O comme On a fait…

« On a fait ce que font tous les touristes à Venise en hiver », se souvient le narrateur de David Nicholls, qui raconte sa visite de cette ville avec sa future épouse en un mois de février, quelque vingt ans auparavant.

Occasion pour lui de nous refaire les clichés sur Venise:

« On s’abritait de la pluie, et quand le soleil réapparaissait, on buvait du chocolat chaud et amer sur des places glaciales à la grâce et à la beauté stupéfiantes, ou on sirotait des Bellini dans des bars mal éclairés et hors de prix en nous armant de courage en prévision de l’addition.

[…]

Venise était mon premier aperçu de l’Italie, mais où étaient les mammas aux mains pleines de farine et les vauriens aux tignasses emmêlées auxquels je m’attendais? A la place, je découvrais une cité aux portes closes, dont les citoyens assiégés fixaient d’un air mauvais et rancunier – tout à fait compréhensible – les cohortes sans fin de visiteurs présents, y compris en hiver, semblables à des invités qui ne voudraient pas voir qu’il est l’heure de partir. »

David Nicholls, Nous, éd. Belfond, 2015, p.255-256 (trad. Valérie Bourgeois)

Z comme Zorzi

Il a écrit un livre qui s’appelle L’Harmonie du monde, l’armonia del mondo (publié en latin en 1525). Homme de la renaissance italienne, Vénitien, érudit apparemment curieux de tout, comme il se doit pour l’uomo universale de l’époque. 

Vous savez comment se passe une recherche internet: de fil en aiguille, vous allez des paquebots de la lagune à une église à un moine franciscain qui se met à étudier l’hébreu pour lire les écrits bibliques dans le texte… Et ainsi vous arrivez chez Francesco Zorzi et vous vous passionnez pour son Armonia del mondo au point de vouloir le lire. Vous arrivez sur un article qui en parle en des termes très élogieux:

« un libro che si fa ancora leggere per lo stile raffinato, e per l’utopia simbolica che lo anima. L’armonia di cui parla il titolo è quella, segreta e divina, che lega tutti gli aspetti del reale.

un livre encore intéressant à lire pour son style raffiné et pour l’utopie symbolique qui l’inspire. L’harmonie dont parle le titre est celle, secrète et divine, qui relie tous les aspects du réel.

è un sorprendente progetto intellettuale, ora per la prima volta reso accessibile in italiano dalla traduzione di Saverio Campanini, accompagnata da un ricco apparato di note e commenti. Una smisurata città ideale di parole da riscoprire e in cui, perché no, gradevolmente perdersi.

c’est un projet intellectuel surprenant, rendu accessible pour la première fois en italien par la traduction de Saverio Campanini, qui l’accompagne richement de notes et de commentaires. Une immense cité idéale de mots à redécouvrir et où – pourquoi pas – se perdre agréablement. » (traduction de l’Adrienne)

Voilà en effet à quoi l’Adrienne perd agréablement son temps.

Cependant, à tous ces amis et gentils collègues inquiets pour sa santé mentale et son bien-être futur, qui lui posent la question: « Mais à quoi passeras-tu ton temps, quand tu n’auras plus l’école? » elle peut difficilement répondre « Je le perdrai sur google » 🙂

V comme Venise

banksy venise

Banksy est donc à Venise… un petit film qu’on peut voir sur son compte instagram, Venice in oil et repris sur le site de nombreux journaux et médias, devrait le prouver – Voir la source de la photo ci-dessus, ainsi que l’article et une autre possibilité de regarder la vidéo.

Du joli travail, comme toujours, et percutant. 

En même temps, c’est fort comique de le voir chassé comme un malpropre, quand on sait quelle valeur atteignent ses œuvres 🙂

Voilà des années qu’on incrimine – à raison – la présence de ces énormes bateaux de croisière dans les eaux de la lagune. Mais rien ne change.

J’avais déjà fait un billet là-dessus en 2016…

C comme Cecilia

18-07-22 (20) Longhi

Dans la pièce sombre et fermée sur elle-même, hiver comme été, que ce soit pour se garder de la chaleur, du froid, ou de la pestilence du canal, Cecilia Maria est resplendissante de blondeur, de fraîcheur rose et bleue, au milieu des trois hommes qui assistent à sa leçon de chant.

L’oncle Gandolfo, toujours vêtu de noir de la tête aux pieds, se tient tout près d’elle, jusqu’à toucher la soie bruissante de sa jupe, frôler son bras ou sa main, toute son attention tendue vers elle. Il ne s’occupe pas de Padre Antonio, qui prise son tabac en les observant. De toute façon, le Padre ne dira rien. Le Padre sait quels intérêts sont en jeu.

Le maître de musique, debout derrière l’épinette, a les yeux baissés sur la partition qu’il tient en mains. Il n’est là que pour la forme. Mais peu lui importe, la contessa paie honorablement les leçons pour sa fille et la collation est de qualité.

Cecilia Maria chante une canzonetta d’amore tout en regardant son oncle, qui lui a promis un fiancé. Jeune et bien fait, lui a-t-il assuré. Bien mieux que celui que sa mère prétend lui faire épouser. Elle met tout son cœur dans son chant en pensant à un jeune homme qu’elle n’a même pas encore vu en portrait.

D’ailleurs, des hommes, Cecilia Maria ne sait rien de plus, ou presque, que ce qu’elle peut voir sur le tableau accroché derrière elle au mur du salon de musique.

A ses pieds, son petit chien s’impatiente. C’est l’heure de la collation, la servante a du retard.

Lui seul entend ses pas dans le couloir et sent les effluves du chocolat chaud et des gâteaux tièdes aux amandes et aux fruits confits.

***

Tableau de Pietro Longhi, La Lezione di musica, photographié à la Gemäldegalerie à Berlin en juillet 2018. Je n’ai parlé qu’une fois de ce peintre, après une visite du musée de Venise (Ca’Rezzonico) où se trouvent plusieurs de ses oeuvres intimistes, que j’aime beaucoup.

Texte écrit d’après les consignes de Caro qui voulait un tableau, des couleurs et les cinq sens. Merci Caro!

Z comme Zigzags

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Si vous avez des envies de Venise, mais pas le temps ou l’argent pour y aller, lisez Théophile Gautier: 

L’humidité y est extrême ; une odeur fade, dans les chaudes journées d’été, s’élève des lagunes et des vases ; tout y est d’une malpropreté infecte. Ces beaux palais de marbre et d’or, que nous venons de décrire, sont salis par le bas d’une étrange manière ; l’antique Bucentaure lui-même, que les Français ont brûlé pour en avoir la dorure, n’était pas, s’il en faut croire les historiens, plus à l’abri de ces dégoûtantes profanations que les autres édifices publics, malgré les croix et les rispetto dont ils sont couverts. À ces palais s’accrochent, comme un pauvre au manteau d’un riche, d’ignobles masures moisies et lézardées qui penchent l’une vers l’autre, et qui, lasses d’être debout, s’épaulent familièrement aux flancs de granit de leurs voisins. Les rues (car il y a des rues à Venise, bien qu’on n’ait pas l’air de le croire) sont étroites et sombres, avec un dallage qui n’a jamais été refait. Des vieux linges et des matelas sèchent aux fenêtres […] c’est le cadavre d’une ville et rien de plus ; et je ne sais pas pourquoi les faiseurs de libretti et de barcarolles s’obstinent à nous parler de Venise comme d’une ville joyeuse et folle. La chaste épouse de la mer est bien la ville la plus ennuyeuse du monde, ses tableaux et ses palais une fois vus.

Les gondoles, dont ils font tant de belles descriptions, sont des espèces de fiacres d’eau qui ne valent guère mieux que ceux de terre.

C’est un cercueil flottant peint en noir avec une dunette fermée au milieu, un morceau de fer hérissé de cinq à six pointes à la proue et qui ne ressemble pas mal aux chevilles d’un manche de violon. Un seul homme fait marcher cette embarcation avec une rame unique qui lui sert en même temps de gouvernail. Quoique l’extérieur n’en soit pas gai, il se passe quelquefois à l’intérieur des scènes aussi réjouissantes que dans les voitures de deuil après un enterrement.

Les gondoliers sont des marins butors qui mangent des lasagnes et des macaroni, et ne chantent pas du tout de barcarolles.

Quant aux sérénades sous les balcons, aux fêtes sur l’eau, aux bals masqués, aux imbroglios d’opéra-comique, aux maris et aux tuteurs jaloux, aux duels, aux escalades, aux échelles de soie, aux grandes passions à grands coups de poignard, — cela n’existe pas plus là qu’ailleurs. 

***

texte complet ici 

Zigzags a paru en 1845 

la photo a été prise en 2006

Stupeur et tremblements vénitiens

C’est un petit ouvrage d’à peine 58 pages dans sa version italienne qui paraît ce mois-ci en traduction française https://diacritik.com/2016/05/18/roberto-ferrucci-venise-est-lagune-venezia-e-laguna/  

Venezia non è una città di mare. Venezia è laguna.

Venise n’est pas une cité de la mer. Venise est lagune.

I veneziani che escono in barca, si aggirano per le sue fragili e bellissime acque verdi, raramente escono a fendere quelle azzurre dell’alto Adriatico. È questo il paradosso enorme di quell’assurdo dibattito su grandi navi sì, grandi navi no. La laguna non è mare. Anche e soprattutto per questo il resto del mondo sa che la risposta a quel falso dilemma è NO.

Les Vénitiens qui sortent en bateau et se déplacent sur leurs merveilleuses et fragiles eaux vertes, vont rarement jusqu’à celles toutes bleues du haut Adriatique. Voilà le paradoxe énorme de cet absurde débat à propos des grands paquebots oui, grands paquebots non. La lagune n’est pas une mer. C’est aussi et surtout pour cette raison que le reste du monde sait que la réponse à ce faux dilemme est NON.

E forse oggi Venezia è in mano a qualcuno che la vuole trasformare in un grande contenitore commerciale, di consumo. […] Solo se si ritornerà a pensarla e a rispettarla come città di laguna, accettando la sua preziosa e unica fragilità, Venezia potrà continuare a essere la città più bella e amata al mondo.

Et aujourd’hui peut-être Venise se trouve entre les mains de celui qui veut la transformer en un haut lieu de commerce et de consommation. […] Ce n’est qu’en la repensant et respectant comme ville lagunaire, en acceptant sa fragilité unique et précieuse, qu’on pourra la garder comme la ville la plus belle et la plus aimée au monde.

Le polveri sottili che una grande nave rilascia nell’aria sono l’equivalente di quattordicimila automobili circolanti in un giorno. Un ecomostro in movimento che avanza lento verso il bacino di San Marco. […] Centomila tonnellate d’acciaio che solcano le gracili acque della laguna, milioni di chili che fanno sussultare le pietre di Venezia […] ma lasciano apparentemente intatta l’acqua attorno a loro. […] Salvo che poi, eccolo, qualche minuto dopo, l’effetto risucchio e pistone […] senti all’improvviso la terra sotto ai tuoi piedi agitarsi come fosse preda di una mareggiata […] devastanti sul lungo periodo per le rive e le fondamenta di Venezia. 

Les particules fines émises par un paquebot sont l’équivalent de 14000 voitures circulant une journée. Un monstre écologique en mouvement qui s’avance lentement vers Saint-Marc. […] Cent mille tonnes d’acier qui rident les eaux fragiles de la lagune, des millions de kilos qui font tressauter les pierres de Venise […] mais laissent l’eau tout autour en apparence intacte. […] Sauf qu’après quelques minutes, par l’effet de remous, tu sens tout à coup la terre s’agiter sous tes pieds, comme en proie à une tempête […] dévastant les rives et les quais (ou fondations) de Venise.

Les extraits viennent d’ici http://www.michelecatozzi.it/2015/12/28/venezia-e-laguna-un-pamphlet-contro-le-grandi-navi/ (c’est moi qui ai traduit).

Des photos absolument sidérantes de ces paquebots géants qui frôlent les rives et les quais de Venise: Are these giant cruise ships destroying Venice?

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photo prise du blog de l’auteur, Roberto Ferrucci: son livre s’inscrit dans la liste des cris d’alarme lancés ici et là.

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le même triste débat dans un film documentaire allemand de 2012

D comme de l’eau! de l’eau!

Entendu ce colloque entre touristes bien parisiens :

— Alors, vous partez ?

— Mais oui… Nous sommes ici depuis quatre jours, c’est plus qu’il n’en faut pour tout voir (sic).

— Vous vous êtes bien amusés ?

— Oh ! ça, non ! Je trouve Venise d’un triste !

— Vraiment ?

— Oui… on a tout le temps l’air de se promener dans des inondations.

Alphonse Allais, Venise, in À l’œil, Flammarion, 1921

***

Texte complet ici: http://fr.wikisource.org/wiki/%C3%80_l%E2%80%99%C5%93il/Venise

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je me demande bien pourquoi, ces derniers temps, il m’est venu des envies de Venise Langue tirée
(photo prise au printemps de 2006)

V comme Venise (6)

« La seconde gondole, qui avait réglé son allure sur la nôtre, accosta derrière nous au débarcadère de la gare du chemin de fer de Santa Lucia. Sans doute ne nous restait-il plus maintenant qu’à faire demi-tour et à regagner piteusement l’hôtel. Papa avait l’air si désespéré que personne n’osait ouvrir la bouche pour le consoler du désastre. Cependant, maman lui conseilla d’aller se renseigner, pour plus de sûreté, au guichet. Il s’y rendit en traînant les pieds. Trois minutes plus tard, il revenait transfiguré: par chance, à cette époque, les trains étaient rarement à l’heure en Italie. Le nôtre n’était même pas tout à fait formé. Nous avions juste le temps de l’attraper en courant. Nous coltinâmes les bagages et nous ruâmes, encadrant grand-mère qui gémissait et boitillait, vers le quai où le convoi attendait encore sa locomotive. Lorsque toute notre famille se fut affalée sur les sièges du compartiment, j’eus l’impression que nous venions d’échapper, par miracle, à la dernière attaque des bolcheviks. Reprenant sa respiration, maman dit, avec un rien de reproche dans la voix:
– Comme toujours, Aslan, tu as eu tort de t’inquiéter: à cause de ton impatience, tu n’as même pas vu Venise! »

Henri Troyat, Le fils du satrape, Grasset 1998, pages 18-19

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au fil du Canal Grande, sept heures du soir: ponte dell’Accademia

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Je n’ai pas pris de photo de la gare de Santa Lucia (elle manque de charme) par contre j’ai photographié un des nombreux paquebots de luxe (surtout grecs) qui défilent tous les jours dans la lagune:

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photo prise vers 07.30 h.
Au même moment et au même endroit, un autre genre de bateau vient ramasser le linge sale des hôtels:

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V comme Venise (5)

« Au jour dit, à l’heure dite, nous embarquâmes dans deux gondoles commandées pour nous par le concierge de l’hôtel. En mettant le pied dans le bateau, papa avait l’air soucieux d’un général à la veille d’une bataille. Je pris place avec lui, maman et grand-mère dans le premier de ces esquifs à la silhouette élégante et funèbre, mon frère, ma soeur et Mlle Boileau s’installant dans le second. Et la lente glissade commença, dans un silence religieux, entre les orgueilleuses façades des palais vénitiens, échelonnés de part et d’autre du Grand Canal.« 

Henri Troyat, Le fils du satrape, Grasset 1998, page 15.

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vue sur le Canal Grande et le palazzo Cavalli Franchetti

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Canal Grande, vue sur le ponte dell’Accademia

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Canal Grande, palazzi et vaporetti

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que l’on regarde à gauche ou à droite Clin d'œil

V comme Venise (4)

« – On n’a pas le droit, quand on est à Venise, de s’en aller sans l’avoir visitée! soupirait maman. Une telle occasion ne se retrouvera peut-être jamais! Il suffirait de changer la date des billets…
– Je sais quelques mots d’italien, précisa Mlle Boileau. Si vous voulez, monsieur, je peux très bien aller discuter à la gare, tâcher d’arranger les choses…
Mais « monsieur » fut intraitable. Ayant épuisé tous ses arguments, maman se résigna. Pourtant, elle suggéra qu’à titre de « compensation » nous nous rendions à la gare non dans un de ces canots à moteur rapides et bruyants, qui fendent l’eau avec insolence, mais dans une idyllique gondole. Papa sourit avec mansuétude, sous sa courte moustache, à cette manifestation d’un romantisme désuet chez son épouse. Mais elle avait un si joli regard qu’il céda:
– Seulement, dit-il, je crois que nous sommes trop nombreux et que nous avons trop de bagages pour une seule gondole. Nous en prendrons deux, par précaution. »

Henri Troyat, Le fils du satrape, Grasset 1998, pages 14-15.

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la maison des gondoliers est en bois et de nombreux chapeaux y sont accrochés; des gondoles sont en attente de réparation

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à 07.30 h., le trafic est déjà intense mais les gondoles sont encore au repos

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pour aller à la gare en gondole par le canal Grande, on passe sous le ponte Rialto Cool

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et quand on voit les vaporetti qui accostent d’une rive à l’autre, les gondoles qui promènent les touristes, les nombreux canots à moteur de toutes les tailles, les taxis qui filent en tous sens, on se demande comment il est possible qu’il n’y ait pas davantage d' »accidents de canaux » Langue tirée

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comme ici, à l’embarcadère de san Zaccaria