J’ai trois souvenirs d’école. Le premier est le plus flou : c’est dans la cave de l’école. Nous nous bousculons. On nous fait essayer des masques à gaz : les gros yeux de mica, le truc qui pendouille par-devant, l’odeur écœurante du caoutchouc.
Georges Perec, W ou le souvenir d’enfance, Denoël, 1975.
J’ai trois souvenirs d’école maternelle.
J’ai trois souvenirs de l’école maternelle. Non, j’en ai quatre. Et tous sont reliés à un sentiment très fort.
Le premier, c’est la crainte. Nous étions tous réunis dans la grande salle de jeux, en rangs par classe, et sœur (comment s’appelait-elle, encore ? j’avais très peur d’elle… ), sœur Josiane se mettait au piano et nous faisait chanter. Elle avait l’air si sévère que je ne pouvais qu’ouvrir et fermer la bouche comme les autres, même si parfois aucun son n’en sortait : je craignais que sa toute-puissance ne se rende compte que je ne chantais pas.
Le second, c’est l’amour. Le mot n’est pas trop fort, même si on n’a que quatre ans. Mon meilleur ami s’appelait Xavier. Je n’étais pas amie avec les filles, allez savoir pourquoi je me méfiais d’elles. Pourtant, j’avais fait une tentative d’approche auprès de celle qui, dès la première primaire, deviendrait une amie pour la vie. A l’école primaire, il n’y avait plus de garçons. Xavier me faisait rire et cherchait toujours à m’épater. Comme le jour où, malgré l’interdiction de la maîtresse, il avait arraché une stalactite de glace et l’avait léchée.
Mon troisième, c’est la honte. Ça se passe dans la cour de récré. On joue à un jeu qui consiste à courir derrière quelqu’un pour l’attraper. Sœur Josiane a interdit qu’on passe par un certain endroit où il y a une flaque d’eau. Et moi, l’enfant douce et obéissante, poursuivie par Xavier qui court plus vite, je ne vois d’autre issue que de sauter par-dessus la flaque pour lui échapper. Bien sûr, sœur Josiane l’a vu : j’ai donc connu la honte de devoir rester debout au milieu de la cour avec les mains au-dessus de la tête, jusqu’à la fin de la récréation.
Enfin, la fierté… et l’étonnement. En troisième maternelle, j’avais été très inspirée pour réaliser un dessin qui devait illustrer des vacances à la montagne. Je n’avais jamais vu de montagne mais ça ne m’a pas empêchée de réaliser une œuvre que l’institutrice a jugée digne d’éloges. Et moi, la petite timide, elle m’a envoyée dans le couloir avec l’ordre d’aller montrer mon dessin à ses collègues, dans leur classe. Me voilà donc frappant à la porte de la terrible sœur Josiane. Je lui explique d’une petite voix ce qui m’amène chez elle. Elle observe mon dessin puis déclare :
– Il est vraiment très beau ! Mais je ne suis pas étonnée, ton papa aussi sait très bien dessiner.
L’étonnée, ce fut moi : jusqu’à aujourd’hui je n’ai toujours pas réussi à savoir d’où elle tenait sa connaissance des talents picturaux de mon père. Ni lui, d’ailleurs.
photo prise par Elvan, une de mes anciennes élèves, dans le jardin qui sépare l’école maternelle, primaire et secondaire.