Ah! la Belle Époque où on purgeait bébé, où on faisait commerce des pots de chambre en porcelaine, où on allait à l’opéra comme aujourd’hui on va à l’apéro!
Ah! la belle rigolade scatologique, les envolées lyriques sur les mérites du laxatif et un Toto déjà enfant-roi.
Ah! la folle cavalcade entre les portes qui claquent, les femmes sémillantes, les maris trompés et la bonne un peu bête mais pas dupe.
C’était le crépuscule des dieux mais ils ne le savaient pas.
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Écrit en l’honneur de la création mondiale à la Monnaie d’On purge bébé et d’après les consignes de Joe Krapov – merci à lui! – avec les mots suivants: La Belle Époque – apéro – cavalcade – création – crépuscule – envolée – rigolade – sémillante.
« Mieux vaut être bourré que moche » affirme-t-elle en lettres noires sur un large T-shirt gris. Elle soutient gentiment un vieux monsieur en bermuda qui a du mal à faire quelques pas et qui ne cesse de répéter à la cantonade « Moi, je ne suis pas instruit! Je ne suis pas instruit! Je n’ai pas terminé mes études secondaires… ».
Une dame avec un badge autour du cou donne un dernier briefing: – Alors vous avez bien compris: on ne parle pas, on ne discute pas, on ne bavarde pas, on ne rigole pas! Le seul bruit qu’on est autorisé à faire, c’est d’applaudir à la fin!
Tous hochent la tête, ceux en fauteuil roulant, celles qui en bas, aux toilettes, cherchaient en vain comment tourner au robinet automatique, celui qui se tient bien droit avec sa canne blanche…
C’est aussi ça que l’Adrienne apprécie à la Monnaie, son programme social « Un pont entre deux mondes » qui offre des activités culturelles de la plus grande qualité, gratuitement, à des gens qui n’y auraient jamais accès sans cela.
– Hein Raymond! s’exclame une dame, que tu aimes ça, venir à l’opéra! – Oui, oui, fait Raymond sans même lever les yeux. – Il vient chaque fois, hein Raymond que tu viens chaque fois?
Fin de saison à la Monnaie et cette folie de près de cinq heures de musique que sont Les Huguenots mis en musique par Meyerbeer sur un livret d’Eugène Scribe.
Bon, on sait à l’avance que beaucoup de sang coulera – « c’est reposant, la tragédie », dit le Chœur dans l’Antigone d’Anouilh, « parce qu’on sait qu’il n’y a plus d’espoir, le sale espoir » – même si dans ce cas on l’appelle drame, à la mode du 19e siècle.
Donc si l’Adrienne ce matin se lève tard – qui sait, tout peut arriver – c’est qu’elle a assisté hier à une répétition pré-générale de cette œuvre immense.
Avouez que ça ne se refuse pas, une folie finale 🙂
Bien sûr, chacun aurait pu tranquillement rester chez lui et suivre toute l’affaire « en streaming », comme c’est la mode depuis l’époque covid.
Ou simplement lire le programme, vu que la brochure de la nouvelle saison était arrivée dans les boîtes aux lettres deux jours avant.
Mais c’était compter sans la fan-attitude de tous ceux qui avaient tenu à être là, à s’asseoir dans les fauteuils de velours rouge et à respirer l’air désormais extrêmement bien ventilé à l’intérieur de la grande salle de la Monnaie.
– Je viens exprès de Gand par le train, dit un monsieur à l’Adrienne. – Oh moi je viens d’encore plus loin, fait-elle, j’ai dû prendre DEUX trains pour arriver ici 🙂
Bref, ça rigolait dur en attendant l’ouverture des portes.
– Je m’en voudrais de vous faire attendre une minute de plus, dit Peter de Caluwe, étant donné que tout le monde est arrivé si bien à l’heure.
Et c’est vrai que ça avait quelque chose de touchant de voir tous ces gens pressés d’entendre ce qu’ils auraient pu lire ou écouter chez eux. Mais comme chacun sait, c’est quand on a eu très soif qu’on apprécie le verre d’eau.
Vu que ça commençait à six heures et demie et que le dernier train pour la ville de l’Adrienne repartait moins d’une heure plus tard, elle avait même été obligée de réserver une nuit d’hôtel.
Quand on aime on ne compte pas…
Mais au fait si, elle avait compté et pris une chambre minable où ni l’internet ni la télé ne marchaient. Par bonheur l’eau chaude ne coulait pas froide (merci Daninos!) et l'(unique) café du petit déjeuner n’était pas mauvais.
De toute façon, rien ne pouvait altérer son bonheur d’être là 🙂
Quand l’Adrienne lit la presse mercredi matin, elle en avale presque son café de travers: voilà que précisément le jour où elle a décidé de se rendre à Bruxelles, pour assister à la présentation de la nouvelle saison à la Monnaie, le président des USA l’a devancée 😉
En lisant quel énorme imbroglio de mesures diverses une telle visite inclut, elle se dit qu’il y aurait matière à trois billets de Stupeur et tremblements, à commencer par ce qui concerne notre précieuse et irremplaçable petite planète: ce monsieur ne vient pas avec un seul Air Force One, mais deux, sous prétexte de brouiller les pistes.
Et puis il y a encore par exemple ceci:
« President Biden zal zich tijdens zijn verblijf verplaatsen in een grote colonne van een vijftigtal voertuigen die speciaal voor dit bezoek worden overgevlogen. Biden zelf bevindt zich in de Cadillac One, beter bekend als ‘The Beast’. Deze gepantserde limousine is bestand tegen raketten, chemische aanvallen en vuurwapens, en heeft een granaatwerper aan boord. Ook hiervan bestaat een identieke kopie om mogelijke aanslagplegers te slim af te zijn. » (source De Standaard)
Le Président fera ses déplacements dans une colonne d’une cinquantaine de véhicules rapportés spécialement par avion pour cette occasion. Lui-même se trouvera dans la Cadillac One, qu’on appelle ‘The Beast‘. Cette limousine blindée peut résister à des attaques de missiles ainsi que chimiques ou d’armes à feu et a un lance-grenades à son bord. Cette limousine a aussi sa copie conforme pour déjouer les tentatives d’attentat. (traduction de l’Adrienne)
Alstemblieft, comme on dit à Bruxelles 😉
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Pour ceux que la chose intéresse, même si ça date du précédent:
Vous voulez savoir ce qui fait bien rigoler l’Adrienne? Que ce précieux véhicule a fait le voyage pour très peu servir: dans les déplacements en centre ville, monsieur B devra se contenter d’une SUV: The Beast ne réussit pas à passer sur les dos d’âne 🙂
Et de la hâte qu’avaient mise ses héritiers à mettre en vente sa maison?
C’est le week-end dernier que l’Adrienne a fait la connaissance des acquéreurs.
En ouvrant sa boite aux lettres pour en retirer son journal – heureusement que cette distribution-là se fait par des services indépendants de la Poste et que ni la boue ni la nuit ne font peur au valeureux qui vient le déposer un peu avant six heures du matin – bref donc un samedi matin sur le pas de sa porte l’Adrienne s’est retrouvée à serrer la main d’un homme qui venait déposer de gros sacs de plâtre et des outils divers.
– L’acte est signé depuis une quinzaine de jours, dit-il, alors je vais faire quelques travaux avant de la louer.
Un malin, cet homme-là, puisqu’il possède une petite entreprise de rénovation et qu’il va la mettre aux normes, avec l’aide de son fils, d’un week-end à l’autre.
Un malin, mais un bruyant.
Ça fore, ça cogne, ça tape… et ça met la radio à fond la caisse. Malheureusement pas le genre de musique qui plaît à l’Adrienne 😉
Alors elle qui supporte déjà toute la semaine le vacarme des camions, tracteurs, grues et autres engins indispensables aux travaux à la rue, ressort ses quelques CD, à commencer par le Don Giovanni dans la version ci-dessus, un vieux machin remastérisé en 2002 mais qui reste une des interprétations de référence.
Disons que c’est une petite révision avant d’aller le voir à la Monnaie en mars prochain 🙂
Samedi dernier, il faisait encore 33°C alors qu’il était l’heure d’aller manger un bout avant la soirée à l’opéra.
L’Adrienne plaint de tout cœur la serveuse que les clients de la table d’à côté envoient constamment chercher encore quelque chose, au lieu de tout demander en une fois. La pauvre monte et descend les escaliers au gré de leurs caprices et reste bien gentille.
Le restau n’est pas climatisé et l’Adrienne, qui normalement n’aime pas du tout ça, a cette fois été bien contente de pouvoir se réfugier deux fois dans les 20° de sa chambre d’hôtel. Ou d’en profiter dans les magasins – lieux qu’elle fuit ordinairement – mais où elle a longuement traîné à la recherche de cadeaux pour un petit garçon qui n’a pas deux ans.
La serveuse propose les suggestions du jour adaptées aux températures tropicales, des salades diverses, des assiettes froides, mais beaucoup de gens préfèrent quand même les steaks, les frites, la sauce béarnaise. A la cuisine aussi, les travailleurs doivent souffrir.
Bizarrement, la chaleur n’empêche pas non plus les touristes de se balader en dégustant des gaufres avec de la sauce au chocolat. Pourquoi, par plus de 35° à l’ombre, la gaufre est encore gagnante face aux glaces – comme le prouvent les chiffres de ce week-end de festival à Werchter, c’est tout à fait incompréhensible.
« En toch winnen de wafels van de ijsjes » dit le titre de l’article, malgré la canicules, les gaufres sortent gagnantes, pas les glaces.
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photo ci-dessus: a room with a view, le soleil se lève derrière la Grand-Place, cinq heures du matin.
L’autre question, c’est: comment l’Adrienne va réussir à se libérer assez tôt de ses obligations scolaires, le vendredi 29 juin, pour être à l’heure à la Monnaie…
Bref: quelle idée a eu l’Adrienne de choisir cette date-là?
Quand l’Adrienne était une petite fille, elle croyait que les grandes personnes en général étaient infaillibles et sa mère en particulier. C’est pourquoi, si à l’âge de dix ans vous lui aviez demandé ce qu’elle pensait de la musique de Wolfgang Amadé, elle aurait répondu « mièvre » et « facile ».
Elle en a encore honte, quand elle y pense, d’avoir un jour adhéré à ces jugements sans avoir entendu rien d’autre que le Rondo alla Turca ou la Kleine Nachtmusik. Il a fallu qu’à dix-sept ans elle découvre ses opéras, puis ses concertos pour piano, pour hautbois, pour harpe… et qu’elle se prenne de passion pour sa musique et d’amitié-pour-la-vie envers l’homme.
Tout, elle aime tout de lui, même ses lettres un brin scatologiques à sa cousine 🙂
Comme chacun sait, le pèlerinage mozartien pose problème: il n’y a pas de tombe où se recueillir. C’est même à peine s’il existe un portrait vraiment ressemblant de l’homme tel qu’il était. Sans mièvrerie et sans facilité.
L’Adrienne a tout de même fini par faire le détour pour se rendre à Salzbourg, la ville qui l’a vu naître et qui exploite à fond ce hasard, heureux pour elle et si malheureux pour lui.
Ne reste au pèlerin mozartien qu’à s’émouvoir devant un minuscule violon d’enfant exposé dans sa maison natale.
Merci à Joe Krapov pour la consigne: jusqu’où pourrait vous pousser votre propre fanitude ? Sur les traces de qui êtes-vous prêt(e) à partir ? Dans quelle ville inconnue rêvez-vous de vous rendre pour cela ? Qu’y ferez-vous ? Qu’explorerez-vous ? Qui rencontrerez-vous ? Que vous arrivera-t-il là-bas ?
Vous pouvez traiter ce sujet comme une fiction et raconter l’histoire à la troisième personne.
Ah! quel excellent poste d’observation qu’une activité organisée par la Monnaie pour ses « amis » et abonnés! Quelle merveilleuse étude de cette faune et flore constituée d’individus ayant en commun – en plus de l’amour de l’art de l’opéra – l’art de tenir proprement la tasse de café, sa sous-tasse, un mini-croissant et une serviette. L’art de se ruer poliment sur le buffet de cupcakes. L’art de s’intégrer civilement dans une conversation entre inconnus – que ce soit en néerlandais ou en français – autour d’une table de viennoiseries.