F comme foin

« J’ai toujours pensé que la beauté du monde était destinée à nous faire oublier la brièveté tragique de nos vies. […] Par exemple en nous livrant en brefs éclairs ces promesses d’éternité qui jaillissent d’un miroitement de feuilles de trembles dans le soleil, d’un tapis de coquelicots ondulant dans le velours des blés, d’une épaule de forêt appuyée contre le bleu du ciel, ou de la danse des flocons de neige papillonnant dans la nuit. […]

[Le] parfum de foin coupé m’a toujours bouleversé, et j’ai fait en sorte de ne jamais m’en éloigner, car c’est pour moi le vrai parfum du bonheur. »

Voilà, s’écrie joyeusement l’Adrienne, Christian Signol et moi, nous avons un point commun 🙂

Christian Signol, Les vrais bonheurs, Albin Michel, 2005, p.11 à 17

Info et illustration ci-dessus sur le site de l’éditeur ici.

L comme Léon

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La vie de Léon Spilliaert, né en 1881, donc 21 ans après James Ensor, présente tout de même pas mal de similitudes avec celle du grand maître qui le précède. Lui aussi naît à Ostende dans une famille de commerçants. Son père crée et vend des parfums pour lesquels dès l’enfance le petit Léon crée et dessine de jolies étiquettes et publicités. 

Dans leur ville natale, tous deux ont fréquenté la même école, qui s’en enorgueillit aujourd’hui par une belle plaque de cuivre apposée à côté de l’entrée principale. Non, je ne l’ai pas photographiée tongue-out

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Parmi les documents écrits, cette lettre de nouvel an permet d’admirer sa belle calligraphie. On comprend que le papa lui confie la rédaction de ses étiquettes de parfums cool 

En 1900, le jeune homme de 19 ans peut accompagner son père à l’Exposition universelle, à Paris. Il y reçoit sa première belle grande boîte de pastels. 

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J’y ai surtout admiré cette oeuvre que je n’avais pas encore vue, oeuvre fragile – de l’encre sur du papier – représentant une « Dame avec voile » (1903).

Avis aux amateurs: beaucoup de ses oeuvres se trouvent en photo sur wikipedia commons.

Z comme Zigzags

littérature,venise,italie,france,voyage

Si vous avez des envies de Venise, mais pas le temps ou l’argent pour y aller, lisez Théophile Gautier: 

L’humidité y est extrême ; une odeur fade, dans les chaudes journées d’été, s’élève des lagunes et des vases ; tout y est d’une malpropreté infecte. Ces beaux palais de marbre et d’or, que nous venons de décrire, sont salis par le bas d’une étrange manière ; l’antique Bucentaure lui-même, que les Français ont brûlé pour en avoir la dorure, n’était pas, s’il en faut croire les historiens, plus à l’abri de ces dégoûtantes profanations que les autres édifices publics, malgré les croix et les rispetto dont ils sont couverts. À ces palais s’accrochent, comme un pauvre au manteau d’un riche, d’ignobles masures moisies et lézardées qui penchent l’une vers l’autre, et qui, lasses d’être debout, s’épaulent familièrement aux flancs de granit de leurs voisins. Les rues (car il y a des rues à Venise, bien qu’on n’ait pas l’air de le croire) sont étroites et sombres, avec un dallage qui n’a jamais été refait. Des vieux linges et des matelas sèchent aux fenêtres […] c’est le cadavre d’une ville et rien de plus ; et je ne sais pas pourquoi les faiseurs de libretti et de barcarolles s’obstinent à nous parler de Venise comme d’une ville joyeuse et folle. La chaste épouse de la mer est bien la ville la plus ennuyeuse du monde, ses tableaux et ses palais une fois vus.

Les gondoles, dont ils font tant de belles descriptions, sont des espèces de fiacres d’eau qui ne valent guère mieux que ceux de terre.

C’est un cercueil flottant peint en noir avec une dunette fermée au milieu, un morceau de fer hérissé de cinq à six pointes à la proue et qui ne ressemble pas mal aux chevilles d’un manche de violon. Un seul homme fait marcher cette embarcation avec une rame unique qui lui sert en même temps de gouvernail. Quoique l’extérieur n’en soit pas gai, il se passe quelquefois à l’intérieur des scènes aussi réjouissantes que dans les voitures de deuil après un enterrement.

Les gondoliers sont des marins butors qui mangent des lasagnes et des macaroni, et ne chantent pas du tout de barcarolles.

Quant aux sérénades sous les balcons, aux fêtes sur l’eau, aux bals masqués, aux imbroglios d’opéra-comique, aux maris et aux tuteurs jaloux, aux duels, aux escalades, aux échelles de soie, aux grandes passions à grands coups de poignard, — cela n’existe pas plus là qu’ailleurs. 

***

texte complet ici 

Zigzags a paru en 1845 

la photo a été prise en 2006

L comme lieu

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Le Champ-du-Prince; une rue sinueuse bordée de maisons à un étage; des briques rouges et des toits de tuiles, une seule fenêtre en bas, deux à l’étage; des jardins potagers dans les espaces non bâtis; peu de garages, de nombreuses voitures garées dans la rue; des enfants à vélo, des ménagères à cabas, un chien qui aboie; deux commerces, un boucher au coin de la rue et un boulanger plus bas vers le centre ville; l’odeur du pain sorti du four, tous les jours sauf le lundi; deux salons de coiffure aux effluves suaves et les marbres froids d’un entrepreneur de pompes funèbres; les voisines sur le pas de la porte, le balai ou le torchon à la main, les vieux qui fument la pipe; le poissonnier du vendredi, le laitier du matin, le facteur, les éboueurs; le rémouleur deux fois par an; le marchand de crème glacée, de Pâques à septembre; chacun sa musique, sa sonnette, son heure, ses habitudes, ses odeurs. 

*** 

atelier d’écriture de François Bon 
hiver 2016-2017 
consigne 1

B comme bleu

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Elle est d’un bleu si modeste que certains l’appellent grise 

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Je la vois d’un bleu différent à chaque heure du jour 

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J’aime son odeur, sa musique, son écume, son sable fin 

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 J’aime quand au petit matin on distingue à peine où finit l’eau et où commence le ciel 

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J’aime quand le soir passent les nuages  

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et qu’elle est toute d’argent

L comme lecture au lard frit et aux légumes

Peu après le départ de l’homme-de-ma-vie, j’ai eu l’occasion de revoir la maison de ma grand-mère Adrienne. Elle était à vendre et si j’en avais eu la possibilité, je l’aurais achetée tout de suite: dès que j’en ai franchi le seuil, toutes ces années après, la première chose qui m’a frappée, c’était l’odeur.

La maison avait gardé le parfum de mon enfance.

Alors vous imaginez avec quelle délectation j’ai lu – que dis-je? humé, dévoré, absorbé – ce livre de Philippe Claudel, Parfums, paru chez Stock en septembre 2012.

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Délectable et merveilleux de retrouver dans ce livre tant de parfums de mon enfance. Délectable et merveilleux de voir revivre la grand-mère, le boucher du coin, la vieille maison… Quelles émotions à chaque fois!

Grand-mère achève son oeuvre en festonnant finement avec ses ciseaux noirs de couturière un peu de persil qui chute sur la viande, lui donnant une senteur d’herbe vivante, puis elle me regarde en souriant.

chapitre Ail, pages 19-20

Je monte dans les chambres (…). J’ouvre des armoires, découvre des chapeaux melon naphtalinés, des costumes de morts, (…) Les chambres, les greniers, les lieux de hauteur deviennent des thrènes murmurants tandis que la cave (…) est un poème des Enfers. J’y pénètre en tremblant (…) Les casiers qui supportent des bouteilles de vin au col gris et des conserves de légumes disparaissent de même que la voûte de pierre. (…) La caverne me lance son haleine de puits (…). Je frissonne. (…) Mon coeur, petit animal encagé, se cogne à ses barreaux de chair. La cave tente de me charmer avec son sortilège de moisissure et de salpêtre (…)

chapitre Cave, pages 45-46

(…) dans les draps frais, le sommeil est un délice car je m’enfonce dans la nuit avec en moi ce parfum de large continent que le tissu tendu s’est pénétré au plein air durant le jour et il me semble respirer, quand mon visage se pose sur le drap (…) les immensités prussienne, russe, mandchoue, mongole et sibérienne (…) Ce n’est pas seulement une odeur de linge lavé, propre, que je hume, mais bien celle d’une géographie de terre et de vent, sauvage et ample, étendue d’une infinité de contes, de fables, de chants, d’images que j’ai lus et regardés, et qui font de moi, sous les toits, dans les premiers pas du sommeil, dans ce lit tendu de ses draps nouveaux que mes grand-mère et grand-tantes ont paré jadis de fleurs, de courbes et d’arabesques avec leurs patientes aiguilles, un voyageur céleste et rassuré, un être vulnérable qui se sait pour un temps entouré et heureux.

chapitre Draps frais, page 84

Je pourrais vous recopier encore bien d’autres extraits qui semblent parler de moi: de larges passages du chapitre Ether, où un petit enfant doit subir une opération, d’autres sur l’odeur du foin, et le chapitre Munster où il me suffirait de remplacer munster par maroilles et père par mère.

Un inventaire alphabétique dans lequel probablement notre génération se reconnaîtra bien, une langue poétique, de l’émotion teintée d’humour… et le droit de tourner un peu plus rapidement ces quelques pages qui ne nous « parlent » pas (la pêche aux poissons de rivière, par exemple)

J’ai senti l’après-rasage de mon grand-père, l’odeur grasse et poussiéreuse du charbon qu’on vient de livrer, les « fumets de corps négligés » du chou cuit, le tabac de la pipe de mon arrière-grand-père, les graviers du cimetière et les bouquets aux « odeurs de mort végétale », l’odeur des églises, celle de la salle de gymnastique ou celle d’un vieux vêtement.

Tout est là. Il n’y a rien à ajouter Clin d'œil

22 odeurs que j’aime

J’aime l’odeur du foin. L’odeur de l’herbe coupée quand la pelouse est fraîchement tondue. L’odeur des arbres de la forêt. L’odeur de la terre mouillée et des feuilles mortes qu’on soulève en marchant. L’odeur du feu de bois et des différentes essences d’arbre.

J’aime l’odeur du bébé. Son odeur de propre et de savonnette. L’odeur parfois douce, parfois sûrette, quand il a un peu vomi. J’aime même l’odeur du bébé dont le lange est à changer.

J’aime l’odeur des fleurs, celles qui embaument au printemps, narcisses, muguets, lilas… Celles qui parfument nos étés, roses, lys, chèvrefeuille…

J’aime l’odeur du linge frais, le lit garni de nouveaux draps, la serviette éponge qui a séché au grand air. Je me souviens des mouchoirs délicatement parfumés de mon grand-père et du plaisir que j’avais à ouvrir le tiroir où ils étaient rangés.

J’aimais profondément l’odeur de l’homme-de-ma-vie. C’est sans doute ce qu’on appelle les phéromones Clin d'œil

J’aime l’odeur des rues de Bruxelles, à la rue Neuve les effluves des gaufres caramélisées, dans la galerie de la Reine les portes ouvertes qui exhalent leurs parfums de chocolat et dans l’îlot sacré les frites, les moules et toutes les cuisines du monde.

J’aime reconnaître chaque maison à son odeur. Il y a celles qui sentent bon. Hélas, il y a aussi celles qui sentent mauvais Langue tirée. Il y a celles qui ne sentent ni bon ni mauvais mais où on se sent mal tout de même. Je n’ai jamais aimé l’odeur de la maison de mes parents mais je me souviens avec nostalgie de l’odeur de la maison de ma grand-mère Adrienne: j’y entrais chaque fois en inspirant à pleines narines.

Jeudi il y aura 20 ans qu’elle est morte.

7 trompe-odeurs

Répandre une odeur de savonnette sur un certain monsieur que je croise plusieurs fois tous les jours dans les couloirs de l’école

Répandre une odeur de jeune fille en fleur sur une certaine collègue qui empeste la cigarette

Répandre une odeur d’authentique cave à vin dans ces chais modernes où tout est béton, aluminium et murs carrelés rutilant de propreté

Répandre une odeur de sainteté sur tous les Jean Valjean de la planète (bon 150e anniversaire, Les Misérables!)

Répandre une odeur d’embruns (de préférence avec le bruit des vagues en fond sonore) dans ma classe

Répandre une odeur de chocolat dans la maison… dans l’espoir de cesser d’y être accro.
Un ancien élève ayant travaillé tout un été dans une chocolaterie m’a dit que ce parfum constant de chocolat lui avait ôté toute envie d’en manger, alors qu’il n’avait qu’à tendre la main pour se servir.

Le trompe-odeurs, voilà l’invention du siècle!

Si j’en avais eu l’idée plus tôt, elle m’aurait aussi été utile pour répandre une bonne odeur de dentifrice dans la gueule de mon chien Langue tirée

Premières odeurs de vacances

Je sais que ce n’est encore ni l’été, ni les vacances, mais les premiers effluves annonciateurs m’en sont parvenus Sourire

D’abord, dans le pré d’à côté, il y a eu la bonne odeur de l’herbe coupée, qui s’est rapidement transformée en inégalables senteurs de foin séché (à quand le parfum de foin séché chez Dior? je crois qu’il m’irait bien ;-))

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Quelle bonne idée il a eue, le fermier-voleur-de-bois-de-frêne, de laisser l’herbe sécher sur place au lieu de l’emballer immédiatement dans des mètres de plastique blanc!

L’odeur du foin me rappelle les étés et les vacances de mon enfance: je me demande depuis combien d’années je n’ai plus vu une meule de foin dans le paysage…

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Depuis fin mai aussi, le jardin est embaumé de roses et de lavande.

Mes salades fleurent bon l’estragon.

Et moi la crème solaire n° 50 Cool

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