Adrienne est émue

La conversation entre Oksana et l’Adrienne était une belle preuve de ce que Madame avait précisément expliqué à la jeune fille désireuse d’apprendre le français en trois semaines: pour que « le message passe », il faut d’abord se lancer et oser se jeter pleinement dans une tentative de message.

C’est ainsi que belle-maman, qui n’avait peur de rien, réussissait à parler toutes les langues 😉

Oksana est Ukrainienne, donc la conversation s’est déroulée à l’aide de trois mots d’anglais, d’un peu de néerlandais, de beaucoup de ‘body language‘, de gestuel et d’une appli sur le portable.

– Si tu ne trouves pas le mot exact, expliquait Madame à la jeune fille, il ne faut pas que ça t’arrête: il y a toujours moyen de dire autrement, ce sera plus long, avec des mots plus simples, mais tu te feras comprendre. Rester la bouche fermée n’est pas une option!

C’est à l’aide de cette méthode qu’Oksana a réussi à raconter tout ce qu’elle avait à cœur de dire.
Son exil.
Son fils de douze ans.
Son talent pour la peinture à l’huile.
Son autisme.

Et qu’on a surtout vu son amour et sa fierté.

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Photo prise dans ma ville le 30 avril

W comme wablieft?

Madame n’est plus ni étonnée ni choquée de lire des fautes de grammaire dans des annonces publicitaires ou des journaux en ligne, vu qu’y règnent l’urgence et l’à-peu-près, mais à un concert, au festival d’Aix-en-Provence, elle a tout de même sursauté (1) quand derrière elle trois personnes discutaient de photos prises sur les pistes de ski et disaient systématiquement « les photos que j’ai pris ».

Si vous trouvez ça normal, vous pouvez le dire.

Peut-être qu’il n’y aura bientôt plus que les profs de FLE, cette espèce désuète, à faire l’accord du participe passé avec le COD qui précède 😉

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(1) Vous remarquerez qu’il y a progrès: « sursauter » est bien moins fort que Stupeur et tremblements 😉

T comme Timmers

C’est avec la lecture de ce merveilleux petit livre pour enfants, Meneer René (Monsieur René) de Leo Timmers, auteur et illustrateur, qu’une bibliothèque de Schaarbeek a réussi à entrer au livre Guinness des records.

Bien sûr, ce n’est pas le record qui compte le plus, mais que la bibliothèque ait pu être le lieu de rencontre de lecteurs de soixante-cinq langues différentes.

Monsieur René, le chien qui a le talent de peindre des choses si vraies, porte évidemment ce prénom en clin d’œil à Magritte, comme l’indique également la belle pomme verte sur son tableau.

Dans notre ville aussi, s’est dit l’Adrienne, on devrait organiser ce genre d’événement, vu que nous avons une bonne centaine de nationalités différentes sur notre petite entité 🙂

Y comme Y aller (ou pas)

Rien de plus compliqué que les prépositions.

Par exemple, avec les noms géographiques.

Madame commence par expliquer le plus simple: pour les villes, c’est toujours ‘à’.
Sauf que certaines villes ont un article, comme Le Caire ou Le Mans, alors bien sûr ça vous donne l’article contracté, n’est-ce pas?
Par exemple: Je vais au Mans.

Bien.

Voyons ensuite les noms de pays.
Il y en a de deux sortes: les féminins (la Belgique, la France, l’Italie…) et les masculins (le Danemark, le Portugal, le Maroc…).
Si c’est féminin, on dit ‘en’: en Belgique, en France, en Italie.
Si c’est masculin, on dit ‘au’: au Danemark, au Portugal, au Maroc.

Bien.

Mais comment savoir si un nom de pays est masculin ou féminin?
Observez la colonne des noms de pays féminins, qu’est-ce que vous constatez?
Et dans la colonne des noms de pays masculins?
Oui! bien vu! les féminins se terminent tous par -e!
Et les masculins par une consonne ou une voyelle autre que -e: le Congo, le Kenya, le Venezuela.

Madame respire un grand coup: ici arrive le moment où il faut à nouveau détruire l’espoir des chers petits qui penseraient que pour une fois la matière est gérable, claire et nette.

Il y a les exceptions.

On peut avoir un nom de pays qui se termine par -e mais qui est quand même masculin, comme le Mexique: donc on va au Mexique.
Il y a des noms de pays masculins pour lesquels on emploie quand même ‘en’ et pas ‘au’ parce qu’ils commencent par une voyelle: en Afghanistan, en Iran, en Iraq.

Ici et là sur les bancs on commence à suer.

Mais c’est quand on passe aux ‘travaux pratiques’ que ça se corse – c’est le cas de le dire – parce que jusqu’ici Madame a sciemment omis de parler du problème des îles.

– Ah! les îles! fait-elle de son air le plus théâtral. Là c’est la pagaille. Tout est possible: ‘à’, comme pour les villes (à Madagascar, à Cuba, à Chypre), ‘en’ pour certaines îles qui sont des mots féminins (en Corse, en Crète, en Sicile) et ‘au’ pour le masculin, comme les Seychelles, les Maldives… Mais attention! c’est pluriel! il faut écrire ‘aux’.

Ouf, on a fait le tour de la question.

Et chaque année, sans surprise – ou très peu – Madame entend les mêmes noms de pays ou de villes qui reviennent quand elle demande aux élèves lesquels ils aimeraient visiter un jour et lesquels ils préfèrent éviter 🙂

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Écrit selon cette consigne de Joe Krapov, merci à lui: Lieux aimés ou détestés

Lister cinq lieux ou endroits du monde réel ou évoqués dans des fictions (cinéma, livres, BD…)
– où vous n’êtes jamais allé·e et ne désirez absolument pas aller ;
– où vous êtes déjà allé·e et où vous n’avez aucune intention de retourner ;
– où vous n’êtes jamais allé·e et où vous iriez bien volontiers. 
Cela vous fait quinze possibilités de textes à développer ou à assembler comme bon vous semble.

Photo prise lors d’une visite d’expo à Bruxelles.

V comme Vrouw

Une autre des chansons proposées par Joe Krapov est une chanson enfantine d’origine hollandaise.

Ce texte aujourd’hui nous interpelle plus que lorsque nous avions huit ans – quoique… mini-Adrienne était déjà un peu féministe à l’époque 😉 mais apparemment on le fait toujours chanter aux petits Hollandais.

Comment expliquer en peu de mots où ça coince?

D’abord, c’est une question de vocabulaire.
Pour désigner une femme, le mot en néerlandais est vrouw.
Ici on emploie le mot wijf, qui est un synonyme à connotation fortement péjorative.

Ensuite on fait rimer oude wijven avec kijven: les vieilles femmes, que font-elles? criailler, se disputer, faire des reproches…
Plus jamais, jure le charretier, je n’emmènerai des vieilles au marché!

Il décide de ne plus emmener que des jeunes filles: elles sont gaies et chantent 🙂

I comme i

Mettre les points sur les i, se dit l’Adrienne, de puntjes op de i zetten, mais on n’en met que sur le i minuscule, comment ça se fait?

Tout à fait le genre de questions pour lesquelles Madame pouvait toujours compter sur un élève par classe – l’indispensable élève aux questions qui permettent à tout le monde de respirer un coup.

Et en même temps garantissent 100 % d’attention 😉

– D’où ça vient, cette cédille sous le c? a demandé un jour un de ces précieux élèves questionneurs.

Mais jamais aucun ne s’est inquiété de l’absence de point sur le i majuscule.

Jusqu’à hier soir, que tout à coup l’Adrienne se le demandait.

Alors bien sûr elle a cherché, il n’y a rien de plus ennuyeux que des questions sans réponse 😉

La question a fait l’objet d’une étude de Pierre-Michel Bertrand, Le point du i. Précis d’érudition pointilleuse.

On peut écouter l’interview ici, la réponse y est donnée.

Sinon, bien sûr, il reste wikisaitout.

Source de l’illustration ici.

V comme vive la famille!

On m’appelle l’homme des bois et non, ce n’est pas une légende.

Ce n’est pas le Hollandais du 17e siècle qui a mal compris le langage local ou mal interprété ce qu’il entendait pour la première fois.

Le malais et le javanais me donnent ce nom depuis le premier millénaire: urang, qui veut dire homme, être humain, et hutan, qui désigne les bois, la forêt.

D’ailleurs, vous le savez bien que nous sommes frères.
Ou plutôt cousins, pour être exact.
Vous êtes frères des chimpanzés et des bonobos, que ça vous plaise ou non.

Vous m’avez vu faire face aux machines venues détruire les arbres qui m’abritent et me nourrissent.
Geste désespéré et dérisoire, je le sais bien.
Je suis assez intelligent pour le savoir.
Mais on fait de ces choses désespérées quand on l’est.
Vous comme moi.

Vous le savez bien, pourtant, que je suis sur la liste rouge, celle des animaux menacés, en danger critique d’extinction.

Merci à Joe Krapov pour sa consigne, je lui avais envoyé un de mes dessins du temps où Bruxelles brusselait et l’Adrienne dessinait 😉

Tout savoir sur l’origine du mot orang-outan? c’est ici.

R comme rasecht

Accolé au nom des habitants de la ville, on lit ou entend souvent ici et là le mot « rasecht« , ce qui veut dire « de souche », le « vrai » (echt), celui qui a ces fameuses « racines » dans le terroir local.

Comme si les humains étaient des arbres.

– Mais que veut dire « rasecht« , demandait un ancien journaliste sur son compte fb, le genre de type qui aime souffler le chaud et le froid, dire tout et son contraire, affirmer, insinuer, créer la polémique.

L’Adrienne s’est bien gardée de lui donner la réplique, mais depuis, ça lui trotte dans la tête.

En faisant la queue chez le fromager (qui est une fromagère 😉 ) elle entend un homme lancer une phrase en néerlandais, passer au patois flamand, puis ajouter encore une réflexion en français.

– La voilà, se dit-elle en souriant, la voilà, la définition: le « rasecht« , il est trilingue et manie les trois langues locales avec aisance.

Puis mercredi soir le petit Mahdi vient sonner à la porte pour cueillir des figues.

Alors elle repense à son « rasecht« : le petit Mahdi ne l’est-il pas, lui aussi, puisqu’il passe aisément du français au néerlandais et vice-versa?

Il ne connaît pas le patois flamand, et alors?

Rares sont les moins de cinquante ans qui le parlent encore.

L comme lace

L’anglais, disait le père de l’Adrienne, dans notre pays aux trois langues officielles, « il met d’accord tout le monde ».

Aussi est-ce le mot anglais lace, dentelle, qui a été choisi pour le festival de textile dans la ville cet automne.

Et de la dentelle, on en voit partout: dans les divers lieux sélectionnés pour l’expo, dans les parcs, les arbres, les étangs, jusqu’au-dessus des balançoires (clin d’œil à Loulou)

Partout, sous toutes les formes, dans toutes les matières.

Et c’est joli.