Combien d’années ont passé depuis la dernière fois que l’Adrienne a entendu son père chanter ce Rorate coeli, difficile à dire, mais de gros, gros paquets d’eau ont coulé sous les ponts, depuis.
Et pourtant!
A la première note elle se retrouve dans l’ambiance de ces célébrations du temps de l’Avent, avec le froid de l’église, la dureté des chaises, les odeurs d’encens, les bougies qu’on allume… et ces voix d’hommes venant du jubé, lieu mystérieux où la petite fille n’a jamais eu le droit de monter.
Bon anniversaire à tous ceux qui sont nés un 2 décembre 🙂
Le bus traversait un quartier où on ne voyait absolument aucun major Thompson, aucune miss Marple et le plus comique était la réflexion d’une dame qu’il y avait tout de même moins d’étrangers à Londres que chez elle, réflexion qu’elle faisait au moment même où on traversait des kilomètres de rues où hommes et femmes portaient tous les signes extérieurs de leur appartenance à l’islam 😉
C’est à ce moment-là que l’Adrienne a vu une grande affiche publicitaire qui montrait une petite fille souriante dans un décor de maisons en ruines: « Zakat means we can eat today«
Zakat! se dit-elle joyeusement, car elle venait d’apprendre le mot la semaine d’avant, avec Nabila.
Zakat, c’est le devoir de donner une aumône proportionnelle à ce qu’on gagne. Il existe même des sites permettant de faire le calcul du pourcentage dû.
Comme le zakat est principalement lié au mois de Ramadan, alors que les besoins ne se limitent évidemment pas à un mois dans l’année, on essaie d’engager les musulmans à donner l’aumône toute l’année durant, pour que les petites filles dans les ruines puissent manger tous les jours.
ça a quelque chose de complètement surréaliste d’entendre dire qu’un certain Willem Van Moerbeke a été évêque de Corinthe de 1276 à 1286.
Mais son plus grand mérite est d’avoir été un excellent traducteur du grec ancien, par exemple d’Aristote ou d’Archimède, au moment où on était obligé de passer par des traductions via le syriaque et l’arabe.
Mais de surréalisme, l’histoire ne manque pas: n’y a-t-il pas eu un Baudouin, comte de Flandre par sa mère et comte de Hainaut par son père, devenu empereur de Constantinople vers la même époque?
Bref, ceux qui croient que les voyages et les réseaux sociaux sont des inventions récentes, doivent lire des biographies du 13e siècle: notre Willem/Guillaume, né dans le comté de Flandre, n’a cessé de voyager entre la Grèce, l’Italie et la France, a correspondu avec l’intelligentsia de son temps et noué une longue amitié avec Thomas d’Aquin.
Jamais on ne comprendra pourquoi on a appelé le Moyen Age « the dark ages » 😉
Chaque année, au printemps et à l’automne, belle-maman emmenait beau-papa en voyage.
C’est du moins ce qu’il prétendait, pour la faire marcher – et ça marchait à tous les coups: « En ik moet wère mee! » (et moi je dois l’accompagner, une fois de plus) alors qu’en réalité chacun savait qu’il aimait ça autant qu’elle, découvrir de nouveaux paysages.
En voyage, belle-maman ne manquait jamais d’envoyer des cartes à ses cinq enfants et ce qui les faisait beaucoup rire – les monstres 😉 – c’est que souvent elle écrivait « geweldige indrukken!« : en quelque sorte le message était qu’ils vivaient d »impressionnantes impressions’.
Aussi est-ce à belle-maman que l’Adrienne a pensé en faisant des « oh! » et des « ah! » (discrètement, dans sa tête 😉 ) devant tant de grandioses beautés, tant de paysages époustouflants, hautes montagnes, nature sauvage, routes en lacets, des fleurs partout, des bergers avec leurs chiens, leurs chèvres, leurs moutons…
Cette photo est la dernière du voyage: c’est en Arcadie, pris depuis le monastère de Kernitsa qui est situé sur un piton rocheux, comme on peut le voir ici. Dans le fond, la rivière Lousios. Le village le plus proche est Nymfasia (plan ici).
C’est une région pour randonneurs, tout est bien balisé et en Grèce on ne manque jamais de trouver des toilettes propres et gratuites.
Pour ceux qui se poseraient la question: aucune religieuse des deux monastères visités n’a exigé la jupe longue 😉 Elles accueillent avec le sourire et un grand plateau de loukoums.
L’Adrienne vient de recevoir quelques instructions concernant le voyage en Grèce et ce qui l’a un peu fâchée, c’est de lire que les femmes devront prévoir une jupe longue et un châle pour se couvrir le corps.
Entièrement.
Non, un pantalon ne suffit pas.
Et bien croyez-le ou pas, mais ça fait partie des choses qui l’énervent le plus et elle aimerait bien un jour prendre connaissance d’une religion qui ne considère pas la femme comme un être impur ou un suppôt de satan.
Elle a eu ce premier choc en 1990, dans une église roumaine, quand elle a voulu admirer l’iconostase. Vivement retenue dans son élan par Violeta, l’amie roumaine: seuls les hommes ont le droit de s’approcher des icônes et du « sanctuaire ». – Une femme, a-t-elle expliqué comme une chose tout à fait normale, est impure.
– Mange, c’est bon pour toi! l’encourage sa grand-mère, qui croit aux vertus de la pomme de terre. – Mange surtout ton bifteck! ajoute grand-père. Ceux qui travaillent ont besoin de viande!
Être écolière, dit-il, c’est aussi un travail. Et ça rend la petite toute fière.
Après, il y aura encore un fruit de saison (Mange, c’est bon pour toi!) ou une crème pâtissière, les jours où grand-mère aura une envie de sucre ou le prétexte d’un demi-litre de lait qui va « tourner ».
Mais la mère! oh! la mère désapprouve ces modestes agapes. « La gourmandise est un vilain défaut ». La petite sait que c’est un de ces péchés qui l’empêcheront d’aller au paradis. Mais qu’irait-elle faire au paradis, si grand-père et grand-mère n’y sont pas?
– Vous croyez que c’est possible, demande-t-elle à sa « mademoiselle de religion », d’aller au paradis si on a commis de gros péchés mais qu’on les confesse avant de mourir?
Elle est toujours déçue par les réponses de ses institutrices, qui préfèrent ne pas se mouiller, et elles font ça plutôt bien, aidées en cela par les voies du seigneur, qui sont impénétrables, non?
Mais le jour où elle a décidé que le paradis n’était vraiment pas un lieu fréquentable, c’est quand on lui a dit – Mince, alors! elle en frémit encore! – que les animaux ne pouvaient pas y entrer.
***
Merci à Joe Krapov pour ses consignes qui ont permis de refaire un choix – difficile! – parmi les nombreuses photos des chats et du chien bien-aimés:
Choisissez parmi les formules ci-dessous celle qui sera le titre de votre texte :
La colère comme bonne conseillère Un psychopathe en liberté A quoi rêvent les pions ? Espoir, désespoir et volupté Croire en Dieu ou au diable Placer la beauté avant la victoire Y a-t-il une chatière à la porte du paradis ? La fin de l’humanité Le voyeur et le couple royal
Insérez dans ce que vous allez écrire au moins trois des formules suivantes :
Mange, c’est bon pour toi ! Lui jouer un tango est irrésistible. Mais tout n’est pas dit. L’instinct du chasseur. Une délicate et discrète décapitation dont je me délecte d’avance. J’arrive alors au bord du gouffre. La gourmandise est un vilain défaut. On ne réfléchit pas quand on charge des tanks à la baïonnette. Voir un mort-vivant sortir de sa tombe. Je la savoure avec luxe, calme et volupté. N’importe quoi, même « Pan ! Pan ! » avec la bouche. Je commence à respirer même si ce n’est que d’une narine. Si vous voulez des explications détaillées, désolé, ce n’est pas l’objet de ce livret. Un troisième cavalier ! Il y avait comme un soleil qui brillait dans mon cœur. Que pensez-vous qu’un imbécile ferait ? Et elles font ça plutôt bien, non ? Un bonbon de sortie d’école, ce n’est pas de la grande confiserie mais c’est très plaisant parce qu’instantané. Rien de ce que fait le couple royal ne lui échappe. Mince alors ! Vous croyez que c’est possible ? Successivement enthousiaste et dépressif, décidément le fou est… fou ! La fin de l’humanité vient de débuter.
Les salutations préliminaires sont cette fois légèrement écourtées, il y a visiblement urgence.
– Je voudrais discuter de quelque chose avec vous, dit-il, son gros classeur d’écolier sous le bras.
Mais ce n’était pas une discussion, c’était une suite continue de la même affirmation: en ressortant une heure et demie plus tard, il répète encore que pour lui c’est bien simple, œil pour œil, dent pour dent.
C’est jeudi matin, après un moment de stupeur et d’incrédulité, que l’Adrienne a eu son grand, grand premier fou rire de la journée en lisant ce titre de journal: En Flandre occidentale, à la messe, il faudra ‘attraper’ son hostie si on veut communier.
Attraper l’hostie?
Va-t-on la lancer de loin?
La catapulter?
C’est quoi cette blague?
Plus loin dans l’article on explique que le prêtre ne pourra pas déposer l’hostie dans la main du communiant, il devra « la laisser tomber respectueusement »
C’est le thème de la semaine de la poésie, la liberté. Tous les profs de néerlandais ont fait participer leurs élèves, qui ont écrit de fort jolies choses, souvent drôles, spirituelles, sensées ou vécues.
Vrijheid.
Puis un midi une élève arrive complètement bouleversée au bureau des coordinatrices.
En état de choc.
Pendant la pause, son père l’a vue passer dans la rue, alors qu’elle allait s’acheter un pain garni. Or elle n’était pas seule: il y avait des garçons. Hé oui, nous sommes une école mixte, ce monsieur devrait le savoir. Mais il s’est mis à vociférer, à traiter sa fille de ‘sale pute’ et à lui promettre la punition qu’elle mérite quand elle rentrerait, ce soir-là.
C’est ainsi que Madame a appris que cette jeune fille reçoit des coups.
Que sa mère reçoit des coups.
Que sa sœur reçoit des coups.
Alors vous comprenez, avec une urgence comme celle-là, et aussi quelques autres, Madame n’a pas eu le temps de répondre aux commentaires, ces derniers jours.
C’était mercredi soir. Le téléphone sonne. L’Adrienne décroche, se disant que c’est probablement sa mère.
– Bonsoir, c’est Iris, pour un travail de fin d’année j’aimerais vous poser quelques questions.
A ce moment-là, bien sûr, l’Adrienne redevient Madame et coopère avec la gentille étudiante.
– J’aimerais savoir dans quoi vous trouvez la consolation en cas de deuil…
Voilà un bien curieux hasard, se dit l’Adrienne, qui se trouve précisément à la veille d’un enterrement. Qui pense tout de suite à F***, dont depuis dix ans rien ne la console. A ses grands-parents. A son père.
Bref, la fine mouche à l’autre bout du fil a tôt fait de mener la conversation sur les chemins du Seigneur…
– Ce n’est pas pour un travail de fin d’études, lui dit l’Adrienne un peu fâchée de s’être fait avoir pendant cinq bonnes minutes, c’est pour me convertir que vous m’appelez!
– Oui, répond la prénommée Iris, qui ne peut tout de même pas mentir jusqu’au bout.