Quand Madame arrive à l’étage où elle aura sa petite heure avec Alexandra, les deux classes de maternelle sont toujours en plein branle-bas de fin de journée.
Et apparemment, ranger les jouets et les autres affaires des dernières activités, c’est comme à la maison: ça nécessite plusieurs rappels à l’ordre.
– Opruimen! répète l’instit d’une voix forte, chaque fois que le jeu l’emporte sur l’ouvrage.
Pendant ce temps, sa collègue est au lavabo avec trois bambins pour qu’ils se lavent les mains.
Il trouve normal, quand vers treize heures quinze la cour est remplie d’un gros millier d’élèves, que Madame le repère tout de suite dans cette foule, lui qui n’est ni gros ni grand, et qui est habillé de ces deux ou trois teintes dont s’habillent absolument tous les autres, et que là, du haut de la fenêtre du second étage, elle lui fasse un petit signe de la main pour lui dire: Oui! je t’ai vu! je t’attends!
Voyez la liste des sept principaux sujets de conversation à table et vous allez comprendre pourquoi l’Adrienne est de celles qui écoutent:
1.les enfants 2.les petits-enfants 3.le besoin de soleil 4.les petits ou gros soucis de santé 5.les maris 6.les 400 coups en secondaire 7. »straffe verhalen » : « heeft er nog iemand een straf verhaal? » a demandé quelqu’un, après que deux ou trois autres avaient déjà raconté une histoire un peu « extrême », comme se perdre en montagne ou plonger dans une piscine où il n’y a presque pas d’eau.
Une étude réalisée par des doctorants de l’université de Michigan démontre que plus on avance dans la correction de copies, plus on devient sévère: les derniers de la pile ont de moins bonnes notes et plus de commentaires négatifs que les premiers.
Comme les copies sont généralement classées dans l’ordre alphabétique, ça signifie que selon notre nom de famille, nous sommes plus ou moins (dés)avantagés.
La recherche a été effectuée sur un panel de 30 millions de copies, on est donc obligé de les croire 😉
Pourtant Madame a toujours eu l’impression contraire: pour les questions « ouvertes » et surtout pour l’expression écrite, elle avait peur de devenir plus laxiste au fur et à mesure qu’elle avançait dans les corrections, et de laisser passer des choses qu’elle sanctionnait au début de la pile.
Par conséquent, elle recommençait tout le paquet pour vérifier.
Car il n’y a rien de plus important pour l’élève que la plus grande forme de justice et d’équité dans les évaluations.
L’après-midi, lors d’une promenade dans les dunes, spontanément les duos d’autrefois se reforment, Marleen avec Annemie, Patricia avec Isabella et l’Adrienne avec sa meilleure amie de l’école secondaire 🙂
***
A table, Marleen avait déclaré d’un ton solennel et mystérieux à la fois:
– Il faut qu’on vous dise un truc… maintenant vous pouvez le savoir…
Et son amie enchaîne:
– Marleen et moi, on étudiait chacune la moitié de la matière pour les interros…
Toute la tablée s’esclaffe.
– On le savait déjà, dit l’Adrienne en rigolant.
– Et que pour les tests de latin vous aviez votre cours sur vos genoux, on le savait aussi, rigole une autre.
– Le seul cours pour lequel on n’a jamais triché, conclut Marleen, c’est pour les maths.
L’Adrienne a failli répondre: Mais c’est ton grand frère qui faisait tes devoirs.
Il y a un truc bizarre, avec Jan (prononcer Yann).
Quand il était l’élève de Madame, il n’était ni le plus expansif, ni le plus amoureux du français.
Pourtant chaque fois qu’il la rencontre, il lui fait des bises. Ce qui ne se fait pas, « chez nous », oh non!
Sauf quand, comme Jan, on se présente sur une liste électorale 🙂
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Madame a des anciens élèves chez les verts, les jaunes, les oranges, les bleus – ouf non pas chez les bruns – mais par bonheur Jan est le seul à se jeter sur elle pour lui faire la bise.
En arrivant à l’école lundi dernier, Madame voit des affiches placardées un peu partout, annonçant que le 25 avril il y aura vente de croissants et de petits pains au chocolat, le matin et pendant la récré de dix heures.
L’initiative émane apparemment des profs de français: les affiches sont ornées de petits drapeaux tricolores et la tour Eiffel se voit dans le décor.
Pourquoi le 25 avril? se demande Madame, qui suppose que ça n’a rien à voir avec l’anniversaire de la révolution des œillets.
Pour Vlad, les choses étaient claires:
– Vous avez vu les affiches? rigole-t-il en entrant en classe.
Il sait que Madame se souviendra que ce jour-là il fête ses 16 ans.
– Et cette fois tu ne trouves pas qu’un euro cinquante pour un croissant, c’est trop cher, comme pour les donuts?
Non, cette fois il a l’intention de débourser ses sous 🙂
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Madame, photographiée à Chantilly en train de prendre en photo son assiette de fraises à la chantilly – elle qui normalement n’aime pas du tout ça, la crème fouettée… – mais celle-ci valait la peine qu’on y goûte 🙂
Était-ce mieux avant? A cette question l’Adrienne – ou faut-il dire ‘Madame’, vu que dans cette histoire elle a la double casquette – répond NON.
En voici une preuve de plus 😉
Jeudi dernier, entre les fraises de Hollande et les framboises marocaines, l’Adrienne tombe nez à nez avec une de ses anciennes profs.
Oui, ces rencontres-là existent aussi, mais sont de plus en plus rares 😉
Elle était accompagnée d’une gamine de 13 ou 14 ans qu’elle a présentée fièrement:
– C’est ma petite-fille.
Alors l’Adrienne, ne voyant rien venir, s’est présentée elle-même en riant:
– Tu l’auras deviné, ta grand-mère a été ma prof de latin et de grec! – Nous avons aussi été collègues, rectifie la dame – Oui, c’est vrai, mais ce rapport prof-élève est tout de même le plus important pour moi.
Et c’est là que l’Adrienne a eu envie de dire à la jeune fille et sa grand-mère:
« Vous avez le temps d’une anecdote? »
Mais elle s’est retenue 😉
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Voici la chose: L’Adrienne a toujours aimé dessiner et elle a toujours eu besoin de s’occuper la tête et les mains, donc un jour, en classe, lors d’explications (inutiles) elle s’est mise à dessiner dans la marge de son cahier de grec.
La prof l’a vertement interpellée et lui a dit: « Je veux te voir après le cours. »
Figurez-vous que l’Adrienne n’avait pas la moindre idée de ce qu’elle avait fait de mal 😉
Bref, ça n’avait pas plu à la prof, ce petit dessin dans la marge – l’Adrienne à l’époque « travaillait sur un roman » LOL qu’elle illustrait elle-même – et elle le lui a bien fait sentir.
Elle se trompait, bien sûr: c’est quand l’Adrienne avait les mains inoccupées que dans sa tête elle risquait d’être loin, très loin du discours de la prof.
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Donc, quand elle a été prof elle-même, les quelques fois où elle a vu un dessin d’élève, elle s’y est intéressée et l’a félicité(e).
Il y en a qu’elle a reçus et conservés jusqu’à aujourd’hui, comme ce Dormeur du val crayonné par Sebastien, mis en illustration du billet 🙂
Voilà. C’était hier. Madame était fatiguée ces derniers temps de courir à droite, à gauche, de n’avoir quasiment plus une journée de libre.
Et puis voilà, justement hier, la petite, au bout de l’heure de calcul mental et de volumes et de sortes de triangles et de circonférences, voulait encore faire de la lecture et des exercices de langue.
Alors au moment où Madame la ramène à la salle de jeux, voilà que la petite lui entoure la taille de ses deux bras et lui fait un câlin.
Voilà. C’était hier. Et Madame, une fois de plus, en a été toute retournée.
Dans son dialecte flamand, Madame a une expression qu’elle aime bien, « gelijk de Schelde voor Antwerpen« , comme l’Escaut devant Anvers, et c’est comme ça qu’elle marchait sur le quai de la gare, comme l’Escaut devant Anvers, sans regarder les quelques personnes qui s’y trouvaient: elle cherchait l’affichage de la section B. Parce que non seulement le dimanche il n’y a pour sa ville qu’un train toutes les deux heures, mais de plus on en détache quelques wagons pour n’en garder que deux. C’est dire si on y est bien entassés.
Bref, sur ce quai de gare quelqu’un l’appelle par son nom.
– Madame ***? – Joffrey! s’écrie-t-elle, tout heureuse d’avoir reconnu un ancien élève qui, depuis la douzaine d’années qu’il a quitté l’école, est devenu un type imposant et s’est laissé pousser les cheveux et la barbe.
Par bonheur aussi, elle se souvient qu’il a étudié l’histoire à l’université – il était fan de l’histoire de la Rome antique, et renseignement pris, il l’est toujours 😉 – alors vous comprenez qu’une heure de trajet, c’est à peine assez pour parler de tout ce qui les intéresse tous les deux.
Madame a reçu quelques conseils de lecture et est rentrée chez elle triplement heureuse de toutes ses rencontres, la nipotina, la tante Suzanne, Joffrey, tout ça en un seul week-end à inscrire dans les annales des jours heureux 🙂