
Cet après-midi, dit l’Adrienne à sa carissima nipotina, je vais prendre le tram pour aller à Knokke.
Knokke? quelle idée! La carissima, peu lui chaut la littérature française, de toute façon elle n’aime ni la marche ni le tram, elle n’aime voyager qu’en avion ou en auto et en bonne Ostendaise elle n’aime pas Knokke.
Saint-Exupéry ou le petit Prince, ça ne lui dit rien du tout, elle a soigneusement gommé tout ce qu’elle a appris sur le sujet en secondaire pour ne retenir qu’une seule phrase: « Je ne parle pas le français ».
Souvent l’Adrienne se demande ce qui a bien pu lui faire haïr à ce point tout ce qui a rapport à cette langue et jamais elle n’est arrivée à percer ce mystère.
Bref, l’Adrienne a pris un ticket de tram, 3 € à l’aller et autant au retour, est montée en gare d’Ostende – où les lignes de tram sont en pleins travaux. Comme disait une dame, ce sera bien joli quand ce sera fait mais en attendant, c’est fort mal indiqué… en effet, les quelques voyageurs attendaient là où précisément la ligne ne partait pas.
L’Adrienne aurait dû se méfier, si ce monsieur disposait de trois places libres à côté et en face de lui, c’est parce que sous son loden vert bouteille, il y avait un taux élevé d’odeurs corporelles. Elle aussi s’est donc déplacée dès qu’elle l’a pu, ainsi que les quelques autres voyageurs qui se sont succédé à côté de lui entre les nombreuses stations.
C’est qu’il y a plus de kilomètres qu’on ne penserait et il a fallu une grosse heure pour arriver à la gare de Knokke. Terminus, tout le monde descend – sauf le monsieur en loden vert – et le soir tombe déjà. L’Adrienne ne connaît pas l’endroit et n’a pas de plan de ville. Elle ne se doutait pas que la station serait si éloignée du centre, où elle finit par arriver après l’avoir demandé trois ou quatre fois, place du Phare, juste avant la fermeture de l’office de tourisme.
Ouf! elle se saisit d’un plan des illuminations et en route vers le numéro 1 (photo ci-dessus) où elle attend vainement pendant une trentaine de minutes qu’apparaisse ce vol de canards sauvages grâce auquel le petit Prince a pu quitter sa planète. Il n’y a à voir qu’un long rayon vert et quand la voix qui récite les articles de la charte des droits de l’homme en trois langues reprend depuis le début, l’Adrienne comprend qu’il n’y aura jamais rien d’autre que ce rayon vert.
Après ça, plus rien ne peut la séduire, elle se sent flouée et termine les trois kilomètres du circuit au pas de charge, au milieu d’une foule huppée et heureuse de tenir en main de nombreux sacs et paquets de marques prestigieuses.
Retour à la gare, qu’elle retrouve presque par miracle – elle n’a dû le demander qu’une fois et encore, elle a failli ne pas croire la brave dame qui lui disait d’aller à droite alors qu’elle pensait que c’était vers la gauche – un des derniers trams attendait justement qu’elle y monte et hop! retour à Ostende.

Ostende, décembre 2018, parc Léopold