Stupeur et tremblements

Il s’attendait à cette question, dit-il, et pourtant il donne la réponse la plus stupide, la plus condescendante, la plus déconnectée de la réalité possible.

C’était le 5 septembre dernier, son joueur vedette à ses côtés était écroulé de rire à l’idée de prendre un char à voile au lieu d’un jet privé.

Sans doute ne sait-il pas que la distance dont il s’agit peut se faire en moins de deux heures en TGV.

L’Adrienne en a été dégoûtée, tellement dégoûtée qu’elle ne voulait même pas en parler.

Puis que lit-elle?

Que deux semaines plus tard, ce même club, qui pourtant prétendait trouver très grave ce trait d' »humour raté », reprend un avion pour parcourir la distance Paris-Lyon.

Le TGV? c’est pour les ploucs.

Le bus de l’équipe? Il roule aussi, mais à vide, il ne sert qu’à conduire les joueurs de l’avion à l’hôtel. Ou du stade à l’avion.

Bref.

Prochaine grosse rigolade planétaire, d’où la caricature de Kroll prise de sa page fb, la coupe du monde au Qatar.

J comme Jeux

– Maintenant que vous êtes à Olympie, dit Saskia, c’est le moment ou jamais de courir sur cette fameuse piste!

Saskia, c’est la guide de l’avant-dernier jour, qui s’était présentée au groupe en disant:

– Je suis née aux Pays-Bas mais je vis en Grèce depuis plus de vingt ans. Je la considère comme mon pays.

Et au moment où elle disait « je suis née aux pays-Bas… » il y a bien sûr eu Jef pour s’exclamer ironiquement et bien fort: « Nooon! Sans blague! On ne l’aurait jamais cru! » alors que les autres se contentaient de sourire à cette précision inutile, étant donné son accent hollandais quand elle parlait néerlandais 😉

Bref, Saskia encourageait à courir une longueur – un stade, c’est-à-dire 197,27 mètres – et devinez qui a couru?
Uniquement quelques femmes.
Alors que la moitié du groupe se composait d’hommes.

C’est Gerda qui a gagné.

Quelqu’un du groupe lui a tressé une couronne d’olivier – la récompense à Olympie, dans les trois autres lieux de jeux antiques la récompense était différente, le laurier à Delphes est le plus connu mais il y avait aussi le pin et même le céleri à Némée 😉 – couronne qu’elle a fièrement portée jusqu’au soir.

W comme Wilma

Les joies du wilfing ont mené l’Adrienne de plus en plus loin de son exercice d’écoute sur les Jeux olympiques de Rome en 1960, où il était question de l’athlète italien Livio Berruti qu’on voyait amoureusement main dans la main avec la vedette américaine du 100 mètres, 200 mètres et 4 X 100 mètres: Wilma Rudolph.

C’est ainsi que l’Adrienne est tout naturellement arrivée chez les Flintstones, comme vous pouviez vous y attendre, vu que c’était la seule Wilma qu’elle connaissait à ce jour 🙂

Mais entre-temps, elle a beaucoup appris sur Livio, sur Wilma, et ne peut s’empêcher de rêver à ce qu’aurait donné la suite de l’histoire si ces deux-là étaient restés ensemble après les Jeux.

source ici

Y comme y a pas que

Cousin numéro trois est marathonien. Champion de triathlon. Amateur des parcours les plus lourds, de ces ‘trails’ où il faut grimper des dénivelés boueux.

Apparemment, il n’est pas le seul.
Apparemment, le ‘trail’ ne leur suffit pas.
Il leur faut de l’ultra-trail.
Et c’est l’équipe belge qui vient de remporter les championnats du monde de cette discipline, devant les Etats-Unis.

Course d’endurance et ‘last man standing‘, comme dans le film They shoot horses, don’t they.

Ce last man standing, c’étaient deux Belges, dont un incroyable champion qui s’appelle Karel Sabbe et est dentiste à Gand:

« Cette fois, il vient de repousser les limites physiologiques de l’être humain puisque jamais avant lui un homme n’avait couru 75 heures, plus de trois jours et trois nuits donc, parcourant 503 kilomètres sans s’arrêter. »

Tout ce que vous voulez savoir sur cette compétition: ici.

Stupeur et tremblements

Comme de nombreux autres « classiques de printemps », le tour des Flandres avait été reporté à l’automne.

Il a eu lieu dimanche dernier et passait bien évidemment devant la porte de l’Adrienne.

Jusque-là, rien de nouveau.

Mais deux ou trois semaines avant l’événement, elle a trouvé dans sa boîte aux lettres un carton émanant du parti d’extrême-droite flamand, l’invitant à accrocher un certain drapeau à sa fenêtre.

Et le même jour – ou était-ce le lendemain – la même injonction fleurissait sur les réseaux sociaux, cette fois de la part de l’autre parti flamand.

Les deux s’offrant bien sûr à fournir la chose gratuitement, sur simple demande.

Et bien voulez-vous que je vous dise?

L’Adrienne a pris peur.

Pendant des jours – et surtout des nuits – elle a eu des visions de rues pavoisées où seules quelques maisons – dont la sienne – ne seraient pas aux bonnes couleurs.

Elle a eu des visions d’Allemagne années trente et d’une certaine nuit de novembre.

Même si les spécialistes vous disent qu’il n’y a pas de comparaison possible.
On ne contrôle pas son ressenti.

Bref, elle s’est dit je ne reste pas ici, ceci n’est pas ma Flandre, je déménage.

Elle s’est mise à chercher les prix des maisons et appartements en Wallonie.

Puis le jour J est arrivé.

Dimanche 18 octobre.

Et sur toute la longueur de sa rue, l’Adrienne n’a vu qu’un seul drapeau.

Un seul.

D’un type qui ne répond jamais à son bonjour.
Pourtant elle lui dit goedendag avec l’accent qu’il faut 😉

Tout n’est donc pas perdu, s’est-elle dit.

Et elle a décidé de rester.

22 rencontres (12 ter)

C’est aux rayons des fruits et légumes que Madame a rencontré Suzan et malgré le masque ou les quatre années passées, elles se sont reconnues tout de suite.

Par bonheur, Suzan avait le temps de faire une parlote, de sorte que Madame a pu vérifier que ses cordes vocales fonctionnaient encore 😉

Suzan allait bien, disait-elle, malgré les circonstances actuelles: elle était contente de pouvoir continuer à pratiquer son sport.

Madame se souvient très bien à quel point son équipe de basket, l’amitié des autres joueuses et les encouragements de l’entraîneuse lui étaient nécessaires.

Deux jours plus tard, le gouvernement décrétait que tous les sports en salle seraient interdits jusqu’à nouvel ordre.

Z comme zwemmen

2019-01-01 (3)

Ne demandez pas à l’Adrienne comment il se fait qu’elle n’aille plus jamais nager, alors qu’elle aime tant ça. Elle ne le sait pas elle-même.

Oui, elle aime énormément l’eau et l’autre jour, en lisant ce poème, elle a tout à fait reconnu la plupart des sentiments évoqués: 

Een zwemmer is een ruiter

Zwemmen is losbandig slapen in spartelend water,
is liefhebben met elke nog bruikbare porie,
is eindeloos vrij zijn en inwendig zegevieren.

En zwemmen is de eenzaamheid betasten met vingers,
is met armen en benen aloude geheimen vertellen
aan het altijd allesbegrijpende water.

Ik moet bekennen dat ik gek ben van water.
Want in het water adem ik water
word ik een schepper die zijn schepping omhelst,
en in het water kan men nooit geheel alleen zijn
en toch nog eenzaam blijven.

Zwemmen is een beetje bijna heilig zijn.

Paul Snoek, Hercules. Gedichten, Brussel, Manteau (1960)

Le nageur est un cavalier

La natation est un sommeil libertin dans l’eau qui barbote,
c’est aimer par chaque pore encore actif,
c’est être infiniment libre et triompher à l’intérieur de soi.

Nager c’est tâter la solitude avec les doigts,
c’est raconter avec les bras et les jambes des secrets d’autrefois
à l’eau qui comprend toujours tout.

Je dois avouer que j’adore l’eau.
Dans l’eau je respire eau
je deviens un créateur qui embrasse sa création,
dans l’eau on n’est jamais tout à fait seul
tout en étant solitaire.

Nager a presque une petite odeur de sainteté.

Paul Snoek (traduction de l’Adrienne)

***

photo prise en Islande, hiver 18-19, au Blue Lagoon, fermé aussi en ce moment pour les raisons que l’on sait 😉

P comme Poulidor

vélo.jpg

Dans la famille de l’Adrienne, chacun – sauf elle – aime le sport et surtout ces vedettes qui font gagner des médailles diverses et résonner la Brabançonne. Le sport, c’est la guerre.

Le père, qui ne veut pas de télé chez lui sous prétexte d’en protéger ses enfants, a l’oreille collée à sa radio pour suivre les matches de foot. Les courses cyclistes. Spa-Francorchamps. Il n’y a que la natation qui ne l’intéresse pas: il n’a jamais appris à nager.

En visite chez les autres, il y a toujours une télé.

Le premier janvier, à la chapellerie, les hommes sont rivés à l’écran devant le saut à ski de Garmisch-Partenkirchen. A l’appartement de Westende, ce sont les tournois de tennis ou les Jeux Olympiques. Toutes les disciplines, même la natation 😉

Mais les discussions les plus vives, les émotions les plus fortes, c’est le cyclisme qui les concentre. Là, même les femmes – sauf l’Adrienne – se jettent dans la mêlée. Le samedi soir, c’est séance télé chez les grands-parents.

– Eddy Merckx, dit grand-mère Adrienne, il pourrait de temps en temps laisser gagner quelqu’un d’autre.

***

Ecrit pour le devoir du Goût – que je remercie:

Avant-Hier, j’ai entendu un peu parler  de Bourganeuf et beaucoup de « Poupou » Alors je vais vous dire deux mots de Bourganeuf dont je ne sais pas grand’chose.
D’ailleurs lectrices chéries, je n’ai jamais mis les pieds à Bourganeuf.
J’aimerais néanmoins que vous me racontiez quelque chose qui parle de vélo.
J’espère que ce tableau de Miki de Goodaboom vous inspirera.

Stupeur et tremblements

black bazar

C’est suite au racisme dans le foot – sur les gradins principalement – que l’Adrienne a appris un nouveau mot concernant ce sport: Schwalbe.

Explication.

Début septembre, Romelu Lukaku, le footballeur belge de l’Inter Milan est victime de hurlements racistes au moment où il doit tirer un penalty contre Cagliari. 

Les supporters de Cagliari n’ont pas été condamnés pour ces faits. Pas assez graves, selon les juges. Rien que de très normal. Par contre, ils ont dû payer 5000 euro d’amende pour avoir jeté des bouteilles en plastique en direction des officiels. Ce qui est donc beaucoup plus grave.

Etape suivante: les supporters du club de Lukaku, Inter Milan, ont écrit une ‘lettre ouverte’ pour lui dire que des cris de jungle et autres imitations de singes ne sont pas du tout du racisme. Au contraire, il devrait plutôt y voir un compliment, puisqu’ils le font dans le but de le déstabiliser, pour lui faire rater son penalty.  

Après, un commentateur de la télé italienne y est allé de sa petite blague, qu’il faut sans doute aussi prendre comme un compliment, « Si vous allez en un contre un contre Lukaku, vous êtes mort. Il vous envoie au sol. Vous ne vous en sortirez qu’en lui lançant 10 bananes, sinon, c’est impossible ». Pas du tout raciste, c’est clair.

Enfin, on arrive à la touche (provisoirement) finale. De la part du président du comité olympique italien: « ancora più grave dei cori razzisti è la simulazione di un fallo da parte di un giocatore milionario » Plus grave encore que les chants racistes, dit ce grand homme, c’est qu’un joueur millionnaire se laisse tomber pour obtenir un penalty.

Schwalbe. Ce qui veut dire: se laisser tomber pour obtenir un penalty.

 

I comme incipit

C’est la première fois, j’avance vers un immeuble des quartiers interdits, je suis attendu, la première fois depuis trente ans, en riche logis, Wakami vit là depuis des mois, jamais ne m’a invité, il a déménagé, jamais ne m’a dit, maintenant qu’il sait il devient accueillant, il promet rhum toujours et acras en quantité sauf qu’il convoque entre les heures de collation, maintenant qu’il sait il ne lâche pas, il a téléphoné trois fois et laissé deux messages, décidé le jour et l’heure, et je marche vers là, j’avais autre chose à faire sauf que s’en fiche, il réalise qu’il est le dernier, vexé affreusement, métis sourcilleux, il demande réparation.

Philippe Bordas, Chant furieux, Gallimard, 2014, p.15 (incipit)

Ne demandez pas à l’Adrienne, elle qui déteste le foot, pourquoi elle a pris à la bibliothèque ce pavé de 480 pages où un narrateur photographe raconte les cent jours qu’il a passés à prendre Zidane en photo dans le but d’en faire un album.

Ou alors relisez cet incipit avec ses drôles d’ellipses de verbe, de déterminants, ellipses qui rendent la lecture plus lente, plus laborieuse, et vous aurez la réponse: c’est pour ces particularités de langage qu’elle a pris ce livre…

J’ai raconté Zidane à tout le monde, concierge, cousines, mes voisins supérieurs si taiseux et les inférieurs qui protestent contre James Brown de matin à nuit. A tous sauf à lui. Je me suis répandu aux étages et vanté dans les commerces du quartier, de Denfert jusqu’à Alésia. Ces jours où je suivais Zidane. Je n’allais pas en parler toute ma vie. J’ai dit cent fois et mille l’idylle brève, les cent jours d’amour, jusqu’à perdre souffle, ces mêmes phrases, mêmes mots, bègue à dire et redire. A entendre le nom de Zidane rares font les dédaigneux, les visages fléchissent, fans et raffinés, yeux en extase, bouches bées. Transi au bout du fil, Wakami n’est pas mieux, excité à l’idole, dévot comme un footeux en tunique publicitaire.

Philippe Bordas, Chant furieux, Gallimard, 2014, p.15-16 (suite de l’incipit)

Dès qu’on est « entré » dans le livre, on ne peut s’empêcher de penser que l’auteur fait dans l’épopée homérique, non seulement par le contenu, mais tout autant par la forme. Comme s’il était un aède d’aujourd’hui, un jongleur des cités,  un trouvère de la zone.

Alors on se souvient que le titre est précisément « Chant furieux ».

Je ne vais pas me mettre en louange auprès de Paris ravalée à neuf et donner des larmes pour ces débauches d’hygiène soutenues de chimie. La ville houille et suie est devenue blanche comme à son début haussmanien à coches et satins. La capitale sale où nous errions faisait abri pour les populations parlant le français acceptablement. Acceptable à ce point que Mouss y comprenait peu, Sidibé à demi. Notre cavale balle au pied s’accompagnait d’étranges syllabies (sic) et de sons heurtants. Nous étions bilingues et parlions à fol débit. La ville attrapait nos mots fautifs passés au rabot, elle engloutissait, magnanime, nos langues reptiliennes. Nous jetions aux passants des insultes sorties d’un pistolet à eau, des giclées sans grammaire, baves en suspension.

Philippe Bordas, Chant furieux, Gallimard, 2014, p.23

On pourrait très bien parodier le « Menin aeide, thea, Peleiadeo Achileos oulomenen… » 🙂

Info, résumé et premières pages sur le site de Gallimard.