Le 20 février est une journée d’anniversaire

Il y a un an exactement, j’envoyais ma première participation au défi du samedi
C’était le défi 94 et la consigne demandait d’associer les sept couleurs de l’arc-en-ciel et sept sentiments.

***

A noir comme les cheveux d’Adrienne.
Passé soixante ans, l’aile de corbeau sortait d’un petit pot couleur d’encre.
Mais – disait-elle avec fierté – je n’en ai que quelques gris à camoufler à hauteur des tempes.

E blanc comme la peau d’Adrienne.
D’une époque où l’on se baignait tout habillé.
Blanc laiteux de sa gorge, blanc moelleux où j’enfouissais le nez.
Tiédeur et odeur du bien-être de ma petite enfance.

I rouge baiser comme les lèvres d’Adrienne.
Pour sortir le dimanche après-midi.
Même après quarante ans de mariage, Adrienne se faisait belle pour son mari. Et le surveillait du coin de l’œil. Mais une fois le rouge baiser savamment posé sur les lèvres, on ne peut plus embrasser sa petite-fille. Déchirement du « Tu reviens quand ? »

U vert comme les yeux d’Adrienne.
Vert douceur des prés et de la mousse en automne. Vert poire, vert pomme, plaisir des papilles.
Tout est bon dans la cuisine d’Adrienne. Le sucré, le salé et le café au lait qu’on boit le mardi après-midi au coin du feu avec les voisines et les cousines.

O bleu comme les rêves d’Adrienne.
Rêves de bonheur tranquille et familier.
Ne rêver que l’accessible, pour ne pas être déçu.
Et ajouter un « s’il plaît à Dieu » pour conjurer le mauvais sort.

Ainsi allait la vie d’Adrienne.
Entre le gris du cimetière et le rose de la layette.
Peut-être trop de gris et pas assez de rose… mais Adrienne, sans avoir jamais suivi de cours de philosophie, savait bien que telle était la condition humaine et qu’il fallait mettre soi-même un peu de couleurs dans sa vie.

Un peu de noir et un peu de rouge pour garder un mari. Un peu de blanc et un peu de vert pour le bonheur d’une petite-fille.

T comme thalassa! thalassa!

L’amour de la mer, l’excitation au moment de la (re)voir, le bonheur de l’entendre et de la sentir, tout ça me fait crier « Thalassa! thalassa! » comme Xenophon et ses soldats en vue de la mer Noire.

Cet hiver, je l’ai vue de loin, la mer, mais tout de même avec un grand plaisir

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 Elle est retrouvée.
Quoi ? – L’Eternité.
C’est la mer allée
Avec le soleil.

Arthur Rimbaud, L’Eternité, première strophe (Derniers vers)

 

H comme handicap

Beethoven est devenu sourd

Monet a souffert de la cataracte et Degas est devenu aveugle

Renoir avait de l’arthrose dans ses mains qui ont fini par être tout à fait paralysées

« On est toujours puni par où l’on pèche« , dit ma mère.

Et Rimbaud est d’accord avec elle: amputé d’une jambe, il aurait déclaré que c’était pour avoir tant marché toute sa vie (le spécialiste Belge Jean-Louis Cornille l’a écrit dans un de ses essais sur Rimbaud et aussi Alain Buisine dans un article qui a paru dans le Magazine littéraire de juin 1991, un article qui était précisément intitulé Le piéton de la grand route.)

D’ailleurs rappelez-vous: à seize ans, il fait une fugue et « déchire ses bottines aux cailloux des chemins » en marchant huit jours pour aller manger des tartines de jambon, boire une chope et reluquer la fille au Cabaret-Vert, à Charleroi…

Et ma mère, que vient-elle encore faire là-dedans?

Ben rien: elle n’a pas été punie, elle ne pèche pas.

***

Moi si. Je pèche. J’ai la folie des grandeurs. La preuve: depuis le premier novembre, je me prends pour Monet

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mais j’ai remplacé les nymphéas par des feuilles mortes Rigolant

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trois photos que j’ai prises pour Marine, qui aime la fontaine Médicis, au jardin du Luxembourg Bisou

 

 

T comme trou de verdure

C’est un trou de verdure où chante…

un ruisselet? une grive? le vent dans les feuilles?

Tout ça et bien d’autres choses!

Mais c’est avant tout le plus joli trou de verdure qui soit Cool et chaque fois que je m’y promène je me souviens pourquoi je veux continuer à y habiter, malgré toutes les difficultés que cela comporte…

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où la lumière pleut

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c’est un petit val qui mousse de rayons

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22 plus jolis vers de la langue française (suite)

Pour ceux qui auraient raté ou oublié ce que j’en disais le mois passé, allez voir au précédent 22. Les autres peuvent tout de suite reprendre le petit jeu ici 🙂

Je crois bien qu’il y a matière à une nouvelle série de onze pour le mois prochain, il n’y avait plus la place de mettre ici « la plus jolie façon de dire qu’on va craquer une allumette »… Donc rendez-vous au 22 août!

1.la plus jolie façon de dire qu’on se porte bien:
Si fais à toutes gens savoir
Qu’encore est vive la souris

2.la plus jolie façon d’adresser une requête à son sponsor:
Roi des Français, plein de toutes bontés,
Quinze jours a, je les ai bien comptés,
Et dès demain feront justement seize,
Que je fus fait confrère au diocèse
De Saint-Marry, en l’église Saint-Pris.

3.la plus jolie façon de donner des fleurs:
J’offre ces violettes,
Ces lis et ces fleurettes
Et ces roses ici,
Ces vermeillettes roses,
Tout fraîchement écloses,
Et ces oeillets aussi.

4.la plus jolie façon de dire la joie d’être amoureux:
Tant ai al cor d’amor,
De joi e de doussor,
Per que’l gels me sembla flor
E la neus verdura.
(Tant j’ai au coeur d’amour
De joie et de douceur
Que le gel me semble fleur
Et la neige verdure)

5.la plus jolie façon de chanter jusqu’à son dernier souffle:
Comme un dernier rayon, comme un dernier zéphyre
Anime la fin d’un beau jour,
Au pied de l’échafaud j’essaye encor ma lyre.

6.la plus jolie façon de dire qu’on est fauché:
Je n’ai d’argent qu’en mes cheveux

7.la plus jolie façon de dire qu’il est parti en emportant votre coeur:
Le vôtre est rendu,
Je n’en ai plus d’autre

8.la plus jolie façon de dire l’adolescence:
On n’est pas sérieux quand on a dix-sept ans

9.la plus jolie façon de dire le pouvoir de la musique:
Un petit roseau m’a suffi
Pour faire frémir l’herbe haute

10.la plus belle façon de faire une pirouette à l’ordre établi:
J’ai mis mon képi dans la cage
Et je suis sorti avec l’oiseau sur la tête

11.et pour terminer, la plus jolie façon de définir la poésie:
Bien placés bien choisis
quelques mots font une poésie
les mots il suffit qu’on les aime
pour écrire un poème
on ne sait pas toujours ce qu’on dit
lorsque naît la poésie
faut ensuite rechercher le thème
pour intituler le poème
mais d’autres fois on pleure on rit
en écrivant la poésie
ça a toujours kékchose d’extrême
un poème

***

ci-dessous, les noms des auteurs et les titres des poèmes cités:

1.Charles d’Orléans, Encore est vive la souris
2.Clément Marot, Au Roi, pour le délivrer de prison (octobre 1527)

3.Joachim Du Bellay, D’un vanneur de blé aux vents (in Jeux rustiques (1558)
4.Bernard de Ventadour, J’ai le coeur si plein de joie…
5.André Chénier, Comme un dernier rayon, comme un dernier zéphyre…, in Oeuvres posthumes, 1826

6.Tristan Corbière, Conclusion, (in Le coffret de santal)
7.Marceline Desbordes-Valmore, Qu’en avez-vous fait? (in Elégies, 1825)
Vous aviez mon coeur,
Moi, j’avais le vôtre:
Un coeur pour un coeur,
Bonheur pour bonheur!

Le vôtre est rendu,
Je n’en ai plus d’autre;
Le vôtre est rendu,
Le mien est perdu!

8.Arthur Rimbaud, Roman, in Poésies, 1871
9.Henri de Régnier, Odelette, in Les jeux rustiques et divins, 1897
10.Jacques Prévert, et je ne résiste pas à l’envie de vous donner toute la suite 😉
J’ai mis mon képi dans la cage
et je suis sorti avec l’oiseau sur la tête
Alors
on ne salue pas
a demandé le commandant
Non
on ne salue pas
a répondu l’oiseau
Ah bon
excusez-moi je croyais qu’on saluait
a dit le commandant
Vous êtes tout excusé tout le monde peut se tromper
a dit l’oiseau

désolée s’il y a une erreur, j’ai prêté mon exemplaire de Paroles et je ne sais plus à qui…

11.Raymond Queneau, Un poème, in Si tu t’imagines, dans Œuvres complètes, I, édition établie par Claude Debon, Bibliothèque de la Pléiade, Gallimard, 1989, p. 105-106.

7 couleurs et 7 sentiments

Ma première participation au défi du samedi, c’était pour le samedi 20 février. Il fallait écrire un texte dans lequel il serait question de sept couleurs et de sept sentiments s’accordant avec ces couleurs. La consigne me branchait, voilà ce que ça a donné:

A noir comme les cheveux d’Adrienne.
Passé soixante ans, l’aile de corbeau sortait d’un petit pot couleur d’encre.
Mais – disait-elle avec fierté – je n’en ai que quelques gris à camoufler à hauteur des tempes.

E blanc comme la peau d’Adrienne.
D’une époque où l’on se baignait tout habillé.
Blanc laiteux de sa gorge, blanc moelleux où j’enfouissais le nez.
Tiédeur et odeur du bien-être de ma petite enfance.

I rouge baiser comme les lèvres d’Adrienne.
Pour sortir le dimanche après-midi.

Même après quarante ans de mariage, Adrienne se faisait belle pour son mari. Et le surveillait du coin de l’œil. Mais une fois le rouge baiser savamment posé sur les lèvres, on ne peut plus embrasser sa petite-fille. Déchirement du « Tu reviens quand ? »

U vert comme les yeux d’Adrienne.
Vert douceur des prés et de la mousse en automne. Vert poire, vert pomme, plaisir des papilles.
Tout est bon dans la cuisine d’Adrienne. Le sucré, le salé et le café au lait qu’on boit le mardi après-midi au coin du feu avec les voisines et les cousines.

O bleu comme les rêves d’Adrienne.
Rêves de bonheur tranquille et familier.
Ne rêver que l’accessible, pour ne pas être déçu.
Et ajouter un « s’il plaît à Dieu » pour conjurer le mauvais sort.

Ainsi allait la vie d’Adrienne.
Entre le gris du cimetière et le rose de la layette.
Peut-être trop de gris et pas assez de rose… mais Adrienne, sans avoir jamais suivi de cours de philosophie, savait bien que telle était la condition humaine et qu’il fallait mettre soi-même un peu de couleurs dans sa vie. Un peu de noir et un peu de rouge pour garder un mari. Un peu de blanc et un peu de vert pour le bonheur d’une petite-fille.

 

T comme Tilquin

A Bruxelles, au numéro 9 de la Galerie de la Reine est située une coutellerie. La coutellerie Tilquin. Vous y trouverez tous les merveilleux couteaux de marque, du plus petit désosseur au plus imposant des sabres.

Autrefois à cette adresse il y avait un armurier, l’armurerie Montigny. Si vous googlez ce nom vous remarquerez que la famille Montigny s’est occupée d’armes pendant des siècles, en France aussi.

Le 10 juillet 1873, l’armurier Montigny a vendu un revolver de poche Lefaucheux (7 mm) ainsi que 50 cartouches. Le client, sans doute un désespéré, s’appelait Paul Verlaine. Il est d’abord allé boire sur la toute proche Grand-Place pour se donner du coeur au ventre et après il est rentré à l’hôtel où il logeait avec Arthur Rimbaud.

Il a tiré deux coups mais n’a touché Rimbaud qu’au poignet avec une des deux balles. Il devait être ivre mort pour rater d’aussi près un homme couché dans un lit, mais soit.

J’aimerais bien lire les documents relatifs à ce fameux procès de Bruxelles.

si l’enquête vous intéresse, quelques pistes: http://www.tv5.org/TV5Site/litterature/critique-295-bernard-bousmanne_reviens-reviens-cher-ami-rimbaudverlaine-laffaire-de-bruxelles.htm

http://www.lalibre.be/culture/livres/article/310645/c-est-le-revolver-de-verlaine.html

 

X comme mes futurs bataillons

Bientôt le 1er septembre et l’école, bientôt je ferai la connaissance des élèves avec qui je travaillerai un an.

Au fil de cette année scolaire, on apprendra à mieux se connaître. On se racontera, un peu à la fois.

Ils me diront des choses sur leur passé, leur vécu. Des choses graves, le divorce des parents, la mort d’un proche, la maladie. Des choses gaies, des farces, des anecdotes, des incidents comiques.

Et j’essaierai de toujours les regarder avec l’oeil indulgent d’Arthur Rimbaud: « On n’est pas sérieux quand on a dix-sept ans »

J’apprendrai des choses sur leurs capacités et leurs inhibitions. Les forts en tout et ceux qui se croient bons à rien, ceux qui osent tout et ceux qui n’osent rien… et toute la gamme entre ces deux extrêmes.

Ils étudieront mon caractère et mes réactions et moi les leurs. Petit à petit on s’appréciera. J’aimerai même le vilain petit canard qui ne fait pas ses devoirs et n’apprend pas ses leçons 😉 parce que très souvent ce vilain petit canard, quand il lève la main pour dire un truc, dit quelque chose d’intéressant.

Et à la fin de l’année on aura un peu de mal à se quitter…

E comme école, élèves et enseignement

C’est bien le dernier cours avant les vacances.

C’est bien, l’émotion partagée de la dernière classe.

C’est bien les réussites après l’effort.

C’est bien les perles des élèves 😉

C’est bien de leur mettre de bonnes notes.

C’est bien quand on leur dit « Merci pour cette année »

C’est bien le malaise de la séparation le jour de la sortie des classes.

C’est bien les collègues qui partent en retraite et qui n’oublient pas d’offrir un pot.

C’est bien quand ils discutent sur le « Dormeur du val » dans le couloir le jour de l’examen oral.

C’est bien d’être prof ! C’est bien …

d’après C’est bien de Philippe Delerm

P comme poèmes pour la postérité

Récemment, un prof de Lettres (comme on dit en France) posait la question suivante sur notre liste d’échanges: « Si on ne pouvait garder que 10 poèmes de la littérature française, lesquels retiendriez-vous? »

Voilà le genre de question que je DETESTE. Presque autant que celle des 3 (ou 5) objets qu’on emporterait sur notre île déserte… est-ce qu’il y aura l’électricité, sur mon île? est-ce que j’aurai besoin d’un précis de botanique pour savoir quelle plante manger ou est-ce que ce sera le moment de lire A la recherche du temps perdu? hamac ou moustiquaire? crème solaire ou boîte à outils?

Enfin bref, je n’ai malgré tout pas pu m’empêcher d’y réfléchir, à cette horrible question des 10 poèmes à sauver pour l’éternité.

Serons-nous équitable et en prendrons-nous un ou deux par siècle? Bernard de Ventadour, Charles d’Orléans, François Villon, Christine de Pisan,… faut déjà que je m’arrête, désolée Marie de France, pauvre Rutebeuf, le 16e siècle m’attend.

Clément Marot, Ronsard, Du Bellay, ne pas oublier ma chère et folle Louise Labé, zut, ça en fait déjà quatre.

Pas grave, au 17e siècle je ne prendrai que La Fontaine et au 18e juste André Chénier.

Bon, ça en fait déjà 10 quand même. Et on n’a pas encore décidé quel poème UNIQUE on garderait de chacun!

Alors le 19e siècle, Hugo, Baudelaire, Verlaine, Rimbaud, Mallarmé… ?

Et le 20e? Verhaeren! Jammes, Apollinaire, Eluard, Aragon, Prévert, Michaux, Senghor, Césaire… ?

Help! je veux les sauver tous, moi! même cette pauvre Marceline Desbordes-Valmore et sa couronne effeuillée…