Quand le téléphone sonne dimanche en fin d’après-midi, l’Adrienne se précipite, pensant que c’est sa mère ou le petit frère, pour annoncer qu’ils sont bien arrivés à destination. Mais c’est une autre voix, une vieille dame inconnue qui ne se présente qu’en donnant son âge:
– J’ai 85 ans et je connais votre maman depuis l’école primaire.
Alors elle raconte: son mariage, les deux adresses où elle a vécu, et une vieille valise noire.
Puis elle fait un retour en arrière.
En 1942.
– Vous savez comment c’est, dans une classe, il y en a toujours une qui ose plus que les autres. Alors celle-là a dit: on va y aller. Et on y est allées. A trois. On a sonné à la porte, une dame est venue ouvrir. On a dit qu’on voulait voir Jeannine. Alors on a pu monter et là on l’a vue, couchée dans sa robe blanche.
La petite Jeannine, la petite sœur du père, morte le jour de ses huit ans, le 25 mars 1942.
La vieille dame au téléphone enjambe à nouveau les années.
Elle raconte la maladie de son mari.
Que cela a nécessité un départ en maison de retraite et de soins, où elle l’a accompagné, quittant à regret sa maison.
Elle raconte le décès de son mari un an plus tard.
La maison mise en vente.
La vieille valise noire.
Que récemment elle a fini par ouvrir pour en découvrir le contenu: papiers, photos, souvenirs d’une très lointaine époque.
– J’ai fait un tri et j’ai mis l’essentiel dans deux boîtes à chaussures. Mais maintenant, avec le corona, je n’ai plus le droit d’aller dans ma maison. Si j’y vais, je dois rester quinze jours en quarantaine dans ma chambre, et ça, ce n’est pas vivable!
C’est que dans les maisons de retraite, ça ne rigole pas, avec la pandémie. Donc elle a demandé à une ancienne voisine d’aller lui chercher, dans une de ces boites à chaussures, une image.
– Elle a cherché, elle a cherché, son mari commençait même à s’inquiéter où elle restait si longtemps, mais elle ne l’a pas trouvée…
Consternation de la vieille dame.
– J’ai dit à mon amie Daisy de prier saint Antoine pour qu’on la retrouve… et dès qu’on l’aura, on viendra la mettre dans votre boîte aux lettres!
L’image pieuse du décès de la petite Jeannine, que l’Adrienne a déjà en trois exemplaires.
Mais ça, elle ne l’a pas dit à la vieille dame, qui est si heureuse de faire plaisir en transmettant cette relique.
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Ci-dessus la photo des deux petites sœurs sur le caveau de famille, Jeannine est la petite brune, comme Ivonne sa maman.