Adrienne aime Montesquieu

Si j’avais à soutenir le droit que nous avons d’acheter des vêtements bon marché sans nous soucier de leur provenance, voici ce que je dirais.

Aujourd’hui comme au 18e siècle, « le sucre serait trop cher, si on ne faisait travailler la plante qui le produit par des esclaves. »

22 classiques

Voici 22 petites phrases qui ont fait leur chemin jusqu’à nous. Des collègues profs de lettres en font collection à l’usage des lycéens…

Choisissez celle sur laquelle vous vous endormirez ce soir Langue tirée

Je vous les livre dans un ordre plus ou moins chronologique:

1.Socrate: Connais-toi toi-même 

2.Juvénal: Un esprit sain dans un corps sain 

3.Térence, Heautontimoroumenos: Je suis un homme. Et rien de ce qui est humain ne m’est étranger 

4.Plaute, Erasme, Montaigne, Francis Bacon, Hobbes…: L’homme est un loup pour l’homme

5.Rabelais, Gargantua: Le rire est le propre de l’homme 

6.Rabelais: Science sans conscience n’est que ruine de l’âme

7.Montaigne: Une tête bien faite plutôt qu’une tête bien pleine

8.Montaigne: parce que c’était lui, parce que c’était moi

9.Pascal: Le cœur a ses raisons que la raison ne connaît point 

10.Pascal: L’homme n’est ni ange ni bête, et le malheur veut que celui qui veut faire l’ange fait la bête 

11.Pascal (et ma mère): Le moi est haïssable 

12.Pascal: L’homme est un roseau pensant. (et il ajoute: le plus faible de la nature. Mais… il y a un mais Langue tirée)

13.Boileau (et ma mère): Ce que l’on conçoit bien s’énonce clairement 

14.La Fontaine, Les animaux malades de la peste: Selon que vous serez puissant ou misérable, les jugements de cour vous rendront blanc ou noir.

15.Shakespeare, Hamlet: Etre ou ne pas être, telle est la question

16.Voltaire, Candide: Tout est au mieux [dans le meilleur des mondes possibles]

17.Voltaire, Candide: Il faut cultiver notre jardin 

18.Montesquieu: Comment peut-on être Persan ? 

19.Beaumarchais: Vous vous êtes donné la peine de naître, et rien de plus

20.Saint-Exupéry, Le petit Prince : L’important est invisible pour les yeux

21.Saint-Exupéry, Terre des hommes: C’est un peu, dans chacun de ces hommes, Mozart assassiné

22.Claude Lévi-Strauss: Le barbare, c’est d’abord celui qui croit à la barbarie

C comme Crusoé

Oubliez tout ce que vous croyez savoir sur Robinson, le naufrage, l’île, Vendredi… Oubliez l’image que vous en avez reçue au travers de lectures d’enfance, de films ou de séries télévisées… Si vous n’êtes pas de ceux qui ont lu la version originale, vous serez sans doute aussi surpris que moi de constater que de toutes ces images d’Epinal, il ne restera pas grand-chose après la lecture de la nouvelle traduction de Françoise du Sorbier, dont je parlais déjà ici: T comme traduttore traditore

Mais ce que je ne comprends absolument pas, c’est ce que Rousseau, oui en effet celui de l’Emile, a bien pu lui trouver pour l’ériger en bible de l’éducation. Ou alors il faudra que je revoie encore une fois mon opinion sur Rousseau – qui n’est déjà pas des plus favorables 😉 – car personnellement ce que j’ai trouvé dans cette version complète de Robinson Crusoé, c’est surtout un hymne à la suprématie de l’homme blanc.

Celui qui considère qu’une terre est sienne dès qu’il a posé le pied dessus.
Que toute activité doit servir à augmenter ses biens et à s’enrichir.
Qu’on peut voler à un mort. Et pourtant des pièces d’or ne sont d’aucune utilité sur une île déserte.
Que la fin justifie les moyens. Lisez et voyez ce qui arrive au jeune Xury.
Que « le bon sauvage » est avant tout un bon esclave, qui doit oublier sa langue et sa culture propres pour adopter la langue et la religion de son maître.
Et que donner un nom à une chose, c’est une façon de se l’approprier:

« Tout d’abord, je lui fis savoir que son nom serait Vendredi, car c’était le jour où je lui avais sauvé la vie. Je le nommai ainsi en mémoire de ce jour, et lui appris également à dire « Maître », puis lui fis comprendre qu’il devait m’appeler ainsi. » (page 267)

Robinson finit par se sentir tout à fait roi de son île le jour où elle compte quatre habitants:

« Mon île était maintenant peuplée, et je m’estimais très riche en sujets. Je me fis alors souvent la plaisante réflexion que je ressemblais beaucoup à un roi. D’abord, tout le pays était ma propriété, si bien que j’avais une autorité souveraine et indiscutable; ensuite, mon peuple m’était totalement soumis: j’étais seigneur et législateur absolu (…) » (page 310)

Ce qui m’a fait sourire, c’est la fierté naïve de Robinson quand il montre à Vendredi comment tremper sa galette dans le lait de chèvre. Il ne semble pas imaginer un instant que cet homme connaît sans aucun doute toutes les ressources de l’île, étant natif du coin, et que peut-être c’est lui qui pourrait lui faire découvrir une plante ou un fruit ou comment accommoder un mets « local ».

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1719, c’est l’année de parution de Robinson Crusoé. L’esclavagisme et le commerce triangulaire sont en plein essor. Il en est question dans Robinson: c’est pour partir à la recherche d’esclaves sur les côtes de Guinée qu’il s’embarque et quitte sa plantation brésilienne.

1762, c’est l’année de parution de l’Emile de Jean-Jacques Rousseau, qui, comme le dit la traductrice dans sa postface, « voit en Robinson « le plus heureux traité d’éducation naturelle », et le seul ouvrage digne de la bibliothèque de son Émile » (page 393). Il me semble pourtant que Defoe est loin des idées des Lumières ou des préromantiques.

Et entre les deux, en 1748, Montesquieu, L’Esprit des Lois, XV, chapitre 5: « Si j’avais à soutenir le droit que nous avons eu de rendre les nègres esclaves, voici ce que je dirais… », inégalable pamphlet contre l’esclavage et son inhumanité. Rousseau n’en aurait-il pas eu connaissance?

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Merci à News Book http://newsbook.fr/ en partenariat avec les éditions Albin Michel http://www.albin-michel.fr/ pour cette très instructive relecture d’un des grands mythes de notre littérature mondiale. En effet, Françoise du Sorbier l’a joliment dépoussiéré 🙂

« Pourquoi retraduire Robinson Crusoé? » demandait-elle page 393.

Pour nous donner enfin la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je le jure 🙂

C comme confidences

Il y a celle qui a des problèmes au boulot. Il y a celle qui a des problèmes conjugaux.

Il y a celle qui voudrait avoir un enfant. Il y a celle qui a perdu un enfant.

Il y a celle qui a un cancer. Celle dont le père a un cancer. Celle dont le fils a un cancer.

« Si on ne voulait qu’être heureux, cela serait bientôt fait. Mais on veut être plus heureux que les autres, et cela est presque toujours difficile parce que nous croyons les autres plus heureux qu’ils ne sont. » Montesquieu

E comme école, élèves, enseigner

C’est bien les photocopies toutes chaudes.

C’est bien un(e) collègue qui est un(e) ami(e).

C’est bien l’émotion de « Demain dès l’aube… »

C’est bien d’avoir sa classe et tout le matériel qu’il faut.

C’est bien l’Esprit des Lois : « Si j’avais à soutenir le droit que nous avons eu … »

 C’est bien quand tout le monde a son manuel!

C’est bien un tableau propre, une classe propre, des bancs propres…

C’est bien une belle histoire comme Oscar et la dame rose.

C’est bien un gentil courrier dans mon casier.

C’est bien d’être à son bureau et de contempler ses troupes.

D’après « C’est bien… «  de Philippe Delerm oscar