C comme conversations et classement

Se reconnaître dans cet extrait. Ou plutôt y reconnaître son propre monde ancien, celui de sa propre enfance.

         Les conversations classaient les faits et gestes des gens, leur conduite, dans les catégories du bien et du mal, du permis, même conseillé, ou de l’inadmissible. Une réprobation absolue frappait les divorcés, les communistes, les concubins, les filles mères, les femmes qui boivent, qui avortent, qui ont été tondues à la Libération, qui ne tiennent pas leur maison, etc. Une plus modérée, les filles enceintes avant leur mariage et les hommes qui s’amusent au café (mais s’amuser restait le privilège des enfants et des jeunes gens), la conduite masculine en général. On louait le courage au travail, capable sinon de racheter une conduite du moins de la rendre tolérable, il boit mais n’est pas feignant. La santé était une qualité, elle n’a pas de santé, une accusation autant qu’une marque de compassion. La maladie, de toute façon, confusément entachée de faute, comme un manque de vigilance de l’individu face au destin. D’une façon générale, on accordait difficilement aux autres le droit d’être pleinement et légitimement malades, toujours soupçonnés de s’écouter. (p.63-64)

Annie Ernaux, La honte, pages 63-64, Gallimard, 1997

De gesprekken rangschikten het doen en laten van de mensen, hun gedrag, onder categorieën als goed, fout, toegelaten, aangeraden zelfs, of onaanvaardbaar. Een absolute afkeuring trof wie gescheiden was, communist, ongehuwd samenwoonde, ongehuwde moeder was, vrouw aan de drank, die abortus pleegt of kaalgeschoren werd na de Bevrijding, die haar huis niet onderhoudt enz. Een matigere afkeuring voor meisjes die zwanger waren voor het huwelijk of mannen die lol trappen op café (maar lol trappen bleef het voorrecht van de kinderen en de jonge mannen) en het gedrag van mannen in het algemeen. Men loofde de werklust, het kon fout gedrag niet goedmaken, maar maakte het aanvaardbaar, hij drinkt maar is geen luilak. De gezondheid was een kwaliteit, ze heeft een zwakke gezondheid, was evenzeer een beschuldiging als een blijk van medelijden. In elk geval droeg de ziekte de smet van een schuld, een gebrek aan waakzaamheid van de mens ten opzichte van zijn lot. Over het algemeen stond men de anderen maar moeizaam het recht toe om echt ziek te zijn en werden ze altijd verdacht te trunten.

(traduction de l’Adrienne)

Je me suis amusée à traduire le dernier mot par un verbe flamand qui n’a pas son équivalent en néerlandais. Trunten, c’est se laisser aller à trop de complaisance envers soi-même, pleurnicher pour un rien, se plaindre sans raison, manquer de courage, de force de caractère. « Niet trunten! » disent les mères de Flandre à leur progéniture. Il faut toujours se montrer fort, nier le mal dont on souffre et continuer le combat quotidien Langue tirée

Voyez par exemple ce témoignage parmi les 1510 résultats que donne l’expression (Niet trunten!) passée à la moulinette g**gl*:  http://www.deredactie.be/cm/vrtnieuws/binnenland/1.718353

9 commentaires sur « C comme conversations et classement »

  1. Bonjour, Adrienne,
    C’est l’époque que j’ai connue en Flandre, dans un coin de village, Hijfte, un « boerengat » , l’échelle de valeurs que tu décris, je l’ai vécue… Mais… qu’est-ce que ça a changé en 50 ans!!! Je ne reconnais plus le village, ni les villageois! Sauf les tout vieux, qui continuent à traiter de Gantois des voisins qui se sont installés là avant 1964, année où nous sommes partis pour la Wallonie.
    Bonne journée!
    Lulu

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  2. oui Lulu, pour les « vieux » tu restes « l’étranger » même si tu viens de la ville voisine et que tu es depuis 30 ans dans leur village 😉
    je vous crois sans peine, Mme Chapeau, c’est le but et la preuve d’une éducation réussie 😉
    merci et bonne journée!

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  3. Ça fait 40 ans que je vis en Alsace, avec mon boulot j ai appris l Allemand, mais je reste toujours un « Français de l intérieur » Si lors d une réunion quelques paroles en Alsacien sont jetées dans la conversation, il y a toujours un pingouin pour me demander si j ai compris!
    Ton texte présenté résume tellement bien la manière de penser de la génération précédente.
    Bonne soirée Adrienne
    Latil

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  4. Je t’avais laissé un commentaire hier, mais il ne s’est pas affiché. Je recommence autrement : des jugements implacables qui en impliquent d’autres, non moins implacables, sur soi.

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