon bifteck saignant (quand elle gardait quatorze heures sur l’estomac deux méchantes gorgées d’eau de Vichy !) lui feraient plus de bien que son lit et ses médecines. (3) L’autre catégorie se composait des personnes qui avaient l’air de croire qu’elle était plus gravement malade qu’elle ne pensait, qu’elle était aussi gravement malade qu’elle le disait. (4) Aussi, ceux qu’elle avait laissé monter après quelques hésitations et sur les officieuses instances de Françoise et qui, au cours de leur visite, avaient montré combien ils étaient indignes de la faveur qu’on leur faisait en risquant timidement un : « Ne croyez-vous pas que si vous vous secouiez un peu par un beau temps », ou qui, au contraire, quand elle leur avait dit : « Je suis bien bas, bien bas, c’est la fin, mes pauvres amis », lui avaient répondu : « Ah ! quand on n’a pas la santé ! Mais vous pouvez durer encore comme ça », ceux-là, les uns comme les autres, étaient sûrs de ne plus jamais être reçus. (5) Et si Françoise s’amusait de l’air épouvanté de ma tante quand de son lit elle avait aperçu dans la rue du Saint-Esprit une de ces personnes qui avait l’air de venir chez elle ou quand elle avait entendu un coup de sonnette, elle riait encore bien plus, et comme d’un bon tour, des ruses toujours victorieuses de ma tante pour arriver à les faire congédier et de leur mine déconfite en s’en retournant sans l’avoir vue, et, au fond, admirait sa maîtresse qu’elle jugeait supérieure à tous ces gens puisqu’elle ne voulait pas les recevoir. (6) En somme, ma tante exigeait à la fois qu’on l’approuvât dans son régime, qu’on la plaignît pour ses souffrances et qu’on la rassurât sur son avenir. (7)

***

La visite du curé, c’est bien, mais celles d’Eulalie, c’est mieux!
Je déteste toutes les autres.
Je ne veux surtout pas qu’on vienne me dire ce que je dois faire pour aller mieux!
Ni qu’on m’enterre avant l’heure!
Je n’ai de conseils à recevoir de personne.
Je réussis toujours à faire fermer ma porte aux indésirables et ça fait bien rigoler Françoise qui me trouve une femme supérieure.
La bonne visite est celle qui réussit le juste dosage entre rassurer et plaindre, sans se mêler de donner des conseils.

***

Merci à Joe Krapov pour sa consigne proustienne: « réécrire « à sa sauce », dans son propre style, en raccourcissant les phrases et en adoptant le plus possible le langage « relâché », celui qu’on utilise dans la vie de tous les jours. »

W comme winter

D’emblée, Alexandra dédaigne le devoir imposé dans le journal de classe: elle déteste lire, déchiffrer des lettres lui donne un dégoût de plus en plus grand de l’école.

C’est trop difficile, dit-elle.
Le droit du lecteur, pour elle, c’est le droit de refuser le dialogue avec la chose écrite.
Dès le début. Dès le départ. Directement. Définitivement.

Elle est douée, pourtant.

D’abord, elle a un don certain pour le dessin, il n’y a qu’à observer comment elle forme artistement les lettres. En prenant bien le temps qu’il faut.

De plus, si vous lui demandez de trouver les différences, comme dans l’illustration ci-dessus, elle les distingue à une vitesse record.

Mais donnez-lui de la lecture: vous la verrez se débattre comme un diable et lui tourner le dos.

C’est décidé: elle ne lira pas.

***

Écrit d’après cette consigne de Joe Krapov, merci à lui!

Tautogramme en D 🙂

V comme vive la famille!

On m’appelle l’homme des bois et non, ce n’est pas une légende.

Ce n’est pas le Hollandais du 17e siècle qui a mal compris le langage local ou mal interprété ce qu’il entendait pour la première fois.

Le malais et le javanais me donnent ce nom depuis le premier millénaire: urang, qui veut dire homme, être humain, et hutan, qui désigne les bois, la forêt.

D’ailleurs, vous le savez bien que nous sommes frères.
Ou plutôt cousins, pour être exact.
Vous êtes frères des chimpanzés et des bonobos, que ça vous plaise ou non.

Vous m’avez vu faire face aux machines venues détruire les arbres qui m’abritent et me nourrissent.
Geste désespéré et dérisoire, je le sais bien.
Je suis assez intelligent pour le savoir.
Mais on fait de ces choses désespérées quand on l’est.
Vous comme moi.

Vous le savez bien, pourtant, que je suis sur la liste rouge, celle des animaux menacés, en danger critique d’extinction.

Merci à Joe Krapov pour sa consigne, je lui avais envoyé un de mes dessins du temps où Bruxelles brusselait et l’Adrienne dessinait 😉

Tout savoir sur l’origine du mot orang-outan? c’est ici.

U comme un-sept-huit-quatre-un-neuf

Le professeur – pourtant émérite – sentait de plus en plus la sueur couler dans son dos, ses mains moites et son cœur qui faisait de tels bonds qu’il lui semblait que son cerveau s’en disjonctait.
Mais peut-être était-ce normal d’éprouver cette sorte de vertige, il en était déjà à la question 178419:

– On vous propose de vous asseoir aux portes du paradis pour observer les gens qui s’y présentent, y sont admis ou exclus.

Introduction, problématique, développement, conclusion, il aurait dû être à l’aise avec tout ça mais à chaque question lui venait la hantise du hors-sujet.

Comme pour la 165714:

– Il ne faut pas juger Dieu sur ce monde-ci. C’est une étude de lui qui est mal venue.

Avait-il le droit d’adopter un point de vue athée?

Il s’était mis à douter de tout. Et à avoir peur de tomber dans les clichés, surtout avec le sujet 184737:

– Les jeunes imbéciles ne font jamais avec le temps que des vieux cons.

Et s’il prenait le 102401, finalement?

– Il est plus facile de changer la nature du plutonium que l’esprit du mal chez les hommes.

Mais avait-il vraiment envie de disserter sur le mal?
Non! Trop de risques d’enfoncer des portes ouvertes!
Il lui fallait trouver mieux, un sujet qui lui permettrait de montrer des références philosophiques plus profondes et plus positives!

– T’as pas fini de gémir et de gigoter comme ça, a fait tout à coup la voix de sa femme à côté de lui. Tu as encore tiré toutes les couvertures à toi! Ne me dis pas que tu étais ENCORE en train de rêver que tu passais le bac! A ton âge! C’est d’un ridicule!

Et en se repelotonnant dans son lit, elle se dit que Dumas fils avait raison, les chaînes du mariage sont si lourdes qu’il faut être deux pour les porter, parfois trois.

***

Écrit d’après la consigne de Joe Krapov – merci à lui – et avec les citations ci-dessous:

S’asseoir aux portes du paradis pour observer les gens qui s’y présentent, y sont admis ou y sont exclus.
Nathaniel Hawthorne
Les chaînes du mariage sont si lourdes qu’il faut être deux pour les porter, parfois trois.
Alexandre Dumas fils
Il ne faut pas juger Dieu sur ce monde ci. C’est une étude de lui qui est mal venue.
Vincent Van Gogh
Les jeunes imbéciles ne font jamais avec le temps que des vieux cons.
Aragon
Il est plus facile de changer la nature du plutonium que l’esprit du mal chez les hommes.
Albert Einstein

X c’est l’inconnu

Quand mes deux bipèdes se sont levés ce matin de novembre, ça a été des cris et des hurlements qui m’ont fait me dresser d’un seul coup sur mes quatre pattes.

Personnellement, je n’avais ni vu ni entendu aucun signe de danger de toute la nuit mais les deux excités – enfin, surtout elle – étaient à la fenêtre, parlaient fort, gesticulaient…

Bref, elle a mis ses bottes et son anorak, son bonnet et ses gants, évidemment j’étais prêt à l’accompagner! Elle a un peu hésité à me laisser sortir, m’a entrouvert la porte pour que je voie ce qui était la cause de tout ce branle-bas…

OK, ça m’a arrêté une fraction de seconde, tout était blanc. Blanc par terre, blancs les arbres, plus de pelouse, plus de terrasse, plus rien.
Que du blanc.

Vous connaissez mon courage: j’y suis allé.

Et j’ai compris!

Moi aussi ça m’a rendu complètement fou!

J’ai couru, j’ai sauté, je m’y suis roulé, j’y ai mis le museau jusqu’aux yeux! J’étais HEUREUX! C’était encore beaucoup mieux que le sable sur la plage d’Ostende. Définitivement!

Évidemment avec mes longs poils et le froid qu’il y avait, j’avais des boules de neige et de glaçons un peu partout sur le corps, au bout d’un quart d’heure, et quand j’ai réintégré « mon tapis », comme ils osent appeler ce machin sur lequel je dois rester assis ou couché, ça a rapidement fait une grosse flaque.
Une grosse, grosse flaque.

Mais je ne vais pas me plaindre: elle m’a fait une friction et j’ai pu m’installer près du feu, mon endroit préféré.

Que du bonheur, vous dis-je.

J’adore la neige!

Maintenant quand j’en vois, je suis aussi excité qu’eux.

Enfin, aussi excité qu’elle 😉

***

Merci à Joe Krapov pour la photo et la consigne et à Câline d’une Vie de chien pour le terme ‘bipède’.

Écrit en souvenir de Chien Parfait et de la première fois où il a vu de la neige 🙂

V comme vivre heureux

Aujourd’hui, dit Joe Krapov, nous poursuivons l’écriture de notre propre « Dictionnaire de la bonne humeur« .

Il nous demande de lister cinq noms de célébrités (auteurs-autrices, acteurs-actrices, chanteurs-chanteuses, personnages de fiction, de bandes dessinées, autres) qui nous mettent de bonne humeur, d’en choisir une ou deux et d’expliquer pourquoi ou comment leur existence nous réjouit.

– Fastoche! se dit l’Adrienne, qui voit surgir des noms en foule, le premier étant celui de l’ami Gaston Lagaffe.

Mais aussitôt elle se ravise: tant de fois déjà elle lui a consacré un billet! déclaré son amour!

– Mozart, alors, se dit-elle.

Mozart? Sans blague? Celui pour qui elle irait jusqu’à inventer la machine à remonter le temps, histoire de lui éviter sa mort prématurée?

(« Non, l’ami! pas touche à ces boulettes de porc! oui je sais que tu adores ça, mais crois-moi, pas aujourd’hui! pas celles-ci! » et voilà, le tour est joué, il peut encore composer des tas d’œuvres possiblement encore plus géniales)

Soupir.

Tous ceux qui la rendent heureuse, par leur musique, leur humour, leur présence passée ou présente, les amis, les anciens élèves, les grands-parents, la Tantine… tous ont déjà eu largement leur place ici et il en sera sûrement encore question.

Même Jean-Luc Fonck 🙂

Alors le billet se termine ainsi, avec un mot de gratitude pour tous ces gens-là, porteurs de bonheur, et pour Joe Krapov, qui nous permet de faire la consigne de manière scrupuleuse ou de la faire comme nous voulons 😉

***

photo prise à Ostende, cabine de plage 🙂