R comme réveillon(ne)

Cette invention américaine est bonne pour les personnes sans foi ni loi, a décrété la mère.

Ici, on n’accorde sa confiance qu’à la mitre et à la crosse: on dit oui à la barbe blanche et à la tenue rouge, à condition que ce soit avec une croix dorée brodée dessus et une bague épiscopale à la main gauche.

Alors bien sûr, faisons la fête, mais uniquement avec une grande table, une nappe blanche, des bougies, des assiettes de fine porcelaine qui dorment dans l’armoire toute l’année, des huîtres, des bouchées à la reine, une dinde farcie, des croquettes de pommes de terre, des airelles, une bûche à la crème et la messe de minuit.

***

Merci à Joe Krapov pour sa consigne « Fêtons Noëlle » qui demande de n’employer que des substantifs féminins.

L comme Lourdes

Il faut croire aux miracles.

C’est pour ça que tant de gens vont à Lourdes, n’est-ce pas ?

Et ici le premier miracle a déjà eu lieu avant qu’on ne parte : que mon épouse accepte de quitter sa maison pour plus de huit jours !

– On pourrait partir tous ensemble, lui avais-je dit il y a quelques mois, toi et moi, notre fille, notre gendre, ses parents et sa petite sœur, qu’est-ce que tu en dis ?
– Même pas en rêve ! qu’elle m’a répondu.

Ah ! Je ne vous dis pas le nombre de fois que j’ai dû entendre « Ça ne se passera JAMAIS ! », mais elle a fini par céder quand je lui ai annoncé que le but du voyage était Lourdes.

La constance, y a que ça de vrai.

Bref, un événement que je tenais à immortaliser par une belle photo et l’occasion s’en est présentée au cirque de Gavarnie.

On est descendus du bus, les jeunes mariés, mon épouse et moi, les parents et la petite sœur de notre gendre… et là, PAF ! Trois olibrius à lunettes sont venus se poster à côté de nous, des gens avec qui on avait à peine échangé un bonjour ou un bonsoir!

La moutarde m’est montée au nez – oui, je suis comme ça et mon épouse me connaît bien, elle a réagi au quart de tour – elle m’a dit un truc dont je ne me souviens même pas, genre « On ne va pas en faire un fromage », mais en plus convaincant.

Alors on a tous pris la pose et fait un beau sourire, même les trois olibrius, à qui mon épouse tourne légèrement le dos, histoire de bien montrer que nous n’avons rien en commun.

***

Texte écrit pour cette consigne de Joe Krapov – merci à lui – avec une photo de famille qui avait déjà servi à une krapoverie de 2016 et six des phrases qu’il proposait au choix:

Ça ne se passera jamais
Nous n’avons plus rien en commun
La constance, y a que ça de vrai
Il faut croire aux miracles
Même pas en rêve
On ne va pas en faire un fromage

V comme vive la famille!

On m’appelle l’homme des bois et non, ce n’est pas une légende.

Ce n’est pas le Hollandais du 17e siècle qui a mal compris le langage local ou mal interprété ce qu’il entendait pour la première fois.

Le malais et le javanais me donnent ce nom depuis le premier millénaire: urang, qui veut dire homme, être humain, et hutan, qui désigne les bois, la forêt.

D’ailleurs, vous le savez bien que nous sommes frères.
Ou plutôt cousins, pour être exact.
Vous êtes frères des chimpanzés et des bonobos, que ça vous plaise ou non.

Vous m’avez vu faire face aux machines venues détruire les arbres qui m’abritent et me nourrissent.
Geste désespéré et dérisoire, je le sais bien.
Je suis assez intelligent pour le savoir.
Mais on fait de ces choses désespérées quand on l’est.
Vous comme moi.

Vous le savez bien, pourtant, que je suis sur la liste rouge, celle des animaux menacés, en danger critique d’extinction.

Merci à Joe Krapov pour sa consigne, je lui avais envoyé un de mes dessins du temps où Bruxelles brusselait et l’Adrienne dessinait 😉

Tout savoir sur l’origine du mot orang-outan? c’est ici.

H comme hier

Hier pour la première fois nous n’avons pas pu lui parler, la voir, l’embrasser pour lui souhaiter son anniversaire.
Elle nous manque beaucoup.
A son mari, à ses enfants, à ses petits-enfants et à l’Adrienne, qui l’appelait sa Tantine.

Hier chez l’ostéopathe, quand l’Adrienne expliquait que ses crampes d’estomac ont commencé la nuit où elle a été l’auditrice (très) involontaire d’une violente dispute entre ses voisins, dispute à laquelle assistait aussi une petite fille qui logeait chez eux, l’ostéopathe lui a demandé pourquoi ça la touchait tellement et la réponse « parce que c’est un enfant! on ne peut pas faire ça à un enfant, ça me déchirait le cœur de l’entendre éclater en sanglots » ne l’avait pas satisfaite.

Probablement, disait-elle, que ça touchait quelque chose de plus personnel, un souvenir de sa propre enfance, peut-être?

Évidemment que l’Adrienne a un souvenir d’enfance comme celui-là.
Qu’elle a été témoin d’une dispute violente, à l’âge de sept ans, assise dans un coin de la pièce où les trois adultes l’avaient apparemment oubliée et se lançaient les unes aux autres leurs « quatre vérités ».

Les trois adultes de la photo ci-dessus.
Et l’adorable Tantine est celle du milieu, bien sûr 🙂

D comme décorum

– Je passerai te chercher demain vers quatorze heures, dit-il au téléphone.

Contente? contente! bien sûr qu’elle est contente!

Mais le sentiment qui domine est toujours le même: que va-t-elle mettre?
C’est qu’il est difficile, son petit-fils!
Très pointilleux sur ce qui se porte, ce qui est classe, ce qui est ringard, ce qui est plouc, vieux ou de mauvais goût.

Elle étale quelques tenues sur le grand lit.
Assortit les couleurs. Le sac. Les chaussures.
Revérifie la météo: pantalon ou robe? pull ou foulard? sandales ou mocassins?

N’arrive pas à se décider.

La nuit, ça la tient éveillée.
Enfin, c’est ce qu’elle dit.

– Si tu n’as que ça comme souci, lui dit sa fille, ça va. Il n’y a pas de quoi perdre le sommeil. Et puis, tu n’as qu’à lui demander son avis, il sera heureux de décider à ta place!

Alors c’est ce qu’elle fait:

– Viens un peu plus tôt, dit-elle au petit-fils, tu me diras quoi mettre. Je ne voudrais pas que tu aies honte de ta vieille grand-mère.

***

Merci à Monsieur le Goût pour son 135e devoir de Lakévio du Goût avec le tableau ci-dessus et la consigne suivante:

Cette toile de Nicole Bellocq me rappelle quelque chose. Mais à vous ? Inspire-t-elle une histoire quelconque ? Si oui, j’aimerais qu’elle fût close par « Alors, tu as honte de ta vieille mère ? »

P comme Pawtucket

C’est normal, si on y pense, que l’oncle Jozef se soit précisément installé à Pawtucket: la ville avait la même spécialité que celle d’où il venait, l’industrie textile.

Une ou deux fois par an, l’oncle Jozef envoyait une photo de lui à une de ses sœurs ou à un de ses frères et chaque fois on y voyait des choses incroyables!

C’est bien pour ça qu’il était le préféré de sa douzaine de neveux et de nièces, même s’ils ne l’avaient vu qu’une fois encore, juste avant la guerre.

Celle de 14, bien sûr.

Tous ils avaient dû attendre l’autre guerre, la suivante, et attendre d’être largement adultes, avant de voir de leurs propres yeux ce qu’ils avaient vu, enfants, sur une de ces photos: une moto à laquelle était attachée une sorte de barquette en métal brillant.

Et bien sûr, dans la barquette de la photo trônait l’oncle Jozef, en cravate, fumant le cigare, royal.

On ne comprenait pas tout, on ne savait même pas comment ça s’appelait, mais on comprenait l’essentiel: l’oncle avait si bien réussi ses affaires qu’il se faisait transporter au lieu de se fatiguer à marcher.

Et puis est arrivée cette photo-là.

Stupéfaction chez sa sœur Céleste.
Oserait-elle montrer ça à quelqu’un?
Jozef était-il devenu fou?
Avait-il vraiment ouvert une baraque de foire?
Et quelle sorte de baraque?

Personne dans la famille ne parlait ni ne comprenait un mot d’anglais. Mais aucun doute n’était possible: c’était bien lui, là, avec un chapeau et un nœud papillon, vendant des tickets à 10 centimes pour Dieu sait quelle sorte de spectacle!

– On ne va pas montrer ça aux enfants, a décidé Céleste après avoir consulté sa sœur aînée.

***

écrit pour l’Agenda ironique d’août – merci à l’Ornithorynque pour la photo et la consigne!

La part de vérité est ici et le reste est fiction 😉

M comme Maria

Les deux sœurs étaient on ne peut plus différentes, de caractère comme d’aspect physique, pourtant bien souvent Maria disait:

– Il y avait quinze mois d’écart entre nous, mais nous étions comme des jumelles!

Et c’est vrai que sur les photos de la petite Ivonne, avec mari et enfants sur une plage de Knokke, il y avait généralement aussi Maria, devant ou derrière la caméra.

Maria, dont ils se moquaient gentiment dans les lettres qu’ils s’écrivaient dès qu’ils étaient séparés plus de deux jours: chaque fois qu’ils la nommaient, c’était pour annoncer qu’elle s’était encore disputée avec son fiancé et que cette fois c’était définitif!

Ceux qui l’aimaient disaient qu’elle avait du répondant, les autres qu’elle était impossible à vivre et qu’elle finirait vieille fille.

C’est d’ailleurs ce qui lui est arrivé, puisque dix ans plus tard, quand la petite Ivonne est décédée, les beaux-frères du veuf ont mis tout leur poids dans la balance pour qu’il épouse la si différente « jumelle », la faisant passer ainsi du statut de tante à celui de maman.

– Tu ne peux pas continuer éternellement à confier tes enfants à l’une ou l’autre de tes belles-sœurs, argumentait un des frères aînés. Épouse Maria et tout est résolu!

Ce qui a fini par arriver, à la longue.

Sans enthousiasme ni passion, mais avec assez de sympathie mutuelle.

– J’ai tout de même posé mes conditions! disait Maria. Tout d’abord, faire disparaître toutes les photos et tous les souvenirs d’Ivonne!

C’est donc miracle si aujourd’hui l’Adrienne dispose de quelques lettres et de quelques clichés témoins de ce court bonheur.

***

Pour Maria, en ce jour de sa fête.

G comme généalogie

C’est un peu par hasard et surtout grâce à l’aide d’un généalogiste chevronné que l’Adrienne a pu remonter la branche portant le patronyme de son grand-père maternel, tenez-vous bien, jusqu’à la quinzième génération 😉

Et ce qui lui fait le plus plaisir, ce qui la fait vraiment beaucoup rire, c’est de constater que ces plus anciens de la lignée de Bon-Papa étaient tous des cultivateurs-tisserands nés et morts au village de S***.

Entre 1565 et 1794, tous nés et morts à S***.

S***, c’est là où l’Adrienne et l’Homme avaient acheté la maison de leurs rêves, en pleine nature.

Or, comment a réagi Bon-Papa, le jour où ils le lui ont annoncé?

Ie S***? Woer dan z’uur kloefen verkiers andoen?

Ce qui veut dire: à S***? Là où ils mettent leurs sabots à l’envers?

Visiblement, il ne savait pas que sa famille était originaire de là-bas 😉

D comme doute

Photo de Pixabay sur Pexels.com

– Tu ne peux pas savoir, dit-elle, comme je suis soulagée! Incroyablement soulagée! Et je peux enfin en parler!

Parler de quoi, se demande l’Adrienne mais elle se tait et écoute.

– Tu sais que j’ai cru que je n’étais pas la fille de mes parents?
– Ah bon? Et pourquoi donc?

Alors voilà l’histoire: c’est une affaire de groupe sanguin.
Ses parents ont un groupe sanguin différent du sien.
Elle s’est imaginé que ça n’était pas normal.

Comme elle est fille unique, elle ne pouvait pas comparer et vérifier pour un frère, une sœur, si ça se confirmait ou s’infirmait, et chaque fois qu’un médecin lui posait la question de ses « antécédents familiaux » elle se demandait si ça valait la peine de s’inquiéter de l’hérédité.

– Tu comprends, dit-elle, j’ai gardé ça pour moi pendant des années, je ne savais pas à qui le demander, n’importe quel médecin aurait tout de suite deviné qu’il s’agissait de moi, de mes parents, je ne pouvais pas leur faire ça, ici tout le monde se connaît… et personne n’aurait cru à l’histoire du bébé échangé à la clinique, ça, c’est bon pour un film, mais dans la vraie vie?

Bref, elle a enfin une réponse qui lui a permis de lever le doute sur la fidélité de sa mère ou sur toute autre hypothèse: elle est bien la fille de ses deux parents 🙂

Le jeu des 7 erreurs

Quinze jours avant la fête, Monsieur Neveu était passé à l’appartement maternel pour lui sélectionner la tenue adéquate.

L’élégance était de mise, jugeait-il, et lui-même porterait – bien évidemment – le costume, la cravate, les chaussures fermées.

Dans un dernier sursaut de volonté, le jour J la mère a tout de même préféré le confort de ses sandales à l’élégance des petits souliers dorés exigés par son petit-fils.

– Tu verras, lui avait assuré l’Adrienne, il sera bien le seul avec son costume et sa cravate!

Et en effet: on a pu admirer cent vingt personnes (moins une ou deux, donc ;-)) portant les tenues les plus estivales, tongs, bermudas, baskets, T-shirts à inscription humoristique ou publicitaire, shorts e tutti quanti.

Mais bien sûr l’Adrienne n’a fait aucune remarque 😉