Dans l’agenda à couverture de cuir vert, Bosmans trouva une photo pliée en deux.
C’était celle d’une mauvaise reproduction d’un tableau aux couleurs passées, plutôt tristes, dans des tons de gris et de brun.
Il se disait qu’il avait dû voir cet escalier, ce palier, cette balustrade de métal et de bois. Tout dans cette image lui semblait familier, jusqu’aux boutons de porte en laiton. Mais le souvenir en était tellement diffus que même l’adresse griffonnée au crayon au dos du cliché ne lui rappelait rien. Rue de Lille, 48.
Était-il jamais allé rue de Lille? Martine Hayward avait-elle habité ce genre d’appartement? Confondait-il avec celui du quai de Conti, où il avait rencontré Maurice Sachs?
C’est au Cabaret Vert, Après les tourbillons de la nuit Qu’il est entré ce matin. Les semelles déchirées. Il a trébuché sur les pavés Et en entendant l’alouette A repensé aux chimères de la veille.
C’est avec un clin d’œil Que la serveuse lui apporte son absinthe Et dans le miroir devant lui Il peut aussi l’admirer de dos Même s’il préfère le devant.
Passent les jours, passent les semaines, Il garde le secret espoir De réussir à passer de la fée verte au thé Vert
cabaret
pavé
Clin d’oeil
espoir
tourbillon
alouette
miroir
secret
matin
chimère
semaine
thé
Même consigne que celle-ci, donc toujours chez Joe Krapov, que je ne saurais assez remercier de les partager!
Sans doute que pour apprécier la parodie, il faut comme l’Adrienne avoir regardé des tas de Christmasmovies mais tout, tout ce qui vous irrite – si vous en regardez parfois – se trouve compressé dans les trois minutes que devraient normalement durer ces films, vu la minceur du scénario 😉
La jeune femme partie faire carrière dans la big city rentre pour Noël dans la petite ville qu’elle a quittée depuis longtemps et où elle retourne le moins possible. Elle doit évidemment travailler même on Christmas Eve mais va tomber pile poil sur son amour de jeunesse. « Tomber sur » et « renverser du café sur » sont des ingrédients indispensables à la rencontre. Le jeune homme idéal, par hasard resté célibataire comme elle, qui s’est sacrifié à sa famille when mom got sick et à sa patrie en rejoignant les marines, après avoir raté une prometteuse carrière sportive pour cause de genou pété. Qui bien sûr a un boulot qui les obligera à passer du temps ensemble. Ils retomberont évidemment dans les bras l’un de l’autre. Le grand gagnant à la fin de ce genre de film est toujours le petit patelin – appelé ici Ho ho ho merry christmastown – qui l’emporte sur la big city.
Bref, du beau travail et les acteurs réussissent à faire une parodie qui est moins dans le overacting que les originaux (si on peut les appeler ainsi).
Pour ceux qui aiment ça, la lecture des commentaires sous la vidéo est réjouissante, comme celui-ci: « Don’t forget the fresh tree they got from the tree lot that magically turned into a fake tree once they got it in the house« .
« Fake » étant le mot clé de toute cette affaire 🙂
Bosmans s’était souvenu qu’un mot, Rodenbach, revenait dans la conversation.
Rodenbach. Ce nom attirerait peut-être à lui d’autres noms, comme un aimant. Des images, aussi. Même s’il n’avait qu’une seule photo de cette époque, un cliché fort abîmé, en noir et blanc, aux bords dentelés. Il datait de juste après la guerre, au dos quelqu’un avait inscrit au crayon ‘1947’.
À la sortie de Rodenbach, un tournant, puis une route étroite, bordée d’arbres. Ils devaient avoir bien grandi, depuis tout ce temps. Ou peut-être avaient-ils été abattus. Pour élargir la route. C’était probable.
Un début d’après-midi, Bosmans décida de sonner à la porte de l’appartement de Camille. Il voulait lui demander si elle avait gardé quelque chose de cette époque. Un quelconque document, qui lui permettrait d’avancer dans ses recherches.
Dans la rue, il déplia le papier qu’elle lui avait tendu. Il y était écrit : Kim 288.15.28. Qu’est-ce qui lui avait pris de téléphoner à cette gamine qui n’avait jamais entendu parler de lui !
Il accompagna encore deux ou trois fois Camille à ses rendez-vous de Saint-Lazare avec Michel de Gama. Ce type lui semblait de plus en plus louche, sans qu’il fût capable d’expliquer clairement pourquoi.
Il était impossible à Bosmans, après plus de cinquante ans, d’établir la chronologie précise de ces deux événements du passé : comment était-il arrivé à Rodenbach ? Avec qui, puisqu’il n’était qu’un enfant? Et comment s’était faite la rencontre avec la mère de Camille ? Était-ce une amie de sa propre mère ? Camille ne le savait pas non plus et s’en moquait totalement.
Michel de Gama, était-ce le même homme que ce Guy Vincent qui lui avait offert un verre au bar de l’hôtel Chatham ? Qui lui avait fait rencontrer Martine Hayward à l’Auberge du Moulin-de-Vert-Cœur, près de Chevreuse ? Était-ce sa tante qui habitait la maison de la rue du Docteur-Kurzenne ? Celle qui avait vécu un temps avec René-Marco Heriford dans un appartement à Auteuil ? AUTEUIL 15.28, il se souvenait bêtement de ce numéro sans pouvoir vérifier s’il était correct. Sans qu’il fût utile à son enquête. Et qui était Rose-Marie Krawell ? Quel rôle avait-elle joué là-dedans ?
À certains moments de la journée, il en riait lui-même, de passer tout son temps à un tel imbroglio, et dressait une liste de titres de romans qui traduisaient son état d’esprit : – Le Retour des fantômes – Les Mystères de l’hôtel Chatham – La Maison hantée de la rue du Docteur-Kurzenne – Auteuil 15.28 – Les Rendez-vous de Saint-Lazare – Le Bureau de Guy Vincent – La Vie secrète de René-Marco Heriford
Dans l’agenda à la couverture de cuir vert que Camille lui avait remis, cet agenda dont on ne pouvait pas savoir l’année, la plupart des pages étaient blanches. Encore une piste qui tournait court, il allait devoir s’en faire une raison.
Il s’en retourna lentement chez lui en passant à pied sous le périphérique. Un avion glissait en silence dans le bleu du ciel et laissait derrière lui une traînée blanche, mais on ne savait pas s’il s’était perdu, s’il venait du passé ou bien s’il y retournait.
Je ne veux bien sûr pas arrêter le progrès, Je ne veux me passer d’un repasse-limaces, Mais je veux imiter d’un Pétrarque la grâce, Ou la voix d’un Ronsard, pour chanter mes regrets.
Comme ceux au tableau bien écrits à la craie, Permettant d’effacer leurs plus grandes audaces : Moi, qui suis agitée d’une fureur plus basse, Je n’entre si avant en si profonds secrets.
Les moules à tartelettes, appareils à raclette, Calculettes à boulettes ou four bouffe-galettes, Sans rechercher ailleurs plus graves arguments,
Aujourd’hui, c’est décidé, je m’en délivre Au lieu de m’aider, ils m’empêchent de vivre: Non, je n’ai plus besoin de tous ces instruments.
***
Merci à Lilousoleil qui proposait pour le 20 de ce mois raclette et regret.
Le texte est un pastiche du Sonnet IV de Du Bellay (Les Regrets, 1558, à lire en ligne ici.)
Tout était en l’air au château de M**l*ns*rt. Dupont et Dupond, le capitaine et Tintin, allaient et venaient, montaient et descendaient l’escalier, couraient dans les corridors, heurtaient, Nestor, dérangeaient le professeur Tournesol, cherchaient Milou. Bianca Castafiore et Irma soupiraient devant toute cette agitation, qu’elles ne partageaient pas, habituées qu’elles étaient aux séances d’habillage, de maquillage et à l’effervescence des plateaux de cinéma; elles étaient assises dans un salon qui donnait sur le chemin d’arrivée et pouvaient voir que chevaux, calèches et figurants étaient déjà en place.
De minute en minute, Tintin ou un de ses amis passait la tête à la porte et demandait :
« Eh bien ! toujours pas de nouvelles de Milou ?
– Rien de ce côté, répondait le Rossignol milanais sans même regarder.
Elle était plongée dans un magazine, assez satisfaite de la façon dont le journaliste avait repris ses mots sur l’art et le travail: mon travail, c’est de l’art, lui avait-elle dit, et la rédaction avait choisi de mettre cette petite phrase en gros titre, accompagné d’une photo de son meilleur profil.
Oui, elle était satisfaite.
Finalement, le seul à n’avoir pas été à la hauteur, c’était son violoncelliste.
Mais elle en avait l’habitude.
***
écrit d’après la consignes de Joe Krapov, Problèmes. Merci à lui!
Les fans de la Comtesse auront reconnu l’incipit des Vacances, le livre préféré de l’Adrienne quand elle avait onze ans 🙂
« Il faut être absolument moderne! » s’écria-t-il. Et joignant le geste à la parole, il prit la plume et écrivit:
Depui ui jour, j’avé déchiré mè botine O cayou dè chemin. J’antré a Charlerwa – O Cabarè Vèr: je demandé dè tartine Du beur é du janbon ki fu a mwatyé frwa.
« Pas mal! Pas mal du tout! Et absolument moderne! » fit-il, content de lui. Donc il continua:
Byieneureu, j’alongé lè janb sou la table Verte: je contanplé lè sujè trè nayif De la tapiseri. – Et se fu adorable, Kan la fiy o téton énorm, o zyeu vif,
Il hésita un peu sur le ‘byieneureu’ mais se dit que de toute façon, la poésie était pour les ‘happy few‘, alors il poursuivit en tirant la langue – il n’avait que seize ans, après tout:
– Cèl-là, se nè pa un bézé ki l’épeur – Ryeuze, m’aporta dè tartine de beur, Du janbon tièd, dan zun pla coloryé,
Il commençait à bien maîtriser son orthographe moderne et c’est d’une plume jubilatoire qu’il traça le dernier tercet:
Du janbon roz é blan parfumé d’une gous D’ay, – é m’anpli la chop imans, avèk sa mous Ke dorè un rèyon de soley aryéré.
***
écrit suivant les consignes de Joe Krapov – who else? 🙂
Puisque tu ne veux plus vivre brisée broyée brassée par les cailloux que tu as fini le livre puisque nous vivons
puisque tu ne veux plus te battre contre les démons les fantômes les masques cramoisis la vie grisâtre puisque nous nous battons
puisque tu vois les vautours qui s’envolent assassinant le ciel de leur cou décharné ceux qui donnent des gnons et des torgnoles puisque nous ne les voyons pas
puisque tu n’approuves pas les enfants que l’on arrache le carcan qui sertit le cou du prisonnier les coups de pied au cul et les coups de cravache puisque nous approuvons
puisque tu n’admets pas le pauvre et le riche et le mal et le bien et l’aumône et le poing le fort sur son trône et le faible dans sa niche puisque nous admettons
puisque tu n’acclames pas les meilleurs et les pires les singes chamarrés les chiens qui font le beau les hyènes les chacals les chameaux et les sbires puisque nous acclamons
puisque tu ne tolères pas le bon dans la mélasse l’enfer le feu la guerre la prison les malheurs éternels l’imbécillité crasse puisque nous tolérons
puisque tu dis non aux misères des hommes tu as fermé le livre un beau samedi d’avril
-J’en ai assez! C’est fini! Je te quitte! hurla Cendrillon en fracassant un cendrier de cristal aux pieds de son prince de moins en moins charmant.
Mais il ne fit qu’en rire et n’abaissa même pas le journal qu’il était en train de lire:
– Tiens! fit-il, dans ce cas, voici une petite annonce qui va sûrement t’intéresser:
« Famille de sept personnes de petite taille recherche technicienne de surface. »
***
texte inspiré par les consignes de Joe Krapov qui propose d’écrire « La Gazette du pays des contes, légendes, mythes et fables » composée de toutes les rubriques d’un vrai journal. J’ai donc écrit une offre d’emploi 🙂