Depuis que l’Adrienne a laissé traîner ses précieuses coordonnées – « à l’insu de son plein gré » – lors du séjour au festival de Glyndebourne, au printemps dernier, il ne se passe pas de saison sans qu’elle reçoive d’alléchantes propositions pour des séjours dans des hôtels de charme, au milieu de la campagne du Sussex.
Alléchantes, on parle des photos, bien sûr, pas des prix, qui sont réservés aux happy few.
D’habitude ça passe tout de suite à la poubelle mais là, ce lit à baldaquin… ça l’a fait sourire, penser au temps de sa jeunesse, quand elle s’évertuait à lire Wuthering Heights et elle s’est demandé s’il fallait souscrire une police d’assurance avant de s’aventurer dans un tel lit 🙂
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Source de l’illustration ici. Vous y verrez que l’endroit est tout à fait charmant – so british – et que la chambre avec baldaquin revient à 385 pounds par nuit.
« Du fait de nos conventions familiales basées sur un nom transmis de père en fils, nous nous sentons à tort reliés au passé par une mince tige, sur laquelle se greffent à chaque génération des noms d’épouses, toujours considérés comme d’intérêt secondaire, à moins qu’ils ne soient assez brillants pour en tirer vanité. […] Qui – sauf exception – sait le nom de l’aïeul maternel de sa bisaïeule paternelle? L’homme qui l’a porté compte autant, néanmoins, dans l’amalgame dont nous sommes faits, que l’ancêtre du même degré dont nous héritons le nom. […] quatre arrière-grands-parents en 1850, seize quadrisaïeuls vers l’An II, cinq cent douze à l’époque de la jeunesse de Louis XIV, quatre mille quatre-vingt-seize sous François Ier, un million plus ou moins à la mort de saint Louis. […] c’est bien de toute une province que nous héritons, de tout un monde. L’angle à la pointe duquel nous nous trouvons bée derrière nous à l’infini. Vue de la sorte, la généalogie, cette science si souvent mise au service de la vanité humaine, conduit d’abord à l’humilité, par le sentiment de peu que nous sommes dans ces multitudes, ensuite au vertige. »
Marguerite Yourcenar, Archives du Nord, Gallimard 1977, p.45-46.
Au fil de sa lecture des Archives du Nord, l’Adrienne est tout le temps tellement d’accord avec Marguerite que ça en devient troublant 😉
Et oui, elle connaît « le nom de l’aïeul maternel de sa bisaïeule paternelle« , parce qu’elle s’attache à retrouver avec exactitude tous ceux qui l’ont précédée, et pas seulement cette « mince tige » basée sur le nom transmis de père en fils, qui est effectivement le fil le plus facile à suivre.
Il s’appelait Vanderhaeghen, ce qui veut dire ‘De la haie’ 🙂
« Le quadrille est en fait une contredanse », lit l’Adrienne après avoir pris connaissance du mot proposé par Walrus au Défi du samedi, mais ça ne l’avance guère, ça lui rappelle juste une petite phrase de la comtesse de Ségur, prononcée par Yolande Tourne-Boule à l’intention de Léon, pour lui dire qu’elle l’engage pour la première contredanse à l’occasion d’un bal que sa mère ne manquera pas de donner dès qu’ils seront installés dans leur bel hôtel parisien.
Oui, l’Adrienne vers ses onze ans a tellement lu Les vacances qu’elle peut encore en réciter des passages par cœur 😉
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Pour les autres fans de la Comtesse, voici le passage:
« Je suis très satisfaite, messieurs et mesdemoiselles, dit-elle, de vous connaître avant de quitter le pays ; j’espère que vous viendrez me voir à Paris, à l’hôtel Tourne-boule, qui est à mon père, et qui est un des plus beaux hôtels de Paris. Je vous ferai inviter aux soirées et aux bals que ma mère compte y donner. Et même, pour ne vous laisser aucune inquiétude à ce sujet, je vous engage, monsieur (s’adressant à Paul), pour la première valse, et vous, monsieur (s’adressant à Jean), pour la première polka, et monsieur (s’adressant à Léon), pour la première contredanse. »
C’est avec la lecture de ce merveilleux petit livre pour enfants, Meneer René (Monsieur René) de Leo Timmers, auteur et illustrateur, qu’une bibliothèque de Schaarbeek a réussi à entrer au livre Guinness des records.
Bien sûr, ce n’est pas le record qui compte le plus, mais que la bibliothèque ait pu être le lieu de rencontre de lecteurs de soixante-cinq langues différentes.
Monsieur René, le chien qui a le talent de peindre des choses si vraies, porte évidemment ce prénom en clin d’œil à Magritte, comme l’indique également la belle pomme verte sur son tableau.
Dans notre ville aussi, s’est dit l’Adrienne, on devrait organiser ce genre d’événement, vu que nous avons une bonne centaine de nationalités différentes sur notre petite entité 🙂
Une dame à l’accent roumain essayait de répéter ce qu’elle avait retenu du chemin à suivre – « donc je continue par là et puis ce sera légèrement à droite et … euh … c’est bien ça? » – oui c’est ça a répondu l’homme.
A ce moment-là, l’Adrienne était arrivée à leur hauteur et comme la dame poursuivait son chemin, l’Adrienne se tourne vers elle et lui lance:
Alors pendant la vingtaine de minutes qu’il a fallu pour s’y rendre, elles ont eu l’occasion de parler de la Roumanie.
Mira était surtout curieuse de savoir quand, comment, pourquoi l’Adrienne avait fait la connaissance de ce pays, par conséquent elle a eu droit à l’histoire de la lettre 🙂
Adrienne lit l’incipit d’Archives du Nord, de Marguerite Yourcenar, et se dit ‘Zut! voilà que je commence par le volume 2!’
« Dans un volume destiné à former avec celui-ci les deux panneaux d’un diptyque, j’ai essayé d’évoquer un couple de la Belle Époque, mon père et ma mère, puis de remonter au delà d’eux vers des ascendants maternels installés dans la Belgique du XIXe siècle, et ensuite avec plus de lacunes et des silhouettes de plus en plus linéaires, jusqu’au Liège rococo, voire jusqu’au Moyen Age. Une ou deux fois, par un effort d’imagination, et renonçant du coup à me soutenir dans le passé grâce à cette corde raide qu’est l’histoire d’une famille, j’ai tenté de me hausser jusqu’aux temps romains, ou préromains. Je voudrais suivre ici la démarche contraire, partir directement de lointains inexplorés pour arriver enfin, diminuant d’autant la largeur du champ de vue, mais précisant, cernant davantage les personnalités humaines, jusqu’au Lille du XIXe siècle, jusqu’au ménage correct et assez désuni d’un grand bourgeois et d’une solide bourgeoise du Second Empire, enfin jusqu’à cet homme perpétuellement en rupture de ban que fut mon père, jusqu’à une petite fille apprenant à vivre entre 1903 et 1912 sur une colline de la Flandre française. »
Aux séances de lecture organisées pour toucher des (non) lecteurs, l’Adrienne est généralement la seule à rigoler.
Prenez mercredi dernier, par exemple, et cette histoire d’une riche dame anglaise en voyage aux Indes britanniques: comme elle a une envie folle de « faire plus fort » que son ennemie intime, elle s’arrange pour qu’un village lui procure un tigre, de préférence vieux, à moitié sourd et aveugle, qu’elle pourra tirer tout à son aise alors qu’il s’approchera d’une chèvre qu’on aura attachée à un pieu.
L’Adrienne donc rigolait en entendant Nadine faire la lecture:
« La seule grande source d’anxiété [des villageois] était qu’il vînt à mourir de vieillesse avant la date prévue pour la partie de chasse de la memsahib. Des mamans qui ramenaient chez elles leurs bébés à travers la jungle chantonnaient plus bas de crainte d’abréger le sommeil réparateur du vénérable voleur de bétail. »
Pourquoi la douzaine d’autres personnes restaient de glace, elle ne le comprenait pas.
– C’est pas mon style, dit l’une.
– C’est exagéré, dit l’autre.
Nadine continue de lire et l’Adrienne de rigoler:
« Une chèvre douée d’un bêlement particulièrement persistant et d’un volume tel qu’on pût raisonnablement s’attendre à ce qu’il fût perceptible par une nuit calme même par un tigre partiellement sourd, avait été attachée à la distance voulue. Munie d’un fusil à lunette bien réglée et d’un paquet de cartes minuscules pour faire des réussites, la chasseresse attendait l’arrivée du gibier. »
Etc.
Vous pouvez juger vous-mêmes si vous le trouvez humoristique, la traduction en français est ici, et l’original en anglais est là.
« La pensée n’est peut-être qu’une bizarrerie de la nature offerte à une espèce, comme elle fait ces bois de ruminants rares ou disparus que l’on voit dans les muséums : armes ou parures si curieusement étendues, bouclées ou spiralées, ou si rameuses qu’elles sont plus nuisibles encore qu’inutiles à l’animal qu’elles couronnent.
Pourquoi pas ? Pourquoi non ? Notre tête est chargée de questions et d’idées qui se prennent dans l’enchevêtrement de la forêt des faits, et nous retient embarrassés, orgueilleux de l’être, condamnés à bramer des poèmes et des hypothèses, – fiers et désespérés. »
Une citation de Paul Valéry – in Mauvaises pensées et autres, publié en 1942 – que l’Adrienne se devait de partager avec vous: elle n’est sûrement pas la seule à avoir la tête ‘chargée de questions et d’idées’.
‘Embarrassés et orgueilleux de l’être’, voilà exactement la conclusion du bon bramin, une lecture hautement recommandable 🙂
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La photo de Vincent Héquet vient de chez Bricabook, il y a quelques années (2015!), mais vous aurez saisi le rapport – à l’époque ça m’avait fait penser à monsieur de Montespan 😉
Si vous choisissez la version PDF du livre de Paul Valéry, la citation ci-dessus se trouve en page 5.
Hier, on a eu un nouveau professeur de gymnastique.
— Je m’appelle Hector Duval, il nous a dit, et vous?
— Nous pas, a répondu Fabrice, et ça, ça nous a fait drôlement rigoler.
J’étais sur la plage avec tous les copains de l’hôtel, Blaise, Fructueux, Mamert, qu’il est bête celui-là! Irénée, Fabrice et Côme. Pour la leçon de gymnastique, il y avait des tas d’autres types ; mais ils sont de l’hôtel de la Mer et de l’hôtel de la Plage et nous, ceux du Beau-Rivage, on ne les aime pas.
Le professeur, quand on a fini de rigoler, il a plié ses bras et ça a fait deux gros tas de muscles.
— Vous aimeriez avoir des biceps comme ça? a demandé le professeur.
— Bof, a répondu Irénée.
— Moi, je ne trouve pas ça joli, a dit Fructueux, mais Côme a dit qu’après tout, oui, pourquoi pas, il aimerait bien avoir des trucs comme ça sur les bras pour épater les copains à l’école. Côme, il m’énerve, il veut toujours se montrer. Le professeur a dit:
— Eh bien, si vous êtes sages et vous suivez bien les cours de gymnastique, à la rentrée, vous aurez tous des muscles comme ça.
Alors, le professeur nous a demandé de nous mettre en rang et Côme m’a dit:
— Chiche que tu ne sais pas faire des galipettes comme moi. Et il a fait une galipette.
Moi, ça m’a fait rigoler, parce que je suis terrible pour les galipettes, et je lui ai montré.
— Moi aussi je sais ! Moi aussi je sais ! a dit Fabrice, mais lui, il ne savait pas. Celui qui les faisait bien, c’était Fructueux, beaucoup mieux que Blaise, en tout cas. On était tous là, à faire des galipettes partout, quand on a entendu des gros coups de sifflet à roulette.
— Ce n’est pas bientôt fini? a crié le professeur. Je vous ai demandé de vous mettre en rang, vous aurez toute la journée pour faire les clowns!
Sempé et Goscinny, Les vacances du petit Nicolas, Folio Junior n° 457, début du chapitre La gym, p. 37 à 39.
C’est grâce au Petit Nicolas que l’Adrienne a appris le mot « galipette », que Walrus propose cette semaine au Défi du samedi.
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source de l’image ici (interview de Sempé en mars 2019) – ce volume de la collection du Petit Nicolas peut aussi se lire en ligne ici et ici. Mais vous n’aurez pas les merveilleux dessins de Sempé 🙂
Quel geste viril! Il s’effectue de préférence au cours d’une manœuvre un peu délicate, quand une concentration classique, les mains empoignant fermement le volant, semblerait requise. Avec une expression impavide, et souvent un mâchouillement de chewing-gum, comme une métaphore supplémentaire de décontraction affichée, l’automobiliste de paume fait son grand numéro. Il n’a pas besoin de ses doigts. […] Un grand tourniquet dans un sens, puis dans un autre. C’est James Bond au créneau.
Il y a une idée de légèreté dans le projet – je m’appuie à peine sur la surface des choses, et elles m’obéissent. Pourtant, curieusement, cette volonté d’effleurement recèle une violence à la fois arrogante et légèrement bestiale […] une sensualité de petit mec, qui juge les autres hommes timorés et pense que les femmes ont trouvé leur permis de conduire dans un baril de lessive. […] cela veut tellement dire je suis plus fort, plus désinvolte, plus futé, plus rapide, qu’au lieu de susciter l’admiration espérée, le frimeur est tout de suite détesté. […]