– Mes amis, nous dit M. d’Éprouesse, nous faisons, si vous voulez bien, nos cent kilomètres par petite journée. C’est peu, trouvez-vous. Une bicyclette en rougirait. Mais nous en serons mieux pour faire escale à notre guise, bonne chère à notre appétit et dodo tout notre content : nous faisons un voyage d’agrément.
Car, M. d’Éprouesse voyage en voiture à pétrole.
Pendant l’été de 1894, l’écrivain René Boylesve fait un premier voyage en automobile avec deux amis et un mécanicien.
Ils partent de Paris pour se rendre au lac du Bourget.
Le voyage – environ 600 kilomètres – leur prendra neuf jours, vu que leur machine ne fait que du 17 km/h. Ce que l’auteur appelle « une allure vive ».
Si vive, dit-il, que lorsqu’on roule, on ne ressent pas la chaleur du jour.
La machine, qu’ils ont baptisée Azurine, tombe régulièrement en panne. On répare sur place et on redémarre: vers treize heures, on est à Barbizon, pour y déjeuner.
Enfin nous revoici lancés ; l’aiguille du compteur enregistre des kilomètres vierges d’incidents nous faisons dix-sept ou dix-huit à l’heure; nous voyons pointer les clochers de Melun; nous opérons dans la ville une descente à tous freins.
A une heure, nous atteignons Barbizon. Tout le monde sait ce qu’est un déjeuner à l’hôtel de la Forêt, qui ne diffère pas sensiblement pour les voyageurs en voiture à pétrole, sinon par la condescendance que nous obtenons du personnel et l’inquiétude mal dissimulée qu’inspirent à d’élégantes jeunes femmes notre tenue et nos barbes saupoudrées de poussière, Une halte de deux grandes heures ne nous paraît pas exagérée. Puis nous faisons une délicieuse traversée en forêt, en vitesse moyenne, nous brûlons Fontainebleau, et, par la charmante vallée du Loing, parmi des prairies et un continuel et reposant voisinage d’eau, nous gagnons à sept heures précises la pittoresque petite ville de Moret aux portes fortifiées, à l’antique ceinture de murailles, où la rencontre fortuite de l’admirable artiste S… et de sa gracieuse femme nous vaut un dîner et une soirée inopinés durant lesquels la conversation, qui ne peut s’écarter du pétrole, nous amène à jeter les bases d’une idéale voiture dont je vous épargne le plan fantastique et que nous souhaitons à la postérité.
La postérité, on connaît, tout au moins jusqu’à 125 ans plus tard 😉
Si ça vous a donné envie, le texte complet est ici:
Azurine, ou le nouveau voyage (publié en 1895)
Source de la photo ici – Panhard, Levassor et Mayade en 1892.