O comme Obo

– Je lisais l’histoire des deux princes ashanti, Kwasi et Kwame, alors bien sûr j’ai pensé à ton père!

Mais Nana est une jeune fille qui aime que tout soit bien précis:

– C’est ma mère qui est Ashanti, répond-elle, mon père est né à Obo, il n’est pas Ashanti, il est Kwahu!

Résultat: l’Adrienne, par la grâce d’une seule réponse, se retrouve avec une foule de questions 🙂

G comme gronde!

L’image contient peut-être : une personne ou plus, texte qui dit ’Jullie krijgen allemaal een uitkering. Moeten geen belastingen Huur, water en electriciteit meer betalen Jullie krijgen allemaal Corona’

Nana gronde et grogne. Elle est à cet âge où on ne pardonne rien au monde des adultes et tout ce qu’elle lit dans ses journaux en ligne, le vrai et le faux, le scientifique et les ragots, les hoquets de la politique et les peurs qu’on se renvoie en boomerang sur les réseaux sociaux, tout l’exaspère profondément.

– Je déménage à Bruxelles! écrit-elle à Marie. Je viens en Belgique!

Marie sourit. Non, elle ne sera pas le corbeau de la fable, flattée que Nana préfère son pays à celui qui l’a vue naître, celui où son père a trouvé asile.

– Et le Ghana, lui dit-elle, tu n’as jamais eu envie d’y aller? D’aller voir les montagnes de ta famille paternelle?

– Montagnes? fait Nana, qui ne connaît que celles où on affronte un air glacial en iodlant à la mode tyrolienne.

Et encore, uniquement pour l’avoir vu à la télé.

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écrit avec les mots imposés chez Emilie: montagne – mode – ragots – radar – corbeau – iodler – boomerang – hoquet – résonance – journal – gronder – profond – glacial.

Merci Emilie!

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la photo d’illustration vient des réseaux sociaux hollandais où pour une fois on était plus en résonance avec la France et critiquait l’attitude du Premier ministre Rutte, au début de la crise, préférant les risques de « l’immunité grégaire » et la poursuite des activités économiques.

Mais pourquoi Nana veut-elle venir à Bruxelles? Pour avoir lu ceci 🙂

 

 

X c’est l’inconnu

Zaterdag 22 februari

Peut-on rire de tout, sans restrictions?

Pour la fille de Muanza, il est clair que non. Faites le test et partagez sur fb n’importe quel masque de carnaval: dans son zèle pourfendeur de toute forme de racisme ou d’exclusion, elle vous sabrera sans louvoyer.

Non, vous n’avez pas le droit de vous déguiser en « peaux-rouges », c’est insulter le « native American »!

Et en mousquetaire avec rapière et arquebuse, est-ce insultant pour les gars du Sud-Ouest?

Ou celui-là, monté sur échasses, dont la tête et même tout le torse émergent largement au-dessus de la foule, offense-t-il les nains ou les géants?

Bref, on peut avoir la vingtaine pétillante et voir le mal partout.

Peut-être, se dit Marie, devrais-je essayer de lui expliquer ce que c’est, le carnaval, même si elle est née aux Pays-Bas, et pas en Afrique?

Car il y a vraisemblablement un problème de transmission…

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texte écrit pour Olivia Billington – merci à elle! – avec les mots imposés suivants: inconnu – restriction – clair – test – transmission – masque – zèle – louvoyer – émerger – arquebuse – pétiller

source de l’image ici – le texte dit: « char carnavalesque qui tient compte des sensibilités des juifs, des musulmans, des catholiques, de la gauche, de la droite, des conservateurs et des progressistes. »

N comme nom de nom!

– Vertuchou! quelle ligne! s’exclamait un jeune moustachu à la télé et Muanza ne comprenait pas pourquoi ça faisait tellement rire Pierre.

D’ailleurs, il ne comprenait rien à ce film, où un petit type nerveux piétinait des plantes vertes et fracassait des chaises. Où d’une scène à l’autre on passait d’un décor moderne à de faramineux intérieurs fin-de-siècle. Où tout à coup les actrices se promenaient en merveilleuses robes longues, décolletées à vous donner le frisson et avec des plumes d’oiseaux dans les cheveux.

– J’ai encore beaucoup à apprendre, dit-il à Marie, en train de mixer des fraises.

Elle suspend son geste, arrête l’engin, récupère avec parcimonie le précieux coulis rose bonbon qui s’en égoutte lentement:

– Qu’est-ce qui te fait dire ça? demande-t-elle.

Mais déjà Pierre les a rejoints à la cuisine et déclare:

– Je vais remettre tous ces vieux jurons à la mode, qu’est-ce que tu en penses: mazette! tudieu! morbleu! tu ne trouves pas que ça a plus de gueule qu’un godverdomme?

C’est ainsi qu’on se persuade d’avoir été tout de même productif, un samedi de pluie, et pas seulement pour avoir fait les achats hebdomadaires 🙂

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écrit pour 13 à la douzaine avec les mots imposés suivants: 1 faramineux 2 coulis 3 parcimonie 4 pluie 5 chaise 6 suspendre 7 piétiner 8 achat 9 merveilleux 10 plante 11 mazette 12 vertuchou et le 13e pour le thème : frisson

L comme les loulous

– Je n’aime pas, dit mémé Jeanne, les hypocrites et les mielleux!

Elle ne disait pas ce mot-là, bien sûr, elle disait « zêêêm smêêêren », ceux qui te tartinent du miel.

– Si je découvre la supercherie, le simulacre, menace mémé Jeanne, c’est fini!
C’est fini, la confiance! C’est fini, l’amour!

Les plus petits, ceux qui sont encore toute transparence, même pas encore capables de camoufler le bonbon chapardé, étaient fort impressionnés.

Les plus grands, hélas, prenaient leur sourire en coin et se regardaient d’un air entendu: radotages de vieille femme, menaces en l’air, pauvres tentatives de traquer le mensonge.

Ils étaient déjà passés maîtres dans ce qu’il fallait taire – ou feindre – pour rester en grâce.

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Ecrit pour les Plumes d’Emilie – que je remercie – avec les mots imposés suivants: SUPERCHERIE – HYPOCRITE – MIELLEUX – CAMOUFLER – SIMULACRE – RADOTAGE – TRANSPARENCE – TAIRE – TRAQUER.

M comme Mémé Jeanne

Mémé Jeanne, on le sait, n’aime pas les petites natures, les « trunten« , comme elle les appelle. Un mot qu’elle aime employer, comme substantif ou comme verbe à la forme impérative négative: « Niet trunten!« .

Pour Mémé Jeanne, on n’est jamais assez spartiate et c’est tout juste si le grand-père a droit à sa petite méridienne: elle aussi, que diable! travaille toute la journée, autant ou même plus que lui, et est-ce qu’on la voit se reposer? faire la causette? Non, il me semble!

Mémé Jeanne connaît le plaisir de la douleur: la surmonter, la dépasser, en faire fi.

La porter comme un étendard.

Ne venez surtout pas lui parler d’un bras cassé, de maux de ventre, d’un accouchement difficile: elle vous surclassera, de toute façon.

D’ailleurs, c’est bien simple, les césariennes ont été inventées pour les mauviettes, c’est bien connu, n’allons pas fignoler là-dessus. 

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écrit pour Olivia Billington, que je remercie, avec les mots imposés suivants: méridienne – césarienne – douleur – fignoler – causette – spartiate – plaisir.

N comme nom d’une pub!

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– Pour fêter ta convalescence, je te fais un clafoutis aux griottes, annonce-t-elle en se ceignant de son tablier.

On était encore à l’époque de la publicité Babette je la lie, je la fouette et l’Homme vivait dans un hôtel cinq étoiles. Il trouvait ça parfaitement normal.

C’est bien sûr au moment où elle a une couche de beurre et de farine sur les mains que sonne le téléphone.

– Tu décroches? fait-elle à l’homme en essayant de surmonter le vacarme de l’électro-ménager et de la neuvième symphonie de Beethoven réunis.

Peine perdue: voilà que le chien rentre de sa promenade avec Muanza – ou est-ce le contraire – et qu’il ajoute encore sa turbulence au tableau. Ainsi que plus de trois grains de poussière… mais l’aspirateur aussi Babette en fait ce qu’elle veut.

– Tu as l’air d’aller mieux, dit Muanza à l’homme qui gît dans le canapé. Enfin, ajoute-t-il prudemment, en comparaison d’hier.

– Je risque de survivre, soupire l’Homme, qui affectionne les expressions abstruses.

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Ecrit pour 13 à la douzaine, que je remercie, avec les mots imposés suivants: 1 grain 2 téléphone 3 turbulence 4 couche 5 farine 6 publicité 7 abstrus 8 griotte 9 vacarme 10 rentrer 11 comparaison 12 étoile et le 13e pour le thème : convalescence

Photo de Chien Parfait encore tout jeunot mais déjà avec ses longs poils et pattes à poussières 🙂

J comme Joe

2019_Encres d'automne_Affiche

– Avant que j’oublie, dit mémé Jeanne, sortie en coup de vent de sa cuisine, la maison du bout du village est à vendre!

Belle-sœur numéro 4 fait la moue: elle connaît l’endroit, c’est une sorte de ferme du bout du monde, le jardin est une friche envahie par les ronces et elle n’a pas envie de passer la vie en chantier, à retaper une baraque qui finira par coûter trois fois le prix de départ.

Mémé Jeanne, bien sûr, aimerait que sa fille cadette se rapproche d’Ostende au lieu d’habiter « si loin », c’est-à-dire une heure par les routes secondaires à nids-de-poule et vitesse limitée.

Avec ses 77 ans le 23 mars prochain, maintenant comme avant, elle reste la souveraine en son domaine – la cuisine, les enfants, les petits-enfants, pour qui elle est une de ces grands-mères qui savent tout, ou en tout cas l’essentiel, comme coudre un déguisement ou mettre des papillotes à la bière dans les cheveux des petites qui se rêvent bouclées.

Marie dépose les assiettes devant chacun, sans se tromper – la part du fils aîné est toujours la plus grande et elle garde pour elle-même la plus petite, dans l’espoir d’arriver au bout du repas – le destin de Marie a toujours plus ressemblé au rôle de Marthe 😉

– Tout ce que tu vas vivre ici ce soir, glisse Marie à l’oreille de Muanza, qui ne sait pas trop ce qu’il a dans son assiette, essaie de le trouver parfaitement normal.

***

illustration et consignes chez Joe Krapov, que je remercie:

Vous insérez dix à quinze titres des romans acquis récemment par la bibliothèque dans un texte qui, tapé en caractères TNR 12, tiendra sur le recto d’une feuille 21×29,7 cm.

Voici la liste des titres proposés :

77 – A crier dons les ruines – Avant que j’oublie – Bienvenue à Korototoka  – Boréal – Ces grands-mères qui savent tout – C’est la faute du vent – C’est moi qui éteins les lumières – Comme une gazelle apprivoisée – Coup de vent – De pierre et d’os – Extérieur monde – Farallon lslands – Jeanne des falaises – Journal d’un amour perdu – La calanque de l’aviateur – La chanson de Julien – La ferme des lilas – La ferme du bout du monde – La galerie des jalousies – La légende du Pilhaouer – La maison aux têtes – La maison du bout du village – La panthère des neiges – La part du filsLa souveraine en son domaineLa vie en chantier – L’apocalypse est notre chance – L’arbre à promesses – Ici n’est plus ici – Le bal des folles – Le berceau – Le bonheur n’a pas de ride – Le ciel par-dessus le toit – Le corps d’après – Le destin de Cassandra – Le destin de Marie – Le gréement de Camaret – Le jardin – Le monde des hommes – Le prix – Le secret de la Belle-Épine – Les altruistes – Les Amazones – Les Amours d’Alfred – Les calendriers – Les chemins de promesse – Les disparus de Trégastel – Les frères Quinn – Les mille talents d’Euridice Gusmao – Les Rochefort – Les sept mariages d’Edgar et Ludmilla – Les sœurs Ferrandon – Les testaments – L’irrésistible histoire du café myrtille – L’ombre de la fauvette – Maintenant, comme avant – Miss Islande – Mur Méditerranée – Opus 77 – Par les routes – Paz – Pour l’amour de la vigne – Seules les pierres le savaient – Tous les hommes n’habitent pas le monde de la même façon – Tout ce que tu vas vivre – Trois étoiles et un meurtre – Un été d’herbes sèches – Une folie passagère – Une soupe aux herbes sauvages – Vanessa et Virginia – Vilaine blessure 

La dernière fois qu’il a été question de Muanza, c’était ici.

E comme espérance

DSCI7279

Depuis que le papier de refus est arrivé, chaque cahot sur la route les fait sursauter: ils s’attendent à recevoir un contrôle de police d’un jour à l’autre.

– C’est tout de même trop fort! grogne Marie en remuant à grands coups de fourche bêche la terre encore froide du potager. Qu’est-ce qu’il leur faut de plus, c’est une évidence que sa vie était en danger! Un œil amoché, un traumatisme crânien, ça ne leur suffit pas? Et les cicatrices dans le dos, on voit bien que ce sont de petites brûlures!

L’argile gras et luisant se décompacte difficilement. C’est une terre excellente, fertile, mais qui demande de l’huile de bras, comme disait son grand-père. Les jours fériés de mai y sont consacrés en priorité.

Le potager, Muanza, ce n’est pas son truc. La fois où il avait voulu aider, il avait laissé les ‘mauvaises herbes’ et arraché les futurs légumes.  Depuis, sa présence au jardin est purement affaire de solidarité masculine. Pierre et lui causent gentiment pendant que Marie s’échine sur les mottes récalcitrantes.

– Qu’est-ce qu’il leur faut? recommence-t-elle avec hargne. Des phlegmons purulents? Il faut sans doute mourir d’abord, pour prouver qu’on est véritablement en danger?

– Tiens, dit Pierre, je t’ai cueilli un peu de muguet, va le mettre dans un vase, tu es en train de te casser le dos, va te reposer…

Ecrit pour Olivia Billington avec les mots récoltés: excellent – férié – présence – solidarité – argile – muguet – cahot – espérance – phlegmon – évidence

R comme rester ou retourner

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Souvent Muanza est pensif.

– J’ai trente ans, dit-il. J’ai une femme, un fils. Ils sont là-bas, je suis ici. Comment savoir ce qui est le mieux pour nous? Se refaire une vie ici, attendre de pouvoir retourner là-bas…

Pierre et Marie comprennent ce combat intérieur et se gardent bien de donner des conseils. D’abord parce que c’est impossible – eux aussi connaissent la fragilité des projets humains – mais surtout parce qu’il est essentiel que Muanza prenne ses propres décisions.

– Je ne veux pas être un homme brisé. Je ne veux pas continuer à vivre de la générosité des autres. Je veux travailler, me refaire un foyer…

Il contemple le jardin, les arbres qui reverdissent à grande vitesse en ce joli printemps. Il découvre les saisons. Il a eu froid tout l’hiver. Les arbres tout noirs l’ont étonné. La neige l’a surpris et enchanté… un moment. Puis il est retourné devant les flammes du poêle.

– Est-ce que vous pourriez m’aider à faire venir Rosemund ici? dit-il finalement.

***

écrit pour Désir d’histoires d’Olivia Billington avec les mots imposés suivants:

flammebriserfragilité contemplercombatessentielgénérosité 

Photo prise sur le RaVel en ce mois d’avril 2019.