Il y a des jours où la seule activité « sportive » de l’Adrienne consiste à monter et descendre les quinze marches de son escalier – oui, quinze, elle les compte chaque fois pour être sûre que pas une ne manque – alors ces jours-là, soit elle est optimiste et se dit « heureusement que je ne me suis pas acheté un appartement, avec l’escalier je fais ma ‘cardio’ quotidienne », soit elle est réaliste et se dit « le jour viendra où… »
Bref, ça lui occupe autant la tête que les jambes 🙂
« Dire que quelqu’un n’est pas assez bien, c’est ne pas le regarder d’assez près« , lit l’Adrienne.
Sa première réaction est Oui! bien sûr! que sait-on des gens, rien qu’en les regardant passer? Et chacun ne vaut-il pas la peine d’être écouté, entendu, respecté?
ça semble tellement évident.
Puis elle pense à ses anciens voisins, et au nouveau « méfait » qu’elle vient d’apprendre sur leur compte.
Non seulement ils se sont rendus coupables d’un vol de 5000 € au petit commerce du coin – heureusement le propriétaire avait juste installé une caméra – mais en plus, ils se sont offert une « revanche » pour la plainte qu’il a osé porter: ils lui ont envoyé le contrôle sanitaire.
Alors l’Adrienne propose de changer la phrase et de dire: « il y a des gens qui ne sont pas des gens bien ».
Pas de lien vers l’article ni de nom d’auteur, il m’est inconnu, ça vient du magazine le Vif (une mise en ligne du 20 mai) et je n’ai plus d’abonnement.
« Le bon dieu est socialiste » disait le grand-père de l’Adrienne, à peu près chaque année, quand une fois de plus les festivités du premier mai se déroulaient sous un soleil radieux alors que la météo était triste le jour de la procession de l’Ascension, qui avait généralement lieu début mai également.
Alors chaque fois que la météo est grise et venteuse le jour de la fête de l’école catholique et fort clémente le jour de la fête à l’école « de l’État » – comme on appelle ici les écoles non-confessionnelles – l’Adrienne se redit en souriant la petite phrase du grand-père.
Cette année, le bon dieu s’est encore montré fort socialiste, les enfants de la petite école d’en face ont pu chanter et danser leur « tour du monde en musique » et même faire toutes les répétitions au grand air et l’Adrienne, qui jardinait, a pu chanter Aux Champs-Élysées et bouger le popotin sur la lambada, les deux seuls airs qu’elle connaissait 😉
Probablement la chanson la plus apprise en classe de FLE partout dans le monde 🙂
D’ailleurs c’est l’époque de l’année où Madame l’apprenait à ses 16-17 ans en vue de leur voyage à Paris, ils la chantaient en boucle dans le bus 😉
Qui pendant deux ans et trois mois n’ont rien fait d’autre que forer, taper, visser, coller et oublier de payer le loyer.
– Mais comment m’en débarrasser? se plaint-il, on ne peut pas mettre des locataires à la porte, sauf si on vient habiter soi-même ou si on vend… donc voilà: je vends.
Ils sont évidemment partis à la cloche de bois, il y a quinze jours, et il a trouvé un tas de courrier, uniquement des factures en retard et des avis de paiement…
Pendant deux jours entiers, hier et avant-hier, il a vidé la maison de tout le « brol » qu’ils y ont laissé, vieilles planches, nombreuses palettes, quelques meubles, une montagne de choses diverses dont on se demande pourquoi ils les ont collectionnées et laissées là… pour recommencer ailleurs.
– Et maintenant que c’est vidé, je vais encore devoir tout repeindre, soupire-t-il. Je pense qu’ils n’ont jamais nettoyé. Et ils fumaient comme des pompiers!
L’Adrienne sourit: ça devient vraiment marrant, cette histoire 🙂
Le premier miracle de l’année 2023 a eu lieu un soir de la semaine passée: l’électricien qui devait venir faire deux petits travaux de réparation depuis juillet 2022 était enfin à la porte de l’Adrienne.
Elle a failli ne pas le reconnaître 😉
Et pour rendre ce coup du hasard encore plus fabuleux, c’était exactement le jour où dix ans plus tôt, l’Adrienne avait signé le compromis de vente pour la maison de tante Fé.
Fêter cet anniversaire avec deux nouvelles prises de courant, quel cadeau merveilleux 🙂
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Photo de 2013 et des travaux plus conséquents qui ont dû avoir lieu à ce moment-là 🙂
Chaque mardi quand Madame se rend à la petite école d’Alexandra et Lucas, elle passe devant le numéro 124 où la porte et la grande fenêtre qui donne sur la rue ont encore leur peinture d’origine des années soixante: rouge vif. Rouge sang.
Le numéro 124, c’était la boucherie familiale, qui avait appartenu au père du grand-père et qu’il ne réussissait pas à léguer à un de ses fils.
Jusqu’à ce qu’il n’en reste plus qu’un à atteindre l’âge adulte et à qui il fallait trouver un travail, le cadet des dix enfants, le grand-oncle Marcel.
Qui ne voulait surtout pas devenir boucher mais maçon.
Alors qu’a fait le père? Il a dit à l’entrepreneur, un de ses beaux-fils, sans doute son préféré, qui avait passé toute la guerre de 14-18 dans les tranchées comme volontaire de guerre:
– Tu lui feras faire tout ce qu’il y a de plus lourd, de plus éreintant, je veux qu’il en ait marre en moins de huit jours.
Ainsi fut fait.
– Je crois que je vais quand même devenir boucher, a dit le grand-oncle Marcel.
Sur la photo de famille prise à l’occasion des noces d’or des parents de mon grand-père, les enfants et les conjoints sont dans l’ordre hiérarchique, les aînés flanquent les parents et les trois plus jeunes sont au dernier rang: mon grand-père avec grand-mère Adrienne, le grand-oncle Émile avec son épouse et le grand-oncle Marcel avec son épouse. L’entrepreneur est le type content de lui qui se trouve juste derrière le couple fêtant ses noces d’or.
Ceux qui savent compter verront qu’il n’y a pas dix couples, mais neuf: un des des dix enfants, une petite fille, est morte à l’âge de 10 ans.
Non, ça ne lui avait pas plu du tout, à l’Adrienne, quand d’un seul coup d’œil sur le bureau, Berthe avait décrété:
– Moi aussi je suis bordélique.
Bon, on peut s’entendre sur le vocabulaire, elle a dit « ik ben ook slordig » et ‘slordig‘ peut se traduire par négligeant, désordonné, pas soigneux…
Mais là n’est pas la question.
Ce qui n’a pas plu à l’Adrienne, c’est cette conclusion pour le moins hâtive, alors que tout le reste de la maison est parfaitement rangé et que sur le bureau, le désordre n’est qu’apparent.
Bref.
Aujourd’hui l’Adrienne jubile: elle vient de lire que la gourou du rangement a déclaré:
« Ma maison est en bazar, mais la façon dont je passe mon temps est la bonne pour moi à ce moment-là, à cette étape de ma vie. Jusqu’à présent, j’étais une professionnelle du rangement, donc je faisais de mon mieux pour garder ma maison bien rangée à tout moment. J’ai en quelque sorte renoncé à cela, dans un bon sens pour moi. »
Les agences immobilières, de plus en plus, arrangent le décor pour rendre la maison à vendre plus attrayante.
Il paraît que l’acheteur potentiel manque d’imagination et qu’il vaut mieux décider pour lui de la couleur des murs et de l’emplacement du canapé.
Mais ici l’agence n’a fait aucun effort, pas même un peu de nettoyage: la maison n’a que la valeur de son espace – ses grands espaces – et de son emplacement – « idéalement située » – pour justifier son prix.
Tout est à refaire.
Bien sûr, ce n’est pas dans les prix de Marie, mais elle y a vu l’occasion de revoir les lieux.
L’homme de l’agence la précède, lui ouvre les portes, lui fait son boniment. Elle sourit. S’il savait!
Et vraiment, rien n’a changé. Même l’odeur de la maison est restée identique à son souvenir.
Et cette banderole!
– Vous n’avez même pas enlevé ça!
Elle rit tout à fait, à présent et jamais le type de l’agence ne comprendra pourquoi.
« Bonne annif » avait peint Jacques au pochoir en grandes lettres rouges, sa couleur préférée.
Comme disent les pédagogues d’aujourd’hui, c’est le message qui compte, n’est-ce pas 😉
Il était le premier sourire du matin quand l’Adrienne allait à l’école et qu’il fumait sur le pas de sa porte.
Il est rare de le rencontrer en rue, il ne sort que pour aller s’approvisionner au petit magasin du coin.
Mais jeudi il était en route de bonne heure quand l’Adrienne l’a croisé.
Il est vrai que depuis plus d’une semaine, il avait un souci: la banque qui s’occupe de ses versements était fermée.
– Il faut tout de même que je paie ma télé et mon électricité! dit-il.
Lui, comme la maman de meilleure amie et même celle (toujours en pleine forme) de l’Adrienne, et tant d’autres, ne se débrouillent pas avec les nouvelles technologies.
Le petit monsieur a besoin d’un guichet avec une vraie personne qui lui fasse sa paperasse.
La mère de l’Adrienne a besoin de sa fille qui est à 850 km. Elle ne comprend pas qu’il faut donner des procurations. Elle pense que sa fille n’a qu’un coup de fil à passer pour tout régler.
– Tu n’as qu’à dire que tu es ma fille! rétorque-t-elle quand l’Adrienne essaie de lui expliquer quelle sorte de formulaire il faut remplir.
– Nous n’avons rien réglé au moment où maman était « encore bien », dit meilleure amie. Alors maintenant on a un tas de démarches et de difficultés. On doit pourtant la vendre, sa maison!
Hé oui, pour payer les soins et la maison de retraite.
Mais quand la maman était « encore bien », elle jugeait inutile le « zorgvolmacht« , une sorte de procuration qui donne la permission à quelqu’un de s’occuper de tes affaires, financières ou autres, le jour où tu n’en es plus capable.
– Et ma femme de ménage! poursuit le petit monsieur, ça fait un mois qu’elle n’est plus venue!
Normalement elle vient tous les quinze jours.
– Et bien, rit l’Adrienne, elle aura d’autant plus de travail, quand elle viendra!
Mais il reste soucieux:
– J’espère qu’elle va venir cette semaine…
Lui aussi aurait besoin que quelqu’un téléphone à sa place…
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‘zorg’ est le mot qui veut dire ‘soin’, prendre soin, donner des soins, mais aussi ‘souci’