H comme hoya carnosa

En pénétrant dans la pièce, on ne peut que la voir, énorme, occupant toute la cheminée de marbre gris, avec le grand miroir derrière, ses lianes touchant presque jusqu’à terre, en pleine floraison:

– Quel magnifique hoya carnosa! s’exclame spontanément l’Adrienne.
– Euh… Quoi? demande Barbara.
– Oh pardon! fait l’Adrienne, qui s’excuse quand les autres la bousculent ou lui marchent sur le pied, donc a fortiori quand elle emploie un mot qui peut sembler pédant.

Hélas, elle est ainsi faite, elle aime connaître le nom des choses et les mots exacts, mais il vaut souvent mieux garder toute cette « science » pour soi.

Heureusement, Barbara ne s’en formalise pas:

– Oh moi je n’y connais rien en plantes, j’essaie juste de ne pas les faire mourir, ce qui ne réussit pas souvent.

Mais là, avec le hoya carnosa, elle a de la chance: c’est vraiment très résistant. L’Adrienne le sait, elle en avait un dans la maison d’autrefois, où il y avait de la place pour des tas de plantes, même des géantes comme le philodendron ou l’araucaria, un exemplaire magnifique qu’elle avait reçu tout petit et qui touchait le plafond.

Puis il a fallu partir et elle a tout donné.
Dans la maison de ville, il y a à peine la place pour quelques orchidées.

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source de la photo ici.

C comme charmeur

Photo de Magda Ehlers sur Pexels.com

C’est arrivé quelques fois: l’Adrienne dans son jardinet reçoit un « bonjour » d’un petit garçon qui passe dans la rue et il n’en faut évidemment pas plus pour qu’elle soit charmée.

Alors la fois suivante, elle engage la conversation.

Il n’avait jamais vu de figues ni de figuier, elle lui montre donc les fruits, verts à l’époque, et lui explique qu’ils doivent devenir violet foncé.

– Dès que tu vois qu’ils ont la bonne couleur, tu sonnes à ma porte et je t’en donne. D’accord?

Alors l’autre jour, au moment où elle se demandait s’il allait oser, vu que les fruits étaient déjà bien colorés vers la mi-août, il était là.

Deux jours plus tard, il était de nouveau là.
Un peu gêné, embarrassé:

– C’est mon père qui m’envoie, dit-il. Il aime tellement ça!
– Pas de problème! je vais te remplir ton sachet.

Puis il ajoute:

– Mais il n’aime pas les petites figues. Il dit que les grosses sont meilleures.

On sent bien que c’est du service commandé, exactement comme quand on envoyait mini-Adrienne chez le boulanger en insistant beaucoup qu’elle n’oublie surtout pas de préciser qu’on voulait le pain « bien cuit ».

Au retour, le pain était retourné et inspecté des deux côtés et on n’était jamais content:

– Tu as oublié de dire qu’on le voulait « bien cuit »?

La même sorte de réflexion attendait sûrement le petit garçon rentré chez lui avec un sachet où l’Adrienne avait mis des grosses et des petites figues:

– Tu as bien dit qu’on préfère les grosses?

Et il pourra répondre:

– Oui, mais la dame elle a dit que les petites et les grosses, c’est tout pareil.

Adrienne dans l’immobilier

Le couple planté devant la maison à vendre était parfait pour illustrer ce qu’on peut lire depuis plus de trente ans: il y a un effet réel et mesurable du statut socio-économique sur la santé et la longévité.

L’Adrienne revenait du marché et voyait de loin qu’ils allaient l’aborder:

– Vous êtes d’ici? lui a demandé la dame, et comme si le panier de la ménagère n’était pas une preuve suffisante en plus de la première réponse positive, il a fallu le répéter deux fois, oui, d’ici même, née ici, grandi ici, travaillé ici, habitant ici.

La réponse mettait visiblement la dame en joie:

– Oh! c’est parfait! Alors vous allez pouvoir répondre à nos questions!

Ils venaient d’une autre province flamande, où ils avaient une grande villa avec jardin, mais où des travaux d’entretien et de rénovation devenaient nécessaires, alors ils s’étaient dit: plutôt que de nous mettre dans des travaux, vendons et achetons quelque chose qui soit aux normes actuelles.

Et c’est ainsi qu’ils avaient fait plus de 70 km – au niveau de la Belgique, c’est énorme, pour un déménagement – dans l’espoir de pouvoir visiter cette villa près du parc, en centre ville, avec piscine, sauna, terrasse et jardin bien cachés derrière une triple haie.

Mais voilà, la charmante ville natale de l’Adrienne traîne une triste réputation auprès de ceux qui ne la connaissent pas, et tous les clichés y sont passés, à commencer, bien sûr, par le pourcentage « d’étrangers ».

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Après les avoir quittés, une demi-heure plus tard, elle s’est demandé quel tour aurait pris la conversation s’ils étaient tombés sur quelqu’un d’autre.

Hajar, Nabila, Othmane, Youssef et tous les autres méritent qu’on rectifie immédiatement le propos 🙂

22 rencontres (4.10)

Quand Madame a dû venir s’installer en ville, elle a tout fait pour que la maison soit en ordre et aux normes, toit, portes et fenêtres, électricité, elle a peint, tapissé, planté dans son jardinet.

Elle a cru qu’après tout ça elle serait tranquille pour un bon bout de temps.

Hélas ça ne s’est jamais arrêté, comme vous le savez si vous passez régulièrement par ici 😉

Bref, c’était au tour du chauffage au gaz à être renouvelé et comme d’habitude, il y a eu quelques dégâts collatéraux, une fuite d’eau par ici, une autre par là, jusqu’au moment où la firme a envoyé un gars « d’ici » au lieu du duo comique west-flamand qui avait fait l’installation tout en racontant des blagues racistes.

Bien sympa, le jeune homme, et tout en travaillant à la clé anglaise de-ci, de-là, il racontait sa vie.

Son âge, sa situation de famille, ce que faisaient ses parents, dans quelle maison se trouvait son berceau, son employeur précédent chez qui il s’est cassé le dos.

Puis, inévitablement, l’école.

Celle de Madame, bien sûr 🙂

Où il n’a tenu le coup qu’un an: il n’a pas supporté qu’on lui interdise de passer ses récrés à embrasser sa copine 😉

Il avait douze ans, elle deux de plus.

7 fois

C’est en pensant au déménagement de monsieur le Goût qui a lieu ces jours-ci que l’Adrienne s’est rendu compte qu’elle a déménagé sept fois dans sa vie.

Sept fois, à condition de ne pas compter le tout premier, qui a eu lieu dans sa petite enfance et dont elle n’a aucun souvenir: elle n’avait pas deux ans.

Le premier et le dernier ont été les plus douloureux: le premier signifiait quitter le lieu de l’enfance heureuse auprès des grands-parents, surtout grand-mère Adrienne et le papa de celle-ci, avec qui la petite jouait aux cartes pendant des heures, installée sur ses genoux.

Et le (provisoirement) dernier, parce qu’il fallait quitter les chants d’oiseaux du vert paradis où on aurait bien aimé rester encore de longues années.

Mais comme le fait très justement remarquer Monsieur le Goût, en plus de ce texte-ci de Perec – tout à fait de circonstance – un déménagement a aussi un rapport avec La Disparition.

En effet, il y a bien toujours quelque chose qui se perd de la plus mystérieuse façon: l’Adrienne a réussi à perdre une chaise.

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photo dans la maison d’avant: une de ces deux chaises a préféré ne pas venir vivre en ville.

R comme répertoire

C’est demain que les voisins de l’Adrienne organisent chez eux leur fête de mariage et comme ils l’en avaient prévenue, « de temps en temps » la musique allait « un peu fort » ces dernières semaines, parce qu’ils préparaient le programme des festivités.

Ce qui fait que l’Adrienne en connaît déjà tout le répertoire et qu’elle a pu constater qu’aujourd’hui encore, un mariage de Flandre se doit de comporter UNE chanson en français, l’indéboulonnable Connemara.

Personne n’en comprend les paroles et tout le monde s’en f…, il s’agit de faire lalala en agitant sa serviette de table 🙂

Bref, demain l’Adrienne va à Ostende.

La mer y est moins mythique mais ses oreilles s’y porteront mieux 🙂

M comme maison

– Vous avez vraiment tout ce qui vous faut, fait petit Léon en sortant des toilettes.

Et il le répète encore une fois ou deux, l’air sérieux:

– Elle est bien votre maison. Il y a tout ce qu’il faut.

Des toilettes qu’il a trouvées très belles.
L’ami qui y a contribué se reconnaîtra 🙂

L’Adrienne bien sûr a souri.
Sa maison est fort modeste mais il est vrai que les toilettes sont neuves.

Puis elle s’est souvenue que le grand frère avait raconté une anecdote similaire, au printemps dernier.

Comme stagiaire avec son maître de stage, ils avaient lors d’un travail dans le jardin d’une dame été invités par celle-ci à se joindre à elle pour le repas de midi.

Grand frère avait été fort impressionné par le riche décor et les proportions de la maison, et par la table bien mise, « comme pour une fête », avec nappe et serviettes…

Tellement impressionné qu’il avait été très mal à l’aise et avait à peine osé bouger de peur de commettre un impair.

Première fois

Pour la première fois, hier matin, l’Adrienne a osé envoyer à sa voisine un message qui ressemble à une réclamation.

Pour lui signaler poliment que pendant la nuit, alors que leurs maîtres étaient de sortie, les chiens ont hurlé à la mort.
Jusqu’à trois heures du matin.

Devinez ce que la brave dame a répondu?

Qu’elle était désolée mais qu’elle n’y pouvait rien et que s’il y a du bruit chez elle, c’est parce qu’elle ne vit pas en ermite.

En ermite.
Kluizenaar, c’est le mot qu’elle a employé.

Et c’est sans doute pour le prouver que l’après-midi, pendant plus de deux heures, elle a mis le téléphone sur « pleine puissance et mains libres » pour qu’à côté, l’Adrienne puisse bien suivre la conversation sans avoir à en deviner la moitié 🙂

***

Ce même jeudi c’était aussi la première fois que les parents du petit Léon ont eu un entretien avec ses professeurs et l’Adrienne est impatiente d’en avoir le compte-rendu!

N’est-ce pas que sa vie est trépidante 😉

L comme LOL

– C’est quoi, ça? demande petit Léon.
– Ah!ça! ce sont les voisins.

Comme vous le savez, les nouveaux voisins sont très inventifs en nuisances sonores, ils aiment faire des trous dans les murs, collectionner les chiens qui aboient – pour pouvoir gueuler dessus, probablement – et mettre leur radio ou télé sur le volume réservé aux sourds et aux malentendants, ou à ceux qui veulent le devenir.

Justement ce jour-là, l’Adrienne avait reçu d’eux l’annonce que leur fête de mariage aurait lieu chez eux le 22 octobre.

Et, précisaient-ils, il se pourrait que ce jour-là il y ait un peu de bruit.

B comme bonbons

Quand on a sonné à sa porte, l’Adrienne a été surprise d’y voir son voisin, vêtu d’une chemisette – rappelez-vous qu’il vit torse nu, même quand il va dans le centre s’acheter une bricole – mais c’était pour pouvoir y épingler un badge mentionnant le mot « seingever« .

Sur lequel il tenait l’index, pour bien en montrer toute l’importance.

Dans l’autre main, il avait un gros sac.

– Je viens vous demander votre solidarité pour notre groupe de signaleurs, a-t-il déclamé, et de son gros sac il a extirpé un sachet de bonbons.

– Oh…! a fait l’Adrienne.

Et avant qu’elle ait pu lui rétorquer qu’elle n’en mangeait jamais, il a dit:

– Pour votre petit-fils.

Ce qui était évidemment fort flatteur, vu les beaux yeux du petit Léon 😉 qui a malheureusement déjà plus de grands-mères qu’il n’en faut.

Bref, l’Adrienne a été délestée de cinq euros pour des bonbons que personne ne mangera.

La veille, petit Léon, en parlant de ses affaires de classe qu’il prêtait à la demande et qu’on lui rendait cassées ou abîmées, lui avait précisément posé cette question:

– Moi je ne sais pas dire non. Comment on fait pour dire non?