Y comme Y a plus qu’à

Madame était de service à l’accueil de l’expo dans les locaux de l’académie quand J*** est arrivée.

– Si ça ne vous dérange pas, fait-elle, je viens me repérer, je prévois un shooting photo ici, avec une amie qui est enceinte…
– Pas de problème, répond Madame, prends ton temps! Et puis, tu connais les lieux!

J*** est trentenaire aujourd’hui mais était déjà pianiste virtuose à seize ans.
A un de ces « bals des anciens élèves » que Madame a organisés, c’est J*** qui avait fait apporter son piano à queue et qui avait joué toute la soirée, enchaînant morceaux connus et improvisations.

– C’est terrible! dit-elle encore, en ce moment je suis bombardée de copines enceintes.

Terrible, parce que vu qu’elle a plus de trente ans, elle est surtout « bombardée » de questions et de pressions diverses: elle n’a pas de petit ami et pas de projet de bébé.

– Je comprends, dit Madame.

Puis elles ont parlé de musique, de piano.

– Je vois que vous avez arrêté, dit-elle à Madame.
– C’est vrai! Mais l’envie est toujours là! Même si je devrai reprendre à zéro!
– Y a plus qu’à vous couper les ongles 🙂

Parce que c’est à ses longs ongles, bien sûr, qu’on voit que Madame ne fait plus de piano

***

Photo de l’époque d’un de ces bals: les demoiselles qui ont mis leurs plus fins souliers ont eu bien mal aux pieds 🙂

L comme Liszt

– Ce piano, explique-t-il en montrant le Carl Bechstein Konzertflügel de 1870, un des nombreux instruments de sa vaste collection, ce piano ne peut être comparé à aucun instrument moderne, qui ressemblent tous à des produits ikea.

Oui, il a dit ikea 😉

Pourquoi?

Par exemple, parce que tous les bois sont « séchés » en quelques minutes dans des machines qui ne les sèchent pas à cœur et que tous les fabricants de pianos ne trouvent la « matière première » que chez deux fournisseurs au monde, de sorte que tous ont à peu près la même qualité, le même son.

Voilà qui a fait plaisir à l’Adrienne, qui trouvait déjà fort excessif d’avoir à débourser mille euros pour son Roland 😉

– Celui-ci, poursuit-il, c’est une qualité comme on n’en fait plus. Un jour qu’on l’a transporté de Belgique au Portugal, par camion, en plein hiver, l’accordeur qui l’attendait à Lisbonne a cru qu’on avait voulu se moquer de lui. « Vous me faites venir pour accorder un piano mais il n’y a rien à accorder! Le son est parfait! Vous vouliez tester mes compétences, c’est ça? » Il a fallu lui expliquer qu’en effet, ce piano ne « bougeait » pas malgré le transport. Une perfection de son.

Bref, le concert était instructif, le lieu enchanteur et l’Adrienne fort heureuse que de grands musiciens veuillent se produire dans sa petite ville 🙂

C comme cadeau

Madame! fait-il en posant sur la table son sac troué d’où sort un coin de son épais classeur, je vous ai fait un dessin!
– Oho! fait Madame, en voilà un beau cadeau!
– Mais il n’est pas encore terminé, je dois encore le colorier.

En effet, il est encore en noir et blanc, et très géométrique: de grandes lettres tracées à la latte, avec le nom de la destinataire, deux cadres pour le texte de remerciement et un rectangle sur pattes qui s’appelle Roland.

Car petit Léon, qui vient depuis un peu plus d’un an, n’a que tout récemment découvert ce machin blanc dans le bureau de Madame:

– Oh! vous avez un piano?

Et depuis ce jour-là, après les triangles obtusangles et les trapèzes isocèles, petit Léon pianote.

– C’est beau? demande-t-il après avoir « improvisé ».

Et Madame, bien sûr, trouve tout magnifique.

H comme humeur

Quand dimanche dernier Monsieur Nouveau Voisin a repris dès le matin sa scie, sa perceuse et son marteau pour la huitième journée consécutive – à quoi peut-il bien les utiliser dans une maison qui vient d’être refaite à neuf de bas en haut, on se le demande – bref dimanche dernier donc, l’Adrienne a décidé d’être d’une bonne humeur INOXYDABLE.

Alors elle s’est coupé les ongles et a ouvert son piano.

Après presque un an, oui oui.

Ce qui fait qu’il a fallu recommencer par les toutes premières leçons, les toutes petites pièces d’il y a quatre ans.

Mais c’était chouette 🙂

***

Tania reconnaîtra le somptueux piano, qui ne ressemble en rien au petit Roland blanc de l’Adrienne 😉

I comme Il était temps!

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Il était temps que quelqu’un vienne en visite, se dit l’Adrienne en sortant l’échelle pour atteindre le haut des armoires.

Depuis le confinement, plus personne n’avait mis les pieds chez elle.
Sauf dehors, sur la mini-terrasse.
Sauf E***.
Ou le petit Léon.
Ou l’ami Philippe.
Mais avec eux on ne courait pas grand risque qu’ils voient la poussière sur les boîtes de rangement.

L’Adrienne, quand il s’agit de ménage, agit souvent comme ces élèves qui prétendent étudier plus efficacement dans la précipitation de l’urgence, en dernière minute. Qu’alors ils réussissent en un éclair à faire ce qui leur prend normalement des heures. Qu’alors rien ne vient ralentir leur rythme de travail.

Bref, jeudi l’Adrienne a fait le ménage à fond et avec diligence parce qu’une ancienne élève s’annonçait pour le lendemain.

Et tout comme à la lointaine époque où elle « faisait les poussières » dans la maison de son enfance et que sa mère contrôlait le travail d’un doigt avisé – le mal est sans remède – cette fois elle avait oublié de passer le chiffon sur les pédales du piano.

***

écrit pour Les Plumes d’Émilie – merci Émilie! – avec les douze mots imposés suivants: précipitation – pied – éclair – boîte – courir – pédale – temps – diligence – minute – risquer – ralentir – remède.

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Par contre dans sa classe Madame faisait le ménage matin et soir 😉

V comme valse viennoise

Pour terminer ce mois de janvier comme on l’a commencé – puisqu’il paraît que la retransmission du concert de nouvel an à Vienne est l’émission faisant partie des records mondiaux d’audience, près de cent millions de téléspectateurs, selon la presse – voici un cartoon sans dynamite 🙂

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addendum: Wikisaitout, sur base d’un article de l’Express, nous fait savoir que le mariage du prince William et de Catherine Middleton, en 2011, a été suivi par 2 milliards de personnes dans le monde – selon le gouvernement britannique – et serait donc ainsi le record absolu d’audience jusqu’à aujourd’hui, dépassant largement les 700 millions de fans du Mondial de foot.

Panem et circenses, vous dites?

😉 

 

R comme Renoir

Mini-Adrienne passe huit jours à l’hôpital et reçoit des visites.
Chacun lui apporte une babiole pour laquelle elle remercie poliment.
Chaque fois elle espère en vain que ce sera un livre.

Le cadeau dont elle se souvient le mieux, c’est celui de Catherine, qui vivait avec sa grand-mère dans un magasin d’articles de décoration.
C’était un petit cadre d’à peine dix centimètres entourant un carré de soie sur laquelle étaient peintes les deux jeunes filles de Renoir au piano.

– Que c’est joli! que c’est fin! s’exclame sa mère.

Mais mini-Adrienne aurait préféré que la grand-mère de Catherine soit libraire 🙂

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tableau de Renoir et consignes chez Lali, que je remercie!

Le bilan du 20

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L’idée de faire des billets ‘typologie de profs’ (1) semblait intéressante mais la chose n’a finalement pas vu le jour: chaque caractère a sa part de flou et le risque de tomber dans la caricature est trop grand.

De plus, une tendresse certaine unit l’Adrienne à ce corps de métier qui souffre déjà bien assez de burn-out sans qu’elle s’en mêle.

Mais que pensez-vous de celui qui a le don de vous faire sentir une pauvre cloche:

– Et comment tu t’y prends, pour étudier ce morceau? demande Kristof, prof d’accompagnement (piano classique)

Voilà la question piège, se dit l’Adrienne, fais gaffe de donner la bonne réponse.
Elle le connaît déjà un peu, le Kristof, il est du genre irascible 😉

– J’exerce d’abord la main droite, puis la gauche, puis les deux ensemble, répond-elle en serinant ce que ses deux profs de piano lui répètent depuis un peu plus de trois ans.

Mal lui en a pris, le prof a explosé en invectives et a assommé cette pauvre Adrienne, qui a fini par être au bord des larmes, essayant de tenir le coup jusqu’à ce qu’il lâche prise.

– C’est quoi, ça pour une méthode débile? Est-ce qu’on apprend à rouler en auto à une main? est-ce qu’on apprend à rouler à vélo avec un pied? est-ce qu’on apprend à lire avec un œil?

– Ce n’est pas moi qu’il faut enguirlander, a protesté faiblement l’Adrienne, parlez-en plutôt à vos collègues, c’est eux qui préconisent cette méthode.

Combien de fois, en effet, l’Adrienne s’est-elle entendu dire qu’elle était toujours trop pressée d’exercer les deux mains à la fois! Mais il était sur sa volée et a continué sans décolérer…

Bref, la semaine suivante elle a décommandé le cours et lundi dernier, après mûre réflexion, elle est allée trouver Nora, l’ancienne élève qui travaille au secrétariat:

– Est-il trop tard pour effectuer un changement dans mon programme?

Non, c’est toujours possible.

Dès le premier jeudi de 2020 l’Adrienne suivra des cours de chant chez Kato, une autre ancienne élève.

N’est-ce pas que la vie est belle, parfois 😉

***

(1) je n’en ai fait que deux, le prof prévoyant et la prof chichiteuse 😉

Tania reconnaîtra la photo du piano, puisque nous avons visité cette magnifique maison bruxelloise ensemble 🙂

Ecrit avec les mots récoltés par Olivia Billington, que je remercie: flou – caractère – tendresse – burn out – lâcher – cloche – enguirlander

Question musicale

De samedi matin à vendredi soir, ça fait sept jours pleins que l’Adrienne se demande ce qu’elle pourrait bien raconter sur les troubadours sans faire un cours d’histoire littéraire.

Alors il s’est passé exactement la même chose que dans la conversation qu’elle a eue, l’autre jeudi, avec son prof d’accompagnement musical:

– Qu’est-ce que tu aimes, comme chansons? demande-t-il, dans le but de trouver des musiques sur lesquelles s’exercer à faire des arrangements.

– Euh…, fait l’Adrienne, qui se met à réfléchir à toute vitesse sans réussir à rien sortir.

La ci darem la mano, est-ce que ça compte comme chanson?
Ou Voi che sapete che cosa è l’amor?
Non, bien sûr, ce n’était pas la question.

– Brel, peut-être? propose le prof, qui a visiblement fait l’effort de trouver un nom adapté au grand âge de l’Adrienne 😉

– Ah oui! fait-elle, soulagée, Brel, Brassens…

Là, c’est au tour du prof de sécher. On ne peut pas lui en vouloir. D’abord parce qu’il est jeune et ensuite parce que pour connaître Brassens, il faut avoir baigné dans la culture française. Ce n’est pas son cas.

– Vous savez, dit l’Adrienne pour s’excuser, déjà à seize ans je n’étais pas normale, je préférais Mozart aux vedettes du moment. Je ne connaissais aucun des groupes que mes copines aimaient…

Il n’a plus rien trouvé à dire, le pauvre.

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écrit pour le Défi du samedi n° 581 – thème: troubadour – merci Walrus!