Stupeur et tremblements

Laissons là pour une fois toutes les causes de stupeur et tremblements fournies par l’actualité et revenons à la généalogie.

En 1619, quand Nicolas Aerts et son épouse font baptiser leur fils, le curé qui note les noms est soit dur de la feuille, soit fort distrait, il inscrit le nom Orts.
Ou Ots, ce n’est pas vraiment clair.

Quand le fils à son tour fait baptiser un enfant mâle, le curé, aussi gâteux ou aussi taquin que son prédécesseur – on est toujours dans la même paroisse bruxelloise – note le nom de famille Lot.
Ou Lots.
On n’est plus à un détail près.

En 1676, même paroisse, même lignée, cette fois la descendance est inscrite sous le nom de ‘De Lo’.

Au début du 18e siècle, De Lo est devenu Dulot.

Puis Dello.

Bref, voilà des gens qui ont changé de nom à chaque génération 😉

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Par bonheur pour l’Adrienne, le fil qui fait remonter la petite Ivonne – vingt-trois ans sur la photo et enceinte de son second enfant à l’été 1927 – à ses lointains ancêtres bruxellois est moins tortueux: juste parfois un H en trop ou un s en moins 😉

M comme Maria

Les deux sœurs étaient on ne peut plus différentes, de caractère comme d’aspect physique, pourtant bien souvent Maria disait:

– Il y avait quinze mois d’écart entre nous, mais nous étions comme des jumelles!

Et c’est vrai que sur les photos de la petite Ivonne, avec mari et enfants sur une plage de Knokke, il y avait généralement aussi Maria, devant ou derrière la caméra.

Maria, dont ils se moquaient gentiment dans les lettres qu’ils s’écrivaient dès qu’ils étaient séparés plus de deux jours: chaque fois qu’ils la nommaient, c’était pour annoncer qu’elle s’était encore disputée avec son fiancé et que cette fois c’était définitif!

Ceux qui l’aimaient disaient qu’elle avait du répondant, les autres qu’elle était impossible à vivre et qu’elle finirait vieille fille.

C’est d’ailleurs ce qui lui est arrivé, puisque dix ans plus tard, quand la petite Ivonne est décédée, les beaux-frères du veuf ont mis tout leur poids dans la balance pour qu’il épouse la si différente « jumelle », la faisant passer ainsi du statut de tante à celui de maman.

– Tu ne peux pas continuer éternellement à confier tes enfants à l’une ou l’autre de tes belles-sœurs, argumentait un des frères aînés. Épouse Maria et tout est résolu!

Ce qui a fini par arriver, à la longue.

Sans enthousiasme ni passion, mais avec assez de sympathie mutuelle.

– J’ai tout de même posé mes conditions! disait Maria. Tout d’abord, faire disparaître toutes les photos et tous les souvenirs d’Ivonne!

C’est donc miracle si aujourd’hui l’Adrienne dispose de quelques lettres et de quelques clichés témoins de ce court bonheur.

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Pour Maria, en ce jour de sa fête.

Dernières découvertes

Samedi matin le tout premier message venait d’un généalogiste amateur rencontré sur geneanet.org – est-ce un hasard, il habite précisément la ville de l’Adrienne 😉

– J’ai là deux documents, écrit-il, qui vont probablement t’aider.

En effet, le premier est une photo de l’acte de naissance de la mère de la grand-mère paternelle.
Née en 1881.

Dans la marge, sous son numéro d’ordre et son nom de famille, est noté l’infâmant ‘illegt‘.
C’est la sage-femme qui est venue déclarer l’enfant le lendemain de sa naissance: la jeune mère, 22 ans, n’a pas de mari.

Ce qui a immédiatement rappelé à l’Adrienne un prof d’histoire affreusement cynique qui semblait prendre plaisir à ‘casser’ tous les rêves des gamines qu’il avait devant lui.
Genre « oui oui vous dites ça, mais vous verrez, vous finirez toutes braves petites femmes au foyer ».
Et autres choses du même acabit à propos de tout ce qu’on aime croire beau, à seize ans – l’amour, par exemple – et dont on découvrira bien assez tôt les épines.

Ainsi un jour – sans aucune raison, sans le moindre lien avec rien de ce qui se passait en classe à ce moment-là – s’est-il mis à se gausser des généalogistes qui, croyant trouver des ancêtres nobles, se trouvent être des bâtards.

C’est le mot qu’il a dit.

Mais l’Adrienne, en voyant ces quelques données sur une inconnue arrière-arrière-grand-mère Clémence, n’a pour elle qu’un immense amour.
Et des tas de questions.
Que lui est-il arrivé?
Était-ce par amour ou par violence?
Comment l’a-t-elle vécu?
Et la petite Zoé?

La petite Zoé a fini par avoir un papa, quand elle avait treize ans: sa mère s’est mariée, son beau-père l’a ‘reconnue’ et lui a donné son nom.

Et quand la petite Zoé devenue grande a eu son premier enfant, une petite fille, elle l’a appelée Ivonne.

Ivonne Clémence.

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sur la photo, les trois enfants de la petite Ivonne au printemps de 1934.

X c’est l’inconnu

Quand à l’âge de quatre ou cinq ans mini-Adrienne découvre que des fillettes comme elle peuvent mourir, ainsi que leur maman aussi jeune que la sienne à ce moment-là – trente ans – ça la fait beaucoup, beaucoup réfléchir.

Toutes sortes de réflexions qui reposent sur des « Et si…? »

Et si les petites sœurs de son papa n’étaient pas mortes?
Elle aurait deux tantines de plus!

Et si la petite Ivonne n’était pas morte?
Le grand-père ne se serait pas remarié.
Mais alors sa Tantine ne serait pas née?
Et le grand-père aurait peut-être eu d’autres enfants avec Ivonne?
Les fillettes mortes auraient grandi, se seraient mariées, auraient eu des enfants?
ça lui ferait des tas de cousins?

Aujourd’hui l’Adrienne ne peut s’empêcher de recommencer les supputations avec les « Et si…? »

Et s’il n’y avait pas eu ce covid au même moment que les premiers symptômes graves du cancer?
Et si la Tantine n’avait pas été une vraie dure à cuire, une de ces femmes qui ne courent pas chez le médecin au moindre bobo? Qui se disent « ça passera » et « ce ne sera rien »?

Etc. Vous imaginez sûrement tous les « Et si…? » possibles.

Ne lui dites pas que c’est un petit jeu absurde: elle le sait.
Mais elle y joue quand même 😉

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sur la photo, mini-Adrienne s’entraînant au planking, entourée par sa mère, sa Tantine de 15 ans et la maman de la Tantine.

U comme une trottinette

La photo doit dater du printemps de 1934: la petite sœur a presque trois ans, le grand frère, qui tient tout l’équipage en équilibre, en aura neuf en juillet et le blondinet du milieu, qui est le papa de l’Adrienne, a six ans.

Ils sont sur la trottinette du grand frère, rassemblés devant la porte de la chapellerie paternelle.

Sur le seuil, on voit encore un pied. Le reste de la personne a soigneusement été ‘gommé’ par le photographe: une femme enceinte ne se faisait pas photographier.

C’est bien dommage, parce que ce serait une des dernières photos de la maman du trio: elle mourra à la naissance de son quatrième enfant.

Tout comme la petite sœur, tombée malade l’hiver d’après.

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Vous comprenez, maintenant, pourquoi je n’ai pas envoyé ma participation aux joyeux drilles du Défi du Samedi?

I comme image

Quand le téléphone sonne dimanche en fin d’après-midi, l’Adrienne se précipite, pensant que c’est sa mère ou le petit frère, pour annoncer qu’ils sont bien arrivés à destination. Mais c’est une autre voix, une vieille dame inconnue qui ne se présente qu’en donnant son âge:

– J’ai 85 ans et je connais votre maman depuis l’école primaire.

Alors elle raconte: son mariage, les deux adresses où elle a vécu, et une vieille valise noire.

Puis elle fait un retour en arrière.
En 1942.

– Vous savez comment c’est, dans une classe, il y en a toujours une qui ose plus que les autres. Alors celle-là a dit: on va y aller. Et on y est allées. A trois. On a sonné à la porte, une dame est venue ouvrir. On a dit qu’on voulait voir Jeannine. Alors on a pu monter et là on l’a vue, couchée dans sa robe blanche.

La petite Jeannine, la petite sœur du père, morte le jour de ses huit ans, le 25 mars 1942.

La vieille dame au téléphone enjambe à nouveau les années.
Elle raconte la maladie de son mari.
Que cela a nécessité un départ en maison de retraite et de soins, où elle l’a accompagné, quittant à regret sa maison.
Elle raconte le décès de son mari un an plus tard.
La maison mise en vente.
La vieille valise noire.

Que récemment elle a fini par ouvrir pour en découvrir le contenu: papiers, photos, souvenirs d’une très lointaine époque.

– J’ai fait un tri et j’ai mis l’essentiel dans deux boîtes à chaussures. Mais maintenant, avec le corona, je n’ai plus le droit d’aller dans ma maison. Si j’y vais, je dois rester quinze jours en quarantaine dans ma chambre, et ça, ce n’est pas vivable!

C’est que dans les maisons de retraite, ça ne rigole pas, avec la pandémie. Donc elle a demandé à une ancienne voisine d’aller lui chercher, dans une de ces boites à chaussures, une image.

– Elle a cherché, elle a cherché, son mari commençait même à s’inquiéter où elle restait si longtemps, mais elle ne l’a pas trouvée…

Consternation de la vieille dame.

– J’ai dit à mon amie Daisy de prier saint Antoine pour qu’on la retrouve… et dès qu’on l’aura, on viendra la mettre dans votre boîte aux lettres!

L’image pieuse du décès de la petite Jeannine, que l’Adrienne a déjà en trois exemplaires.

Mais ça, elle ne l’a pas dit à la vieille dame, qui est si heureuse de faire plaisir en transmettant cette relique. 

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Ci-dessus la photo des deux petites sœurs sur le caveau de famille, Jeannine est la petite brune, comme Ivonne sa maman. 

A comme Albert

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Joue-t-il au cerceau ou pousse-t-il une charrette à bras? se demande l’Adrienne en découvrant ce dessin proposé par Monsieur le Goût.

C’est une vieille photo de son père en pantalon de golf, poussant son cerceau dans la rue des Jardins, juste avant la guerre de 40, qui lui est revenue en mémoire pour sa ressemblance avec le vif mouvement des jambes et le corps penché derrière ce cercle.

Guerre, emprisonnement, évasion et liberté, le vocabulaire aussi rappelle cette époque de couvre-feu et de disette.

Et puis le prénom de l’artiste, Albert Marquet.

L’Adrienne, qui travaille en dilettante à la généalogie familiale, est justement occupée avec un autre Albert, né le 21 janvier 1706. Ce qui lui avait fait s’exclamer « encore un Albert! » ou « déjà un Albert! » ou même les deux à la fois.

Parce que les mêmes prénoms reviennent à chaque génération sur plus de deux siècles. Surtout des Albert et des Jean-Baptiste.

C’est la petite Ivonne qui a mis fin à la tradition, profitant de son statut de jeune épouse très aimée, pour ne pas appeler son premier né Albert – comme il aurait fallu – mais André.

Vive la liberté 🙂

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Merci au Goût pour ce 32e devoir de Lakevio du Goût:

Vous ne trouvez pas que ce dessin d’Albert Marquet, est un beau symbole d’évasion ? En ces temps d’emprisonnement généralisé racontez nous une histoire de liberté recouvrée.
Si c’était fait lundi, ce serait bien.

Y comme Yvonne

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Il y en a plus d’une, à Ostende, des « villa Yvonne » construites à la fin du 19e siècle, mais celle-ci, fraîchement restaurée et remise à neuf, est particulièrement pimpante. 

Et moi particulièrement heureuse d’avoir cette belle occasion de penser à la petite Yvonne… 

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ici elle est enceinte de mon père et l’Oncle a juste deux ans 

photo du dessus prise à Ostende le 3 novembre, aux Venetiaanse gaanderijen, expo de photos de villas d’époque qui ont été restaurées par des particuliers et qui sont aujourd’hui de merveilleuses habitations

K comme Knocke ou Knokke

D’abord, il y a eu ce tableau, au Petit Palais: 

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Il est de la main de Camille Pissarro et s’intitule Le village de Knocke. 

– Tiens, se dit l’Adrienne, Pissarro est allé à Knokke en 1894? Et sur quelle hauteur s’est-il perché pour avoir ce point de vue sur le village? Écrivait-on réellement « Knocke » avec un c à l’époque ou est-ce une erreur? 

Bref, un tas d’interrogations devant ce joli tableau qui sent si peu la mer et les mondanités d’aujourd’hui. 

La réponse à la première question est oui: en juillet 1894, Théo Van Rysselberghe est à Knokke et Pissarro vient l’y rejoindre. On peut lire dans sa biographie qu’une maladie des yeux l’empêchait de peindre en extérieur: c’est pourquoi, il le faisait de la fenêtre de sa chambre. 

La troisième question a trouvé sa réponse dès le lendemain, à l’expo Hergé: 

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Sur cette affiche publicitaire réalisée par Georges Remi entre les deux guerres on remarque la même graphie avec le c au lieu du k actuel. 

C’est l’époque où le père de l’Adrienne, d’abord dans le ventre de sa mère, puis tout bébé et petit enfant, découvrait les plaisirs de la plage. 

Il y a même dans les archives familiales une photo unique de la petite Ivonne dans ce genre de maillot de bain tongue-out

De la grand-mère Adrienne aussi, d’ailleurs… 

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Sur la plage de Knokke, entre la petite Ivonne et son mari, leur premier-né; 
le père de l’Adrienne est encore au stade préparatif…