Le vent passe en les branches mortes Comme ma pensée en les livres, Et je suis là, sans voix, sans rien, Et ma chambre s’emplit de ma fenêtre ouverte.
En promenades, en repos, en regards Pour de l’ombre ou de la lumière Ma vie s’en va, avec celle des autres.
Le soir vient, sans voix, sans rien. Je reste là, me cherchant un désir, un plaisir ; Et, vain, je n’ai qu’à m’étonner d’avoir eu à subir Ma douleur, comme un peu de soleil dans l’eau froide.
L’automne très clément permet d’organiser la table de lecture au jardin de l’association quart-monde.
Pour des raisons que nous ne nous expliquons pas, nous ne sommes plus que trois ou quatre à venir depuis que l’activité a repris, au bout de tant de mois de pandémie.
Annie est en dépression, Maxim en train de devenir une vedette de la télé ;-), Marleen prise ailleurs, etc.
Agnès propose l’histoire Kleine koning December, pour la simple raison que c’est à cette page-là que le livre s’ouvre.
– ça ne fait que deux pages, dit Nadine, n’est-ce pas trop peu?
Mais nous décidons que nous en profiterons pour bavarder. Agnès a apporté des cookies aux pépites de chocolat et Nathalie une thermos de café.
Après la lecture, Agnès est déçue:
– C’est une histoire pour les petits enfants! fait-elle.
Pourtant, même s’il y a des éléments de conte, ça ne manque pas de sujets de réflexion sur la vie, son début et sa fin, et tout l’apprentissage nécessaire entre les deux.
Mais ça n’intéresse pas Agnès, qui a 78 ans et commence à se sentir physiquement moins forte qu’autrefois. Elle l’a senti le matin même, en étendant son linge, précise-t-elle 😉
– Lis le poème, ordonne-t-elle à Nadine.
Et celui-là, elle l’a bien aimé. L’Adrienne aussi.
– ça me fait très fort penser à ma grand-mère, dit-elle.
Ce qui n’étonne sans doute personne autour de la table, vu qu’elle évoque sa grand-mère à peu près chaque fois 😉
Le poème, le voici, pour ceux qui comprennent le néerlandais 😉
Thuiskomst
Zo gaat het al jaren
Zij aan de tafel met de armen gekruist als wil ze iets wiegen dat zich niet troosten laat
en een klein meisje op een stoel dat lacht en limonade drinkt maar benen heeft tot aan de grond
Zij is nog steeds mijn oma terwijl ik overal vrouw ben moeten worden – behalve hier bedoel ik dus –
Dan verklapt ze dat ze oud is geworden vraagt wanneer dat was
of ik beter heb opgelet
Caroline Wuyts, in Ik heb jouw zee van tijd, éd. DiVers, 2000
Thuiskomst peut se traduire par ‘le retour à la maison, rentrer chez soi’.
C’est ainsi depuis des années
Elle, à table, les bras croisés, comme pour bercer quelque chose qui ne se laisse pas consoler
et une petite fille sur une chaise qui rit et boit de la limonade mais a des jambes jusqu’à terre
Elle est toujours ma grand-mère alors que partout j’ai dû devenir femme – sauf ici, je veux dire –
Puis elle confie qu’elle a vieilli demande quand c’est arrivé
et si j’ai fait plus attention
Caroline Wuyts, in Ik heb jouw zee van tijd, éd. DiVers, 2000 – traduction de l’Adrienne.
Ni stupeur ni tremblements – même si les sujets n’en manquent pas, comme chacun sait – mais de l’émerveillement et de la gratitude pour les roses de septembre et pour cet être humain d’exception qu’était Julos Beaucarne. Puisqu’il faut désormais parler de lui au passé.
Mini-Adrienne n’avait qu’une dizaine d’années, ne connaissait de Victor Hugo qu’Après la bataille, que son grand-père avait appris lors de « ses années d’université », comme il disait par plaisanterie, dans un village wallon tout proche, alors que les écoles primaires flamandes de la ville étaient fermées par les Allemands, pendant la guerre de 14-18. Il le récitait encore par cœur cinquante ans plus tard.
Elle ne connaissait pas non plus Julos Beaucarne. Mais elle a tout de suite adoré cette chanson:
Photo prise à Alden-Biesen le week-end dernier, le jour de sa mort.
Il a mis le café Dans la tasse Il a mis le lait Dans la tasse de café Il a mis le sucre Dans le café au lait Avec la petite cuiller Il a tourné Il a bu le café au lait Et il a reposé la tasse Sans me parler Il a allumé Une cigarette Il a fait des ronds Avec la fumée Il a mis les cendres Dans le cendrier Sans me parler Sans me regarder Il s’est levé Il a mis Son chapeau sur sa tête Il a mis Son manteau de pluie Parce qu’il pleuvait Et il est parti Sous la pluie Sans une parole Sans me regarder Et moi j’ai pris Ma tête dans ma main Et j’ai pleuré.
Jacques Prévert, Déjeuner du matin, in Paroles, 1946
***
Merci à Monsieur le Goût pour le tableau et la consigne:
Je ne veux bien sûr pas arrêter le progrès, Je ne veux me passer d’un repasse-limaces, Mais je veux imiter d’un Pétrarque la grâce, Ou la voix d’un Ronsard, pour chanter mes regrets.
Comme ceux au tableau bien écrits à la craie, Permettant d’effacer leurs plus grandes audaces : Moi, qui suis agitée d’une fureur plus basse, Je n’entre si avant en si profonds secrets.
Les moules à tartelettes, appareils à raclette, Calculettes à boulettes ou four bouffe-galettes, Sans rechercher ailleurs plus graves arguments,
Aujourd’hui, c’est décidé, je m’en délivre Au lieu de m’aider, ils m’empêchent de vivre: Non, je n’ai plus besoin de tous ces instruments.
***
Merci à Lilousoleil qui proposait pour le 20 de ce mois raclette et regret.
Le texte est un pastiche du Sonnet IV de Du Bellay (Les Regrets, 1558, à lire en ligne ici.)
Qu’attendons-nous, rassemblés sur l’agora? On dit que les Barbares seront là aujourd’hui.
Pourquoi cette léthargie, au Sénat? Pourquoi les sénateurs restent-ils sans légiférer?
Parce que les Barbares seront là aujourd’hui. À quoi bon faire des lois à présent? Ce sont les Barbares qui bientôt les feront.
Pourquoi notre empereur s’est-il levé si tôt? Pourquoi se tient-il devant la plus grande porte de la ville, solennel, assis sur son trône, coiffé de sa couronne?
Parce que les Barbares seront là aujourd’hui et que notre empereur attend d’accueillir leur chef. Il a même préparé un parchemin à lui remettre, où sont conférés nombreux titres et nombreuses dignités.
Pourquoi nos deux consuls et nos préteurs sont-ils sortis aujourd’hui, vêtus de leurs toges rouges et brodées? Pourquoi ces bracelets sertis d’améthystes, ces bagues où étincellent des émeraudes polies? Pourquoi aujourd’hui ces cannes précieuses finement ciselées d’or et d’argent?
Parce que les Barbares seront là aujourd’hui et que pareilles choses éblouissent les Barbares.
Pourquoi nos habiles rhéteurs ne viennent-ils pas à l’ordinaire prononcer leurs discours et dire leurs mots?
Parce que les Barbares seront là aujourd’hui et que l’éloquence et les harangues les ennuient.
Pourquoi ce trouble, cette subite inquiétude? – Comme les visages sont graves! Pourquoi places et rues si vite désertées? Pourquoi chacun repart-il chez lui le visage soucieux?
Parce que la nuit est tombée et que les Barbares ne sont pas venus et certains qui arrivent des frontières disent qu’il n’y a plus de Barbares.
Mais alors, qu’allons-nous devenir sans les Barbares? Ces gens étaient en somme une solution.
Konstantinos Kavafis
Traduction du grec: Marguerite Yourcenar et Constantin Dimaras Source ici
Il y a des lieux où je ne peux plus passer sans sourire. Un jour on y a raconté une blague, volé un baiser, eu une première idée. A hauteur de mon oreille, par exemple, une nuit tu m’as promis que l’éternité est un mensonge, mais que ce n’était pas une raison pour qu’entre nous ça dure moins longtemps. Il n’a pas fallu plus de mots – une bouche qui parle est belle par elle-même et la peau a une mémoire. Tu restes proche de mon cou, mon nombril, le creux de mon genou, pour toujours. Je ne peux aller nulle part sans sourire.
Bart Moeyaert, traduction de l’Adrienne
Eeuwigheid
Er zijn plekken waar ik zonder glimlach niet meer langs kan. Ooit is daar een grap verteld, een kus geroofd, iets voor het eerst gedacht. Ter hoogte van mijn oor, bijvoorbeeld, heb jij me op een nacht beloofd dat eeuwigheid een leugen is, maar dat het daarom tussen ons niet minder lang gaat duren. Meer woorden waren er niet nodig – een mond spreekt van zichzelf al mooi en huid heeft een geheugen. Jij blijft mijn hals, mijn navel, mijn holte van mijn knie voor altijd bij. Zonder glimlach kan ik aan geen plek voorbij.
Deux éléments conjugués ont fait que les lectures avec l’association quart monde ont pu reprendre: l’assouplissement des mesures le 9 mai dernier et le temps estival, puisque les lectures doivent avoir lieu en plein air. Avec dix personnes maximum.
Au deuxième rendez-vous du petit groupe, c’est Nadine qui avait choisi le texte, une nouvelle de Tchekhov, Le Pari.
Comme il s’agissait de lecture, le choix du poème pour clore l’avant-midi était celui-ci:
Onvervreemdbaar
Dit wordt ons niet ontnomen: lezen en ademloos het blad omslaan, ver van de dagelijksheid vandaan. Die lezen mogen eenzaam wezen.
Zij waren het van kind af aan.
Hen wenkt een wereld waar de groten, de tijdelozen, voortbestaan. Tot wie wij kleinen mogen gaan; de enigen die ons nooit verstoten.
Ida Gerhardt, in Verzamelde gedichten, Amsterdam, Athenaeum-Polak & Van Gennep, 1980
Inaliénable
Ceci ne nous sera pas ôté: lire et tourner la page en retenant son souffle, loin du quotidien. Le lecteur peut être solitaire.
Il l’est depuis l’enfance.
Un monde lui fait signe où les grands, les immortels, survivent. Que nous, petits, pouvons atteindre; les seuls qui ne nous rejettent jamais.
La parole est partout et elle surabonde. Plus que jamais méfions-nous des paroles en l’air. Tout se dit et rien ne se dit. Rien n’est dit si tout se dit.
Alexandre Voisard, L’ordinaire et l’aubaine des mots, éd. Empreintes, 2020, p.48.
De woorden zijn overal en in overvloed. Laat ons meer dan ooit loze praatjes wantrouwen. Alles en niets wordt gezegd. Zegt men alles dan zegt men niets.
Traduction de l’Adrienne.
Merci pour la poésie suisse, cette inconnue, chère Loulou 🙂