C comme Chio

L’anglais de Jef est si mauvais qu’il a du mal à comprendre le guide. Mais comme il a sa fierté, il préfère se moquer de l’accent du guide et prétendre que c’est de sa faute s’il n’y comprend rien.

– Désolé, fait le guide, ça fait deux ans que je n’ai plus parlé l’anglais, ces derniers temps je n’ai eu que des groupes de touristes turcs.

Puis il reprend le fil de ses explications, où les Ottomans interviennent beaucoup, au cours des siècles, et rarement en bien.
Destruction par-ci, massacres par-là, même si parfois le sale boulot est exécuté par des mercenaires qui se paient sur la population.

Nihil novi sub sole.

Il en vient incidemment à parler des tensions actuelles, à propos des îles grecques que les Turcs réclament.

– Moi je suis natif de l’île de Chio, explique-t-il.

Et là, bien sûr, on connaît la suite

Pour lui, pour sa famille, c’est du concret, jusqu’à la génération de ses grands-parents.

Alors pendant que les autres finissent de déguster leur vin, l’Adrienne lui pose la question qui lui trotte dans la tête depuis le début:

– Mais alors à vous, personnellement, qu’est-ce que ça vous fait de montrer et de raconter tout ça à des groupes de touristes turcs? et eux, comment ils y réagissent?

Bref, pour ce qui le concerne, vous le devinez aisément.

Et les Turcs?

– Il y a deux possibilités, explique-t-il. Soit ce sont des intellectuels, d’Istanbul par exemple, et ils « comprennent ».
Soit ce sont les autres. Et pour ceux-là, tout ici leur appartient: ils considèrent que ça fait partie de la grande Turquie.

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photo des coquelicots: en Grèce aussi, les « poppies blow »

Y comme yaka

Experts twijfelen aan nut van VR-bril voor koeien: geen wetenschappelijk bewijs voor hogere melkproductie

Yaka leur mettre des lunettes de réalité virtuelle, avait dit il y a quelques semaines un éleveur turc, qui avait testé sur deux de ses vaches la vue (virtuelle) de vertes prairies pour recevoir d’elles en retour une meilleure production de lait.

L’Adrienne – comme des millions d’autres gens sûrement – avait regardé la vidéo réalisée dans son étable.

Vaches contentes, éleveur content?
Attendons la suite, s’était-elle dit.

La suite, c’est dans cet article de mardi dernier qu’on peut la lire, et comme c’est en néerlandais, voici l’essentiel de la chose: les experts ont comme un doute 😉

D’abord, dit un expert allemand, il semble impossible que la réalité virtuelle pendant seulement 20 minutes par jour suffise à augmenter la production de 22 à 27 litres par jour.

Ensuite, il y a les lunettes: elles sont conçues pour le regard humain. Or, les vaches ont une vision différentes, disent-ils, ce qui fait que pour elles la vue de ces vertes prairies doit plutôt ressembler à des effets clignotants, des images tremblotantes.

Bref, rien de concluant, même si la Russie expérimente avec ces lunettes depuis 2019, pour compenser le manque d’espace et de lumière, vu les conditions de détention des vaches à lait.

Oui, détention.

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source de la photo ici et la vidéo ci-dessous au cas où vous l’auriez ratée 😉

C comme Calouste

Voilà exactement le genre de légende sous photo qui met en branle l’usine à rêve dans la tête de l’Adrienne: Calouste a 27 ans quand il fuit Istanbul à bord de l’Orient-Express en emportant son fils caché enroulé dans un tapis.
Son fils n’était qu’un bébé de quelques semaines, né en juin de cette année-là: 1896.

N’est-ce pas que c’est digne d’un album de Tintin?

Évidemment, l’Adrienne a voulu en savoir plus sur ce monsieur Gulbenkian, alors elle est arrivée , sur France culture, et sur l’inévitable wikisaitout.

Bref, la conclusion de tout ça, c’est qu’elle devrait se rendre au Portugal, à Lisbonne, pour aller admirer le musée qui réunit toutes les œuvres d’art collectionnées par cet intéressant personnage au fil de sa vie.

Vivement qu’il soit possible de le faire en train 🙂

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photo prise à l’expo Orient-Express, au Train World de Schaarbeek.

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« Heel leuk hoe u er in slaagt om mij na al die jaren nog wat Franse lectuur mee te geven » rigole Araz après que Madame lui a envoyé toute l’info concernant son compatriote arménien.

Sa famille à elle aussi a une histoire « intéressante » qui l’a menée dans une diaspora entre le Liban, la Syrie (Alep, où Araz est née) et la Belgique.

« Très amusant comme vous réussissez à me faire lire du français, après toutes ces années »

Vous l’aurez compris: ce n’était pas du tout sa matière préférée 😉

A comme archéologie

Des archéologues louvanistes reconstituent les visages d’anciens habitants de Sagalassos

Des archéologues de la KU Leuven ont, en collaboration avec l’université turque de Burdur, reconstitué les visages d’un homme et d’une femme de Sagalassos, cité antique située au sud-ouest de la Turquie. Ces deux humains ont vécu respectivement au début du 3e et entre les 11e et 13e siècles après Jésus-Christ. Sagalassos est l’un des sites antiques les mieux conservés de Turquie. Cette ville fut fondée au 5e siècle avant Jésus-Christ et complètement abandonnée au 11e siècle, à la suite de tremblements de terre, invasions et épidémies de peste. Depuis 1990, des fouilles archéologiques y sont menées sous la direction d’une équipe de la KU Leuven (université catholique de Louvain).

La reconstitution des deux visages a pour but de mieux mettre en images la vie quotidienne à Sagalassos au moment de son apogée, a expliqué le professeur Jeroen Poblome, actuellement à la tête du projet de recherche, lors de la présentation du résultat à la presse ce lundi.

L’homme romain, baptisé Rhodon, était vraisemblablement âgé de plus de 50 ans au moment de son décès et appartenait à la classe moyenne. Les fractures et troubles articulaires repérés sur son corps témoignent d’une vie rude. La femme byzantine, Eirènè, avait 30 à 50 ans lorsqu’elle est morte. Elle a moins souffert de troubles articulaires. Elle a été enterrée de manière plus austère que Rhodon, qui a été retrouvé entouré de cadeaux funéraires.

Pour leur redonner un visage, une équipe de l’université de Burdur a d’abord réalisé un “scan-3D” des crânes. Leurs traits ont ensuite pu être déduits avec une précision de 75%. Pour la couleur de la peau, des yeux et des cheveux, les chercheurs se sont basés sur les caractères dominants de la population actuelle de la région. Des sources historiques ont été mobilisées pour la coiffure et la coupe de la barbe.

Les deux visages sont à découvrir dans la bibliothèque de la KU Leuven jusqu’au 25 juin. Ils retourneront ensuite sur leur terre natale pour une grande exposition sur Sagalassos qui se tiendra à Istanbul cet automne puis au musée de Burdur.

 

source: ici – hier l’Adrienne a pris le train pour Louvain, c’est pourquoi elle confie au journal le soin de rédiger son billet de ce dimanche, surtout que l’ordi ne veut pas télécharger les photos qu’elle a prises elle-même 🙂

Tous les billets sur le voyage d’août 2016 à Sagalassos sont ici 🙂

X c’est l’inconnu

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Je me verrais bien habiter ici, se dit l’Adrienne en s’engageant dans la rue du Méridien, avec sa belle rangée d’arbres de chaque côté.

Faudrait juste apprendre le turc, se dit-elle encore, en voyant que de la pizzeria jusqu’au dentiste, tous les commerçants et indépendants ont des noms venus tout droit d’Anatolie en général et d’Emirdag en particulier.

Derrière elle, deux jeunes filles devisent, trois quarts de turc et un quart de français, elles marchent au même rythme et leurs talons claquent sur le pavé. L’Adrienne se laisse dépasser. Elles portent une couronne de fleurs de gypsophiles dans les cheveux et un manteau noir par dessus leur robe de gala.

– Tu aurais dû faire comme moi, dit celle de gauche, et mettre des claquettes au lieu de ces chaussures à hauts talons!

C’est vrai qu’ils sont très hauts et très dorés sous la longue robe rose qu’elle relève d’une main pour marcher plus vite.

A hauteur de l’école, elles décident de prendre le bus: rien de pire que les festivités de mariage pour faire souffrir les pieds des élégantes…

 

J comme journal intime

loti

Cher journal

Aujourd’hui j’ai encore eu droit à des moqueries en gymnastique. Pourquoi moi, qui grimpe aux arbres et me balance aux branches du pommier comme un garçon, je ne réussis pas à grimper cette corde à nœuds ? Mystère !

Au cours de dessin, Maryvonne m’a envoyé de la peinture verte sur ma blouse. Ma mère va encore piquer une crise quand elle va s’en apercevoir… crise moins grave que celle de l’autre jour, j’espère, quand elle a découvert sous mon matelas un roman de Pierre Loti. Je n’ai droit qu’à des Delly mais Aziyadé est infiniment plus instructif…

Ah ! Vivement qu’on soit au printemps et que j’aie seize ans !

Ton Adrienne

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source de la photo ici – le roman peu être lu en ligne sur wikisource

Consignes chez Filigranes, que je remercie: 

Ce mois-ci, si vous avez un peu de temps… je vous propose de vous pencher sur vos états d’âme… et d’écrire la page d’un « journal intime »… Ce sera le vôtre ou celui de quelqu’un d’autre… comme il vous plaira. Et vous devrez aussi placer, dans votre texte, les mots suivants: mère, arbre, blouse, crise, roman, printemps, gymnastique, moquerie, dessin, balance.

Y comme Yavuz et yaourt

– Je m’appelle Yavuz, nous dit-il, et vous pouvez tout me demander. Tout, absolument tout, allez-y, ne vous gênez pas, j’essaierai de répondre au mieux à toutes vos questions. 

Mais personne n’a osé lui demander ce qu’il pensait de son grand timonier, ni de l’autre, qui s’était enfui aux USA, ni de ce soi-disant putsch, ni de ce qu’il adviendrait de tous ces gens ayant été démis de leurs fonctions – et se trouvant donc sans revenus – ni où étaient détenus ces milliers qui ne cessaient de se faire arrêter, ni comment ils étaient traités. 

D’ailleurs, il était guide touristique, pas devin… 

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celui-ci n’est pas Yavuz mais un autre bon patriote tongue-out

*** 

Alors nous avons parlé de géographie et de climat, de culture et de gastronomie. 

– Je vous recommande de goûter à notre ayran, a-t-il dit. C’est une boisson à base de yaourt, c’est servi frais et légèrement salé, tout à fait excellent par ces températures! 

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 le yaourt et l’eau, constamment brassés, forment un mélange mousseux et très désaltérant.

K comme Kremna

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Kremna, ce sont des ruines sur un pic où ne mène pas de route asphaltée. 

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Située au sommet, elle offre une vue incroyable 

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et n’était accessible autrefois que par cette seule double porte. 

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Quelques « beaux restes » 

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où toutes les inscriptions sont en grec, 

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et un champ de ruines où les archéologues du futur trouveront encore amplement de quoi faire!

H comme Histoire et hüzün

« Dans un Istanbul écartelé entre culture traditionnelle et culture occidentale, entre une petite poignée de personnes extrêmement riches et des quartiers périphériques où vivent des millions de pauvres, dans une ville perpétuellement exposée aux vagues migratoires et structurellement divisée, personne, en cent cinquante ans, n’a vraiment pu se sentir pleinement chez lui. » 

Orhan Pamuk, Istanbul, Folio 4798, 2007, p.170
traduit par S. Demirel, V. Gay-Aksoy et JF Pérouse 

Pamuk parle de la période pendant laquelle le pays est passé de la culture ottomane à la république mais il me semble que celui qui a dit « l’histoire se répète » en trouve ici un nouvel exemple. (1) 

« Dans mon enfance et ma jeunesse (2), les riches Stambouliotes ayant gagné de l’argent grâce à leur créativité ou leurs trouvailles commerciales, et continuant à s’enrichir selon la même logique, donnaient moins l’impression d’avoir confiance en eux que de chercher à cacher(…), à protéger cette fortune qu’ils avaient acquise d’un seul coup par le passé, grâce à une opportunité bien exploitée et à leurs relations avec l’État et la bureaucratie entretenues à coups de pots-de-vin. »

idem, p.287

histoire,littérature

source de l’image et info
http://www.folio-lesite.fr/Catalogue/Folio/Folio/Istanbul2

(1) il y en a une qui est attestée de Paul Morand et une autre de Marx. 

(2) Pamuk est né en 1952